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Histoire - Page 6

  • Renan, la Bible et les Juifs (Paris, Arléa, 2008)

     

    Renan, la Bible et les Juifs (Paris, Arléa, 2008) vient de paraître. Nous enf diffuons les bonnes pages en souhaitant à nos lecteurs et aux internautes de bonnes lectures…

    Pourquoi Renan aujourd’hui ? Et plus particulièrement son voisinage avec la Bible et les juifs ? Mort en 1892,  philosophe statufié par la IIIe République qui a donné son nom à tant de rues et d’avenues dans toutes les villes de France, l’auteur de la Vie de Jésus est probablement le Français le plus connu dans le monde des lettres…
    Et pourtant, dans son propre pays, une série de malentendus s’est nouée autour de son nom. Notamment en ce qui concerne l’antisémitisme, les théories raciales et une germanophilie soutenue, confinant à la monomanie…
    Ma rencontre avec Ernest Renan remonte à mes premières années d’étudiant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (section des sciences religieuses) lorsque mon regrette maître Georges (Yehuda Arye) Vajda me recommanda d’étudier le tome XXXI de l’Histoire Littéraire de la France, publié par Renan avec l’aide décisive d’un érudit juif Adolphe Neubauer, Les écrivains juifs français du XIVe siècle. Je fus, à un si jeune âge, stupéfait par une connaissance si approfondie de la philosophie juive, de la langue hébraïque médiévale et de la littérature allemande. J’étais moi-même passionné par mes études hébraïques, philosophique est germaniques. Mon maître Vajda était jusqu’à me dire, par boutade, que l’allemand était la première des langues… sémitiques, rendant ainsi un hommage appuyé à l’orientalisme des savants germaniques.
     Cela me rapprochait considérablement de l’illustre savant originaire de Tréguier… Il aimait l’allemand, l’hébreu, la Bible et la philosophie. Moi aussi. Je voyais comment il avait dévoré l’ouvrage que Johann Gottfried Herder avait consacré à la poésie sacrée des Hébreux, comment même son style français épousait les contours des phrases germaniques qui constituaient sa nourriture spirituelle quotidienne : Sa Vie de Jésus n’aurait probablement jamais vu le jour sans l’œuvre de David Friedrich Strauss (1835/36) sur le même sujet ; et la même remarque vaut de son Histoire du peuple d’Israël qui devait beaucoup à celle de son modèle allemand Heinrich Ewald…
    J’étais moi aussi, je le suis toujours, fasciné par cette science germanique et ce dix-neuvième siècle allemand qui vit un essor considérable de la philosophie et de la science du judaïsme…  Mais l’homme était Breton, à l’origine, et surtout issu d’un milieu très catholique au point d’avoir même songé à une vocation ecclésiastique… Or, cette époque là se situe bien avant le concile de Vatican II et n’avait aucune idée de l’encyclique  Nostra Ætate. Et dans les églises, on priait encore pour «les juifs perfides»…
     En bref, le cas Renan était soigneusement conservé dans un coin de mon esprit
    Pour soutenir ma thèse de IIIe cycle sur La méthode d’interprétation allégorique dans la pensée juive du Moyen Age et ensuite ma thèse de doctorat d’Etat sur La philosophie et la théologie de Moïse de Narbonne (1300-1362), j’avais dû lire et relire assidûment les travaux de Renan sur ces mêmes philosophes juifs. J’ajoute que ma rencontre avec le regretté professeur André Caquot, titulaire de la chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France (lointain successeur de Renan à ce poste) et l’amitié que je nouais avec cet éminent hébraïsant renforcèrent ma curiosité. Lors de l’une de nos rencontres dans son bureau au Collège de France, André Caquot me prêta volontiers les volumes de l’Histoire du peuple d’Israël dont je fis mon profit. J’éprouvai alors ces sentiments mêlés qui assaillent tout lecteur attentif de Renan : une admiration sans bornes pour le style étincelant et l’étendue des connaissances, maintes fois contrariée, hélas, par des jugements à l’emporte-pièce sur certains aspects de l’histoire de l’antiquité juive…
