DEDICACE, in memoriam
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Hela Ouardi, les califes maudits II
Hela OUARDI, Les califes maudits. Volume I : La déchirure (Albin Michel)
Voici une contribution à la fois étonnante et des plus intéressantes concernant les premiers pas de la nouvelle religion islamique immédiatement après le décès de son fondateur. L’auteure, universitaire tunisienne dont je n’avais encore jamais lu, opte pour une méthodologie qui a commencé par me surprendre, jusqu’au moment où j’ai parcouru l’impressionnante liste d’ouvrages de la tradition musulmane, mis à contribution pour rédiger un récit suivi, prenant parfois les allures d’un roman policier. On ne manquera pas d’être frappé par la description physique et psychologique du futur Calife ‘Umar qui succédera à Abu Bakr, père d’Aïcha, la favorite du Prophète et donc son beau-père … Ces éléments proviennent de sources traditionnelles, ce qui leur confère la mesure de la vraisemblance.
Si j’ai bien compris la thèse de cet important ouvrage, qui sera suivi, nous dit-on, par quelques autres, il s’agit de montrer, à l’aide de témoignages fiables, qu’un puissant penchant hagiographique musulman a soigneusement mis de côté, que la succession ouverte par la disparition du Prophète ne s’est pas passée dans un climat irénique, comme le prétend une tradition largement apologétique, et que les quatre premiers hommes appelés à occuper le poste prestigieux de calife (remplaçant, lieutenant, tenant lieu de..) furent contestés dès le début par une assemblée de croyants traversés par des courants contraires : les Emigrants (mouhajiroun), le groupe qui suivit le Prophète quittant une cité comme La Mecque où il devenait indésirable pour la ville de Médine (Madinat an nabi : la cité du Prophète), d’une part, et les Ansars (l’auteur traduit par les auxiliaires), en gros les habitants de la cité, les autochtones de Médine, lesquels exigeaient que le successeur du Prophète fût issu de leurs rangs…
L’auteure relate toutes ces joutes oratoires, toutes ces oppositions, voire ces heurts et ces menaces comme dans un roman policier, et comme si elle y était... Mais elle assure, dans ces propos liminaires qu’elle n’a rien inventé mais s’est contentée de réécrire les faits en se servant de sources remontant à des témoins oculaires ou à des témoignages contemporains, s’appuyant sur des source historiques fiables. J’avoue avoir un peu hésité en considérant certains aspects de ce long récit. Mais peu importe, je laisse à d’authentiques spécialistes dont je ne suis pas, le soin de déterminer la valeur littéraire ou la valeur proprement historique de tous ces développements.
La thèse de cet ouvrage est donc, comme je le notais plus haut, de faire pièce à une trame narrative qui qualifie les quatre premiers califes de dirigeants bien orientés (al-khulafa al rachidoun), dotés des plus grandes vertus et s’étant honorablement acquittés de leur tâche. Or, quand on lit la désignation controversée du premier d’entre eux, Abu Bakr, le beau-père et ami intime du Prophète, celui qu’il désigna comme l’ayant suivi aux pires moments de sa vie, (sahib al ghar : le compagnon de la caverne), on se rend compte qu’il n’en fut rien : Abu Bakr, accompagné du redoutable ‘Umar dans la mosquée où il fut presque contraint physiquement de monter en chaire et d’exiger qu’on lui fasse allégeance, ne régna, pour ainsi dire, que deux ans, et fut le seul à mourir de mort naturelle : ses autres successeurs, ‘Umar, Uthman et Ali furent assassinés alors qu’ils faisaient leurs dévotions à la mosquée…
Cet ouvrage si richement documenté et puisant aux meilleures sources, si l’on en croit la vaste bibliographie et les notes, rejetées en fin de volume, nous renseigne sur l’ordre tribal auquel le Prophète réussit à imposer son autorité ; ces mêmes tribus étaient elles-mêmes traversées par des clans parfois indisciplinés et surtout très turbulents. Faire accepter la nouvelle religion à toutes ces tribus arabes ne fut jamais une mince affaire. Je reviens de nouveau aux circonstances terribles de la désignation d’Abu Bakr, homme d’un certain âge, réputé pour sa sagesse, mais ne pouvant réprimer un élan de violence lorsqu’on le pousse dans ses derniers retranchements. D’où le titre de ce premier volume La Déchirure…
Mais existait-il une autre façon de procéder ? L’auteure décrit des ombres s’avançant dans l’obscurité, les partisans d’Abu Bakr qui veulent imposer leur candidat et se hâtent vers la mosquée où leurs rivaux tentent de les prendre de vitesse et de les placer devant le fait accompli… On nous montre aussi l’indignation de la famille du Prophète, occupée à organiser les obsèques de ce dernier qui ne sont ni présents sur place, ni simplement consultés, alors qu’ils se considèrent à juste titre comme les membres les plus directs de sa famille (ahl al-bayt). Les échanges, pas seulement verbaux, entre les Emigrants et les Ansars, furent très violents : injures, menaces, intimidations, voies de fait, mépris affiché, etc… Bref, tout le contraire d’un doux passage de relais. L’avenir de cet islam se dessinait alors dans le reste du monde, et pas uniquement dans la péninsule arabique.
