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Histoire - Page 2

  • BERNARD LEWIS, ISLAM, QUARTO, GALLIMARD, 2005., 1554 PAGES (POUR 25 €)


    BERNARD LEWIS, ISLAM, QUARTO, GALLIMARD, 2005., 1554 PAGES (POUR 25 €)
        Avec ce livre, nous avons affaire à une véritable petite encyclopédie portative sur l’islam, tant ancien, moderne que contemporain. Fait par le meilleur spécialiste de l’islam, encore vivant, quoiqu’âgé d’un peu plus de 90 ans. Arabisant confirmé, enseignant dans les universités américaines les plus prestigieuses, le professeur Bernard Lewis que j’eus l’honneur de rencontrer à Philadelphie dans le cadre de l’Annenberg Research Institute en 1989, fait l’unanimité.
        Cet ouvrage contient une grande quantité d’articles, d’études et de livres de taille plus réduite. Impossible de les résumer ou simplement de les évoquer par leurs titres. Mais certaines contributions méritent la mention et exigent une lecture aussi attentive qu’approfondie. Le seul reproche (et encore, le terme est fort) qu’on puisse articuler contre Bernard Lewis est son tropisme turcophile et sa séduction (qu’il ne dissimule guère, du reste) par la réussite de l’aventure ottomane.
        La belle étude sur les Arabes est remarquable ainsi que son appareil critique, ses références érudites et ses fins jugements. Un savant aussi universel ne peut empêcher la contestation ou la critique de non-spécialistes, ce que Lewis a bien voulu supporter mais sans manquer d’y répondre. Je fais allusion ici à la controverse qui l’opposa à Edward Said qui l’attaqua ainsi que d’autres arabisants non musulmans dans son livre intitulé Orientalisme. Lewis réfute sans peine les arguments de Said qui était un littérateur attachant et intelligent sans jamais être un philologue sémitisant confirmé. Dans sa réponse, Lewis fait une large rétrospective des critiques articulées par des musulmans, mécontents de voir des non-musulmans étudier les textes fondateurs de l’islam.  Le reproche majeur tient en une phrase : en étudiant l’islam de leur point de vue, les islamologues ou orientalistes, forment ou forgent une opinion laquelle se  veut fondatrice d’une identité que certains nationalistes arabes ou musulmans, culturels ou religieux, ne reconnaissent pas. C’est un peu comme si les élites d’une nation étrangère s’arrangeaient le droit de gérer le patrimoine religieux et culturel d’une nation qui leur interdit de le faire ou en contestent la légitimité…
        Un autre article de Lewis porte sur les juifs d’Europe qui étalèrent leurs opinions pro-islamiques, certains s’étant même convertis au catholicisme ou au protestantisme. Lewis cite d’impressionnantes listes de savants sémitisants et arabisants qui révolutionnèrent la connaissance de l’islam et de son fondateur.  Salomon Munk et Georges Vajda en France et Moritz Steinschneider en Allemagne. L’exemple le plus frappant est celui du savant judéo-hongrois du XIXe siècle Ignaz Goldziher qui alla jusqu’à se faire passer pour un musulman afin d’être admis six mois à l’université d’Al-Azhar ! Ses œuvres, notamment les Muhammedanische Studien furent traduits en arabe, en occultant bien sûr, ses origines juives. C’était un juif très pieux, impressionné par la notion de tawhid (monothéisme strict) des Musulmans.
        Lewis (qui est de nationalité britannique) montre aussi que Benjamin Disraeli, bien que converti, se vit longtemps reprocher sa politique prétendument pro-turque à l’encontre de la Russie, lors de la guerre qui opposa les deux pays. Alors que son objectif majeur était de prévenir un charcutage de l’empire ottoman, générateur de frustrations et donc de futurs conflits, certains voulurent y voir des séquelles d’une sympathie juive pour les Turcs, musulmans, à l’encontre d’une chrétienté persécutrice… Goldziher fit de son mieux pour présenter l’islam de manière à la fois scientifique et bienveillante. A l’un de ses étudiants musulmans, il lança la phrase suivante :  c’est pour votre peuple et le mien que j’ai vécu. Quand vous retournerez dans votre pays,n dites le à vos frères… Tout un programme !