    Comme me l’avait appris une lecture attentive du Guide des égarés de Maimonide, je résolus de découvrir la pensée profonde de l’auteur. Et je préfère reconnaître d’emblée que je ne suis pas toujours sûr de l’avoir entièrement trouvée… Mais je suis au moins convaincu de ne pas m’être intégralement trompé. C’est de cette confrontation avec l’œuvre que naquit mon intérêt pour l’homme et ma décision de faire ce livre.
    Pendant plusieurs années, je fis, grâce à Danielle, l’acquisition des œuvres de Renan que je lus et relus lentement, sans me fixer de limite dans le temps. Je lus la plupart des auteurs sérieux qui tentèrent d’élucider le sens de son œuvre. La suite se fit naturellement : durant toute une année je consacrais mes cours à l’Université de Genève au thème de livre, Renan, la Bible et les juifs. Car il m’apparut que l’unique manière d’éviter les contradictions et de trouver le fil d’Ariane dans ces innombrables déclarations contradictoires sur les juifs et le judaïsme était de «périodiser», de différencier entre la Bible, le Talmud, le Moyen Age et l’époque où Renan vivait… Restent assurément les préjugés ingérés durant l’enfance et l’adolescence, des âges où on ne pense pas encore par soi-même et où on absorbe sans difficulté les idées reçues. Il est incontestable que ces clichés rejaillissent parfois sous la plume de l’auteur et contribuent à le desservir fâcheusement. Il convient donc d’être prudent dans toute entreprise de «cacherisation» de Renan. L’une de mes auditrices à Genève, une grande dame de plus de 86 ans, m’assurait que du temps de sa jeunesse, Renan passait pour un antisémite frictionné…
    Il y a aussi, éparpillées à travers toute l’œuvre, ces déclarations quelque peu inattendues sous la plume d’un savant de l’envergure de Renan, assurant, sans discernement suffisant, que le «christianisme était la vérité du judaïsme», ce qui était une reprise pure et simple de la fameuse théologie de la substitution dont même les franges les plus conservatrices de l’église catholique se sont prudemment démarquées depuis. J’avoue simplement que de tels passages, trop nombreux à mon goût,  n’ont rien à faire dans une œuvre scientifique ; et on sait que Renan faisait, par ailleurs, grand cas de la méthode historico-critique, si prisée par les savant d’outre-Rhin qu’il admirait tant.
    En 1936, un spécialiste suisse de la poésie de Goethe avait publié dans la Revue juive de Genève un article assez dur sur Renan. Sa lecture m’a bouleversé car il y disait que, certes, Renan n’était pas un antisémite mais que ses «thèses dûment germanisées» pourraient faire des ravages… Et ce fut le cas , même si Renan n’y était pour rien. Néanmoins, j’ai maintenu le cap, je n’ai pas interrompu mes recherches et ai poursuivi mes lectures sans a priori.
    Cependant, un verset d’un traité talmudique, Les chapitres des pères (Pirké avot), véritable raison pratique du judaïsme rabbinique (pour parler comme Kant) me revient à l’esprit ; ce verset me fut enseigné par mon père alors que je n’avais pas encore sept ans : hakhamim ! hizzaharou be-divrékhém. Ce qui signifie : Sages, prenez garde à vos paroles. Et Renan ne l’a pas toujours fait.
    Mais je ne finirai pas sur une noue pessimiste. Renan s’est beaucoup intéressé à la littérature sapientiale de la Bible. Voici ce qu’on peut lire dans le livre des Proverbes (10 ;12), véritable joyau de cette littérature : ‘al kol pesha’im tekhassé ahava : la haine suscite des querelles, mais l’amour couvre toutes les fautes.