Très intéressantes sont les joutes concernant l’absence de testament du Prophète sur son lit de mort. Les partisans des deux groupes opposés se contentent de fonder leur légitimité soit sur des versets coraniques soit sur des témoignages d’amitié et de confiance que le défunt aurait accordés à des proches. Mais il y eut aussi la nécessité de respecter un instable équilibre entre les tribus arabes, qui, avant l’apparition du Prophète, réglaient souvent leurs différends sur le champ de bataille. Il y eut aussi des retours en arrière, certaines tribus faisant défection (ahl al-ridda) après avoir fait allégeance (al-bay’a).
L’auteure réussit à expédier tout cela en trois actes et quinze scènes, sans jamais se perdre dans les détails. Au cours de ces récits qui se veulent véridiques, on apprend à mieux connaître le sentir et le penser (Das Denken, und Fühlen) des tribus arabes, leurs mœurs, leur Weltanschauung, bref leur rapport au monde, leur respect de la belle poésie et des tribuns inspirés mais aussi leur dilection pour une certaine violence clanique et tribale.
Dans ce livre qui se divise en trois parties (Conclave dans la Saqifa, Un Calife sans royaume et l’Imprécation), je suis étonné par la grande culture coranique de Fatima, la fille du prophète qui vient publiquement, en pleine mosquée, dénoncer , en sa présence, le déni de justice du calife Abu Bakr au motif que celui-ci refuse de lui restituer l’héritage de son père. Elle réclamait la restitution d’une zone agricole, Fardak, particulièrement fertile, jadis possession de tribus juives qui l’avaient partiellement offert au Prophète qui leur promit de leur laisser la vie sauve,
J’ai du mal à croire qu’une jeune femme, fût-elle la propre fille du Prophète, ait pu s’exprimer aussi bien, citer en renfort de sa cause, d’innombrables versets coraniques, apostropher publiquement le calife et, en guise de conclusion, lui crier au visage sa malédiction le tout dans un discours si imprécateur… Cela paraît invraisemblable, notamment en raison de cette forte culture théologique. Il n’est donc pas à exclure que les sources traditionnelles auxquelles s’en réfère l’auteur, aient quelque peu aidé à en affirmer les traits les plus prégnants… Mais cette terrible accusation et cette malédiction maintes fois répétée, mineront le tout premier calife qui y pensera immédiatement lorsqu’on lui annoncera la mort de son fils aîné… Il fallait l’énergie de l’intraitable ‘Umar pour l’empêcher de reconnaître par écrit le bien fondé de la demande de Fatima…
Mais c’est un bon livre que nous tentons là sur la transmission du pouvoir du Prophète après sa mort. Pas le moindre signe d’apologétique, rien qui ne relève de la science. J’ai aussi eu le plaisir de voir dans les notes une remarque d’Ignaz Goldziher, le génial islamologue judéo-hongrois du XIXe siècle qui avait bien noté que le conseil d’un musulman à son fils qu’il fallait apprendre à nager, est tiré d’un passage talmudique. En effet, dans l’espace des steppes désertiques de l’Arabie, la natation n’est pas vraiment à sa place…
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Les Kurdes, la quadrature du cercle...
LES KURDES , LA QUADRATURE DU CERCLE
Les récents développements impliquant la plus grande puissance mondiale, à savoir les USA, dans un soubresaut dont le Proche Orient semble détenir exclusivement le secret, montre combien cette région du monde peut, d’une instant à l’autre, bouleverser les équilibres régionaux et même compromettre la paix mondiale.