        Je donne infra une analyse d’un de ses alivres repris dans ce gros volume qui s’intitule : Que s’est-il passé ?
        Oui, que s’est-il vraiment passé au cours de l’Histoire, ancienne ou plus récente, pour qu’un certain Islam se réveille avec la violence  inouïe du 11 septembre 2001 et qu’il se mue en ennemi implacable d’un Occident lequel incarne à ses yeux, à tort ou à raison, la cause de tous ses maux ? C’est, en fait, la question principale que se pose l’un des plus brillants orientalistes et islamologues de notre temps, Bernard Lewis, dans son tout nouveau livre traduit en français.
        Dans une introduction assez étendue mais qui n’est nullement centrée autour de l’actualité, si spectaculaire soit-elle, l’auteur souligne que «pendant des siècles, le monde islamique a été à la pointe du progrès et de la culture.» En réalité, les choses sont un peu plus complexes : ce ne fut pas le monde islamique dans son ensemble, mais ses élites (coupées du reste du peuple) qui incarnèrent l’esprit critique et l’intelligente innovante. Spécialiste incontesté de l’empire ottoman, Bernard Lewis a parfois tendance à accorder la plus grande importance à cette aire géographique et culturelle au détriment des autres représentants de l’Islam (par exemple les Arabes et les Iraniens). Mais ce choix se justifie aussi pleinement puisque seule la puissance turque a pu se rapprocher dangereusement du cœur de l’Europe  (la ville de Vienne) après avoir conquis l’ancienne Constantinople en 1453. S’ils avaient su tirer profit des avancées scientifiques et du système politique de l’Occident chrétien, les autorités turques auraient vraiment pu ne laisser aux peuples non-musulmans que le choix entre les deux termes de l’alternative suivante : soit être absorbée dans l’Empire soit se convertir à l’Islam… Cette irrésistible ascension, en apparence, du moins, s’enraya et le véritable essor de l’Europe chrétienne  s’imposa aux yeux de tous. Ce que note B. Lewis en  page 13 : « Et puis, soudain, le rapport s’inversa. Avant même la Renaissance, les Européens se mirent à faire de sérieux progrès dans les arts et la culture.  Avec la Renaissance, ils accomplirent de grands bonds en avant, laissant loin derrière eux l’héritage scientifique, technique, et même culturel  du monde musulman.»
    Il semble que l’année 1684 marque un tournant : les armes turques cessèrent d’être décisivement victorieuses face à une chrétienté devenue plus combative et enfin consciente de la menace qui pesait sur elle au cœur même du vieux continent. Mais B. Lewis note finement que ces sérieux revers militaires eurent au moins l’avantage d’imposer à l’esprit turc l’art de la médiation, de la diplomatie et de la négociation.
        Dans le premier chapitre justement intitulé  Les leçons du champ de bataille, l’auteur s’interroge sur deux attitudes révélatrices de la mentalité musulmane dans ses relations avec les autres cultures et/ ou religions :  était-il licite pour des musulmans de se mettre à l’école de non-musulmans, c’est-à-dire d’infidèles ? Et pouvait-on, dans certains cas, s’allier avec des «infidèles» afin de combattre d’autres «infidèles» ? Pour l’Islam victorieux la nécessité de repousser les anciens adversaire aussi sur les plans doctrinal et religieux s’est très vite fait sentir. Mais la puissance turque, pas moins que les autres Etats musulmans, ne fut guère épargnée par la tentation fondamentaliste, c’est-à-dire,  dans ce cas précis, un retour biaisé aux sources : contemplant les ruines encore fumantes de ses troupes terrestres ou l’anéantissement de sa flotte par les forces chrétiennes, les autorités turques se dirent que «la source de tous ces maux tenait au fait qu’on s’était écarté des bonnes vieilles traditions musulmanes et ottomanes, auxquelles il convenait à présent de faire retour.» Au fondement même de ces explications gît le principe du repli et de la crispation identitaires face aux défis d’un monde qu’on ne maîtrise plus. Ceci explique aussi le choc des cultures et l’affrontement des civilisations. B. Lewis montre bien que cet affrontement n’est pas inéluctable pour peu que les cultures soient conscientes des valeurs qu’elles partagent et incarnent, chacune à sa manière.
