C'est un véritable problème d'ordre pédégogique et philosophique à la fois auquel l'auteur s'est confronté dans un livre très bien informé, riche, instructif, même si parfois le jargon prend le pas sur l'exposé clair et lisible.
Comment enseigner la Shoah dans nos établissements d'enseignement secondaire? Quels points mettre en avant: la singularité de la Shoah, son unicité (au point de retomber dans la même erreur funeste que les Nazis qui soulignaient l'étrangeté intrinsèque des juifs?), son caractère incomparable et inconmmensurable à la fois etc… Peut-on, comme le dit l'auteur dans les toutes premières pages de l'ouvrage, refroidir cette question en un sujet d'histoire comme un autre… ?
Doit-on se fier aux historiens qui confrontent les sources, se livrent aux critiques internes et externes, en une phrase faire un vrai travail d'historien ou écouter les témoins qui livrent, de leur mieux, une expérience inénarrable et pourtant vraie? Lisons cette phrase frappée au coin du bon sens ( p 7): et la transmission scolaire de la mémoire de la Shoah atteste d'abord de cette difficulté persistante à faire d'Auschwitz un objet de distanciation critique et savante. A elle seule, cette phrase résume bien le caractère malaisé de l'entreprise pourtant indispensable: rendre compte dans les livres et les cours d'histoire de cette tentative des Nazis d'amputer la culture et l'identité européennes de ses dimensions juives.
Car, c'est bien de cela qu'il s'agit. la Shoah, c'est d'abord, vue sous l'angle de la culture, le constat d'un profond divorce entre l'identité juive (telle que la se représentaient les Nzais) et la culture européenne dont iles juifs furent pourtant de substantiels contributeurs.
le présent ouvrage montre bien le hiatus qui surgit nécessairement entre la mémoire et l'histoire. On se souvient de ce que Marguerite Yourcenar écrivait dans les Mémoires d'Hadrien, en substance, le passé, c'est la trace que les événements laissent dans notre mémoire. Or, pour faire de l'histoire et l'enseigner, il faut une matière historique. Heureusement, les historiens sérieux ne nient pas pas la Shoah, mais il faut tenir compte des difficultés ressenties par les professeurs du secondaire devant des publics dits difficiles (maghrébins, arabes, africains) qui, parfois, manifestent de l'impatience, voire même un violent désaccord lorsqu'il est question de la destruction des juifs d'Europe… Certains, dit-on, vont jusqu'à quitter la salle de cours!
Il y a un aspect que l'enseignement de la Shoah laisse généralement de côté, c'est la cause de la Shoah. Pourquoi a-t-on organisé l'extermination des juifs? Parce qu'ils étaient juifs, évidement. Mais en quoi consistait leur judéité ou leur appartenance juive? Elle tenait à l'essence de leur religion, qu'ils l'aient ou non pratiquée.
Et là, la perspective change du tout au tout. Or, on enseigne la mémoire de la Shoah sans rien dire de l'essence du judaïsme, même si un philosophe comme Emmanuel Levinas a apporté à cette compréhension de l'essence du judaïsme une substantielle contribution. Il a expliqué, par exemple, que l'altérité juive était plus d'ordre éthique que rituel. On m'objectera que les Nazis n'en avaient cure, et c'est hélas vrai. Mais ce travail apporterait un complément d'information indispensable.
Enfin, cette mémoire de la Shoah qui doit perdurer et qui, je le slouligne, est l'une des caractéristiques fondamentales et incontournable de l'identité juive contemporaine ne doit pas se substituer à la mémoire du judaïsme lui-même: en une phrase, nous ne devons pas aboutir à une théologie ou une religion de la Shoah qui remplacerait la religion ou la théologie du judaïsme. Ce serait un contre sens à la fois historique et philosophique.
Car, ne l'oublions pas, c'est parce qu'ils étaient juifs que tous ces êtres ont été impitoyablement tués. Le socle, le fondement de la mémoire de la Shoah, c'est l'essence du judaïsme, qu'elle soit religieuse, philosophique, ou culturelle au sens le plus large.