                                    Paris, février 2008

                                    M-R.H
     

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  • Georges Bensoussan, Un nom impérissable. Israël, le sionisme et la destruction des juifs d’Europe. Paris, Le Seuil, 20

     

         Georges Bensoussan, Un nom impérissable. Israël, le sionisme et la destruction des juifs d’Europe. Paris, Le Seuil,  2008

        La thèse de ce livre est claire : montrer que c’est au terme d’une évolution progressiv, sous la pression d’événements extérieurs particulièrement graves, que l’Etat d’Israël s’est graduellement approprié la Shoah, a repris cet héritage douloureux et s’est reconnu dans le prolongement même de l’histoire du judaïsme de la diaspora. Et notamment celui d’Europe qui a subi une saignée encore jamais vue.
        On connaît la thèse arabo-palestinienne que plus personne ne reprend tant elle est infondée : ce seraient les puissances européennes, culpabilisées par l’aspect effroyable de la Shoah qui auraient accordé un Etat aux Juifs, privant les pauvres Palestiniens de leur patrie, eux qui n’étaient pour rien dans le massacre des Juifs d’Europe. Une sorte de création artificielle de toutes pièces, sans aucun lien historique …
        L’auteur n’en parle pas et préfère axer son propos sur les réalités historiques vérifiables. Dans un long chapitre, nourri aux meilleures sources, il rappelle que depuis des siècles, les Juifs de la Diaspora ont maintenu en vie le lien avec la Terre promise. Bensoussan se limite au XIXe siècle mais il aurait pu remonter au XVIe siècle même, lorsque les kabbalistes de Safed, regroupés autour de la figure charismatique d’Isaac Louria (qui a d’ailleurs donné son nom à cette mystique tardive)… L’auteur a préféré se concentrer sur la XIXe siècle, montrant les vagues successives d’immigration, la diffusion de la langue hébraïque, l’établissement du dictionnaire hébraïque en plusieurs volumes d’Eliézer Benyehuda, le développement d’une littérature hébraïque moderne, la construction d’une vraie ville à Tel Aviv, le maillage du pays par des villages agricoles (kibboutz, mochav, etc), la multiplication des journaux et de quotidiens hébraïques, la fondation de l’Université Hébraïque de Jérusalem et des milliers d’autres faits de moindre importance attestant de la volonté indomptable des Juifs de revenir sur la terre ancestrale et de s’y établir durablement.
        L’auteur analyse avec objectivité les réactions du yishouv, c’est-à-dire de la population juive de Palestine, face aux menaces pesant sur la diaspora d’Europe, en butte aux lois raciales de Nuremberg et ensuite victime de la solution finale. L’objet du débat est le suivant : est-ce que le yishouv n’a pensé qu’à sauver sa peau, à assurer sa survie et a laissé la diaspora à son triste sort, c’est-à-dire promise à une mort certaine ? Ben Gourion et Moshé Shertock se sont défendus contre de telles accusations, mais les passages cités par l’auteur jettent quelque peu le trouble sur ce qui s’est passé. Et une partie de l’historiographie israélienne n’hésite pas à parler de culpabilité des autorités du yishouv qui auraient peut-être pu faire plus… Ben Gourion avait souvent exprimé les craintes sérieuses éprouvées par les Juifs de Palestine en voyant, après la chute de Tobrouk, l’avancée irrésistible de l’Afrika Korps de Rommel. Si cette division d’élite n’avait pas été stoppée à El Alamein, que serait-il advenu du rêve sioniste ? Cet épisode est particulièrement douloureux et l’on saura gré à l’auteur de l’avoir évoqué (je n’ose pas dire traité car c’est gigantesque) de manière équilibrée et pondérée. On trouve aussi des déclarations sur l’immigration jadis obstruée par la puissance mandataire britannique. Bensoussan cite un passage particulièrement tragique où unn Juif d’Europe se lamente sur son sort et reproche à son oncle de l’avoir abandonné et d’être parti en Palestine. C’est un point très douloureux et très controversé qui fait encore couler beaucoup d’encre et de larmes en Israël.
        Le livre parle aussi très largement du hiatus, du fossé, qui s’est creusé entre une jeunesse combattante juive, ayant grandi sur le sol ancestral, et une foule de pauvres juifs (ce mot lui-même ayant pris dans la bouche des jeunes combattants une connotation péjorative) qui se sont laissés massacrer sans résistance. On a alors favorisé l’exaltation des jeunes combattants des Ghetti (lohamé ha-Ghettaot), Ben Gourion allant jusqu’à dire que les combattants juifs auraient tué les soldats de la Wehrmacht jusqu’au dernier… Dans un autre ouvrage, j’ai lu que là où les officiers d’Etat-Major (Rabin en tête) traitaient les gouvernants civils (Lévy Ehkol notamment) de juifs, ces derniers répliquaient en qualifiant leurs jeunes militaires de Prussiens, ce qui n’était pas vraiment un compliment dans ce cas précis…