        Apparemment  -et ceci est le second thème majeur du livre-  le mépris séculaire des Turcs pour les infidèles interdisait une telle démarche qui, si elle avait été un tant soit peu exploitée, aurait peut-être assuré la pérennité de l’Empire. En bon représentant musulman de la philosophie grecque, Averroès ob. 1198) lui-même avait été mieux inspiré en posant intelligemment le problème dans l’introduction à son fameux Traité décisif : reprenons, écrivait-il, à notre compte, dans le cadre de nos propres spéculations, les acquis de la Logique des Grecs. Si leurs démarches sont avérées, nous ne courons aucun  risque de nous fourvoyer en  les suivant ; si tel n’est pas le cas, et si les Grecs se sont trompés, eh bien rendons  hommage à leurs efforts intellectuels passé… 
        Sans suivre vraiment Averroès, les Turcs firent cependant, bien avant les autres puissances musulmanes des progrès notables dans les domaines de l’imprimerie, des traductions et de la presse où certaines voix autorisées s’élevèrent pour défendre les droits de la femme, par exemple. Il est vrai que certains ambassadeurs de la  Porte Sublime avaient envoyé à leur gouvernement des rapports étonnés sur les égards que même l’Empereur témoignait aux dames dans la ville de Vienne… Se découvrir, s’incliner devant une dame et lui accorder la préséance, toutes ces choses étaient une nouveauté par l’émissaire turc ! Et pourtant, l’esprit nouveau finira par s’imposer progressivement dans ces milieux fermés : on vit émerger des figures encore peu connues dans cette socio-culture orientale ; nous pensons à l’avocat et  au professeur, deux professions qui arrachent leur autonomie à une emprise religieuse omniprésente.
        Comment faire tomber toutes ces barrières sociales et surtout religieuses qui compromettaient durablement la modernisation du vécu et du penser des musulmans ? En réformant en profondeur trois secteurs vitaux de l’Etat : le militaire, l’économique et le politique. Mais pour le faire, il fallait imiter la démarche averroïste, c’est-à-dire se mettre à l’école des maîtres de l’Occident chrétien. Or, la chrétienté avait déjà liquidé les séquelles des systèmes féodaux et arriérés en supprimant presque entièrement l’esclavage, en améliorant le statut des femmes et en optant, avec des fortunes diverses, pour un minimum de tolérance à l’égard des autres croyances.
        Si l’Islam se caractérise surtout par un attachement sans faille à des valeurs intrinsèquement religieuses, peut-il, sans se trahir son essence, s’accommoder de la laïcité ? Comme en hébreu, il n’existait pas originellement de terme adéquat en arabe pour désigner ce vocable. Ce sont des chrétiens arabophones qui pallièrent ce manque en recourant à un terme qui désigne les choses de ce monde-ci, la mondanité (alamani). Le défi à relever était rien moins que celui de la sécularisation ou de la neutralisation de l’aspect religieux des valeurs.
        Enfin, s’il est un aspect de l’existence sur la valeur duquel l’Islam et l’Occident divergent largement, c’est bien le temps. Dans la culture musulmane, c’est la prière qui rythme les travaux et les jours alors qu’en Occident les servitudes techniques ont contribué à faire de l’homme l’esclave du temps.
        Ce petit livre de Bernard Lewis apporte bien  plus que des éclairages judicieux sur les raisons d’une décadence dont la moindre des conséquences n’est pas le retard historique de l’Islam par rapport aux autres religions et sa difficulté à se faire reconnaître comme une religion d’Europe, parmi d’autres. Au fond, l’auteur a raison de poser deux types de question qui cernent bien la problématique : qu’est-ce que l’Islam a fait des musulmans ? Et qu’est-ce que les musulmans ont fait de l’Islam ?
            Lewis parle aussi du panarabisme et d’autres sujets, notamment le terme Palestine dont on relit chez lui qu’il s’agit d’un terme phénicien désignant la peuplade des Philistins, occupant un territoire dont le nom et les dimensions géographiques n’ont cessé d’évoluer avec le temps et les époques. Mais je me garderai bien d’entrer dans les détails afin de provoquer l’ire d’aucun internaute. J’ai vu le courrier que m’a attiré une simple mention sur l’arabité de l’Algérie qui, vérification faite, est membre à part entière de la Ligue arabe…