Il y a une foule d’enseignements que les observateurs impartiaux peuvent en tirer, alors qu’il n’y pas vraiment de guerre ouverte entre les états environnants ; pourtant, une simple mesure, en l’occurrence, la Turquie qui viole la frontière syrienne et envahit le nord de ce pays, suffit à mettre le feu aux poudres et à mobiliser l’attention de l’ensemble de la communauté internationale : L’Union Européenne a réagi en condamnant la menace turque, les USA en envoyant une missive fort peu diplomatique au président Erdogan et en dépêchant sur place Le vice président qui a fini par arracher la promesse d’une trêve de cinq jours…
Mais les enseignements à tirer à la faveur d’un tel affolement sont très nombreux et d’une extrême gravité.
Commençons par l’Etat d’Israël lui-même qui a observé, médusé et très inquiet, comment le président Trump (un homme fantasque et imprévisible) tourne en un clin d’œil, le dosà ses alliées d’hier, les pauvres kurdes, en évacuant ses troupes d’élite, environ deux mille hommes, à l’ombre desquels ils pensaient vivre, loin de toute menace de leurs ennemis de toujours, les Ottomans.
Israël a pu confimer sa règle immuable : ne compter que sur D-ieu et sur soi-même. Ce qui est bon pour l’Amérique n’est pas nécessairement bon pour le reste du monde. Cette volte face des USA, que dis-je, d’un seul homme, le président, a surpris tout le monde, y compris le ministère de la défense et les conseillers pour la sécuirté du pays. Imaginez qu’il agisse de la sorte en ce qui concerne la sécurité de l’Etat juif…
Que ferait Israël si, pour se défendre contre ses ennemis, il devait attendre l’aval de Wahsington ? Ce serait suicidaire. D’ailleurs, la question est débttue en Israël, à propos de la signature d’un accord de défense mutuelle. Imaginez qu’Israël lance une guerre préventive pour survivre et que les USA aient une autre approche et refusent d’aller dans la même direction… Une telle hypothèse fait froid dans le dos.
Les Kurdes qui ont sacrifié près de onze mille martyrs dans la lutte sans merci contre Daesh sont abandonnés au milieu du gué, contraints de ne compter que sur eux-mêmes alors que leur alliance avec les USA semblait indéfectible. Au sujet d’Israël, c’est la leçon majeure à tirer de ce qui vient de se passer.
Une brève rétrospective : lors de la guerre du golfe, la première, les Chiites avaient été abandonnés, livrés à eux mêmes et à la fureur vindicative de Saddam Hussein : ils ont payé très cher leur soulèvement, pensant que les USA les soutiendraient… On connaît la suite.
Le chah d’Iran et le président égyptien Husni Moubarak l’ont eux aussi appris à leur dépens : après de beaux discours et des années de politique amicale, ces deux dirigeants, qui ont été ce qu’ils ont été, furent écartés du pouvoir, sans que Washington ne remue le petit doigt alors que la politique US dans la région était fondée sur leur coopération…
Un mot des Kurdes ; l’état d’Israël a toujours été sensible à la situation de ce peuple, dont le territoire est à cheval sur tant de pays : la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie. Il sont plusieurs dizaines de millions d’hommes et de femmes, oubliés des grands traités internationaux, depuis Versailles et Lausinne, par exemple…
Depuis des années, les hommes du Mossad sont présents dans le Kurdistan irakien. Et Israël s’est empressé d’envoyer une aide humanitaire à ce peuple menacé d’une tuerie à grande échelle. D’ailleurs, l’Etat juif fut le seul à reconnaître ce référendum d’autonomie kurde. Et le pouvoir central irakien n’a pas hésité à recourir à la force armée pour étouffer dans l’œuf toute velléité autonomiste.
Alors que faire ? Franchement, je l’ignore mais je constate une nouvelle fois que le Proche Orien est un baril de poudre ; la moindre étincelle peut tout faire sauter. Procéder sur place à des r§glements politiques est aussi difficile que réussir la quadrature du cercle. Prenons le cas de ces pauvres Kurdes : qui imagine que des pays comme l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie accepteraient un jour de céder une partie de leur territoire national ?
L’âme kurde évoque par maints aspects l’âme juive. Mais les Juifs ont fini par réussir à se régénérer et à s’établir dans la terre de leurs ancêtres, même si ce droit leur est contesté chaque jour que Dieu fait.
La brutalité des relations internationales a contraint les Kurdes à se jeter dans les bras de leurs ennemis, en Syrie. Et que va t il se passer, une fois que le danger ottoman sera écarté ? Imagine t on Bachar el Assad reconduire l’autonomie dont ces territoire jouissaient depuis la guerre civile ?
Que Dieu aide les Kurdes et les sauve des mains de leurs ennemis.