        Cette discrimination mentale était certes silencieuse mais elle a contribué à un refoulement qui dura des décennies. Après l’indépendance, s’est posée la question des relations diplomatiques avec la RFA et l’acceptation ou non des réparations allemandes (Wiedergutmachungen) ; mais poursuivons le déroulement de la thèse : c’est en 1967, lorsque pesa sur Israël la menace d’une extermination nouvelle (Ahmed Choukeiri, le patron des Palestiniens disant depuis Gaza qu’après la guerre il n’y aura plus de problème juif, puisque tous les juifs auront été massacrés…), que l’on reprit l’héritage de la Shoah comme quelque chose d’intrinsèquement israélien et non plus de juif de la galout (l’exil) dont on avait honte…  Ce sentiment assez légitime fut clairement exprimé vers la fin des années 90 par le général Ehoud Barak en visite à Auschwitz. Il déclara en substance ceci ; nous, membres des forces armées d’Israël arrivons en ce lieu cinquante ans plus tard (après les massacres), cinquante ans trop tard (sous entendu ; si nous avions été là, les choses se seraient passées autrement et nous aurions infligé aux Nazis une cuisante défaite…)…
        Mais c’est bien en 1967 que l’assimilation entre Nasser et les Nazis fut faite, permettant l’identification de tout un peuple avec non plus une partie de son héritage (la reconquête de la terre d’Israël) mais avec la totalité de l’histoire juive, celle-là même qui fut jalonnée de souffrances, d’humiliations et enfin d’extermination.  Entre temps, on avait érigé le mémorial Yad washem (qui a d’ailleurs donné son nom au livre même) ; et là l’auteur expose les divergences de vues entre le grand historien Dinour qui privilégiait l’approche historico-critique et une autre école, plus jeune qui optait au contraire pour une méthode plus natioanle, voire politique. On perçoit ci de l’historien Dubnov mais aussi, dans une certaine mesure, Grätz. Je pense que les derniers avaient raison car la Shoah ne doit pas être appréhendée sur un plan exclusivement critique. C’est un des éléments incontournables de l’essence même du juif ou du judaïsme contemporain.
    C’est donc une œuvre de reconquête que Yad washem a mené avec succès dans le camp politique et idéologique israélien.  Récemment, lorsque la Chancelière Fédérale Angela Merkel s’est rendue en Israël, les consultations gouvernementales entre les deux délégations se sont déroulées dans l’enceinte de Yad washem : tout un symbole
        L’auteur s’interroge aussi sur l’instauration d’un jour de commémoration de la Shoah qui est devenu en Israël le Yom ha-Shoah we-ha-Gevoura, le jour de l’extermination et de la bravoure… Que l’on ait ou non exalté un héroïsme hypothétique ou trop tardif, on a bien fait d’associer la destruction à la renaissance, afin de tourner enfin le dos à ce deuil et à ces plaintes sempiternels que les religieux affectionnent tant. Les autorités politiques ont donc réussi une sorte de laïcisation ou de politisation (bienvenue) d’un douloureux passé qui appartient désormais à la nation tout entière et non plus à sa seule frange religieuse.
        Il n’en pas moins évident que la mémoire de la Shoah ne doit pas occulter celle du judaïsme et des valeurs juives tant culturelles que cultuelles. Si la Shoah a eu lieu, c’est parce qu’on en voulait aux Juifs en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’incarnation d’un message qui a apporté le monothéisme éthique et le messianisme à l’humanité civilisée. Il ne faut que le judaïsme multimillénaire soit occulté ou remplcé par la religion ou la théologie de la Shoah. Et ce n’est pas amoindrir le moins du monde la place qui revient à cet événement des plus dramatiques que de le dire.
        Cette mise au point nous permet de conclure sur un aspectt qui nous semble crucial pour le développement de l’histoire contemporaine, mais aussi dans la définition de l’essence du judaïsme. Quelle est la place de la Shoah dans la définition du juif contemporain ? Doit-on vivre dans un passé douloureux ou doit-on, au contraire, tout en maintenant le passé, opter résolument pour l’avenir, sans jamais, je le répète, jeter le passé par dessus bord ? On devine ma réponse.
        Je crois que cette alternative est correctement résumée par deux citations produites dans le livre de M. Bensoussan ; p 109 : je veux qu’on raconte à ma fille l’histoire de Cendrillon et pas celle d’Auschwitz. Déclare une héroïne de la romancière  Savyon Liebrecht , excédée du poids de la mémoire en Israël (et en Diaspora).. p 149 : au cours de l’hiver 1943, une rescapée du ghetto de Varsovie qui vient d’arriver en Palestine dans le cadre d’un échange entre ressortissants étrangers rend visite à Ben Gourion. Quand j’eus terminé de parler, j’ai vu des larmes dans ses yeux… Ben Gourion était là et pleurait… quelques semaines plus tard, Ben Gourion écrivait à sa secrétaire à Washington : je ne peux me dégager du cauchemar qui, à nouveau, nous a été transmis… tu te sens totalement impuissant sans même pouvoir devenir fou… et ce n’est pas facile, crois-moi.
        Tout est dit.
       


     

       
     

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