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  • MANUEL D’HISTOIRE FRANCO-ALLEMAND. L’EUROPE ET LE MONDE DE 1814 A 1945. MANUEL POUR LES CLASSES DE PREMIERES.


      MANUEL D’HISTOIRE FRANCO-ALLEMAND. L’EUROPE ET LE MONDE DE 1814 A 1945.  MANUEL POUR LES CLASSES DE PREMIERES.
    KLETT ET NATHAN, 2008
        Enfin, un manuel d’histoire qui montre à la France et à l’Allemagne qu’elles partagent une sorte de communauté de destin (Schicksalsgemeinschaft). En moins d’un siècle, l’Allemagne et la France se sont combattues trois fois ; en 1870, en 1914 et en 1939. Et à trois reprises, ce furent des déchirements, des souffrances, des occupations avec leurs cortèges de peines et de haines. Aujourd’hui, les relations entre les deux pays sont telles que l’on parle du couple ou du moteur franco-allemand au sein de l’Europe.
        C’est dire combien je salue en tant que professeur d’université, germaniste et philosophe de formation, la parution de ce second volume franco-allemand d’histoire. Parler d’histoire commune, c’est vivre la même histoire, c’est établir un lien indéfectible entre les deux nations excluant ainsi tout danger de déflagration entre elles. C’est aussi faire naître une conscience commune. Car, ne nous le cachons pas, les sensibilités française et allemande sont très différentes, les approches historiques. Je ne puis rentrer dans les détails, mais la dénomination même des grands événements est différentes : e.g ; nous parlons des grandes invasions, les Allemandes entendent, eux, Völkerwanderungen. Nous parlons de langues indo-européennes, les Allemands de Indo-germanisch… Nous avons une laïcité, dictée par l’histoire de notre pays, ce qui nous a conduit à bannir l’enseignement de la religion dans les lycées et collèges. En Allemagne, la religion est considérée comme une matière académique (akademisches Fach) à l’égal de toutes les autres. Et la liste des différences (mais pas des oppositions) est encore longue…
        Le livre est remarquablement bien fait et m’a beaucoup plu. Il innove par rapport aux manuels que nous avons utilisé lorsque nous étions lycéens. On y parle plus de cultures, de mentalités, de traités, d’alliances et on y propose l’analyse d’un texte ou d’une carte. Ce qui forme les lycéens à l’embryon de la recherche. L’Europe, enfin, y est traitée comme une entité unie, vivante et en mouvement.
        La tâche n’était guère aisée, surtout lorsqu’il s’agissait de présenter els horreurs perpétrées par les Nazis au nom du peuple allemand. L’affaire Dreyfus n’est pas oubliée, pas plus que les camps de concentration et d’extermination où se produisait l’Holocauste.
        Je souhaite à cet essai d’une histoire commune une longue vie et beaucoup de succès. C’est en fouillant l’histoire commune que l’on forge un avenir commun. Et cet avenir est appelé à devenir le destin franco-allemand.

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  • Emmanuel TODD : un reflux de l’islam ?


    Emmanuel TODD : un reflux de l’islam ?
    Dans l’édition du 20 mai 2008 (pp 24-25) nos confrères de la Neue Zürcher Zeitung font une intéressante interview du démographe et historien français  Emmanuel Todd. Celui-ci développe des thèses subtiles mais peu convaincantes, selon moi.
        Il commence par répondre à l’intervieweur qu’il n’existe pas d’éléments tangibles prouvant le choc  des cultures. Sa thèse tient en les éléments suivants : le monde islamique est, comme le reste des civilisations et des religions, pris dans un processus de modernisation dont il ne peut faire abstraction, quelles que soient les résistances qu’il entend lui opposer…Ensuite, cette modernisation ou cette mondialisation apporte avec elle –inéluctablement- une alphabétisation accrue qui, en contre coup, réduira la natalité et donc le nombre de musulmans… Les femmes ne laissant plus enfermer dans un rôle de cuisinière et de simple reproductrice. Pour conforter ses thèses, il s’en réfère à des statistiques comparées qui mettent en vis à vis le nombre d’enfants par femme musulmane sur une trentaine d’années. Il semblerait que le taux de fécondité des femmes musulmanes en Algérie ou en Indonésie se rapproche de celui des femmes européennes… Ce n’est pas si sûr ! Mais lorsque le journaliste lui fait remarquer que les Musulmans sont à présent aussi nombreux que les catholiques, il répond qu’il y a toutes sortes de chrétiens et qu’en outre, ce n’est pas le chiffre de la population mais le taux de natalité qui importe…
        Donc modernisation, alphabétisation, baisse de la natalité ont pour corollaire le reflux de l’islam… Voire ! Selon E. Todd, cette désislamisation a été précédée au cours du XXe siècle par une déschristianisation. Selon l’auteur, les deux phénomènes se superposent puisqu’ils correspondent à la même évolution qui semble inéluctable. En somme, les religions seraient en perte de vitesse et risquent tout simplement de perdre leur importance au sein de la société. On sent ici des relents d’analyses marxistes que l’on croyait révolues à tout jamais.
        L’auteur a, en revanche, raison de relever que dans un pays comme l’Iran, les filles, malgré le régime des Mollahs sont plus nombreuses à étudier à l’université que les garçons. C’est exact, mais voyez comme on les habille.
        L’analyse de Todd est séduisante mais manque de rigueur : d’abord, l’alphabétisation peut conduire à un double enfermement quand on voit l’endoctrinement des enfants des medersas du Pakistan ou d’Afghanistan. Ensuite, on ne relève pas avec tant de netteté cette baisse de la natalité et enfin le processus de laïcisation n’opère pas de manière similaire selon qu’il est à l’œuvre dans une société judéo-chrétienne ou musulmane. Ce n’est pas du tout la même chose.
       

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