Ce recueil de nouvelles, agréables à lire et qui paraissent vraiment inoffensives, concent rent en réalité tous le mal de vivre, toute l'existence inconfortable des rescapés de la Shoah, même en Israël.
De quoi s'agit-il? D'une fille, Elisabeth, qui observe les curieux faits et gestes de sa mère Héléna, laquelle mène une existence en marge de la société dans laquelle elle vit. De la cohabitation de ces deux êtres marginaux naît une sensation étrange, qui, replacée dans le contexte israélien actuel, ne laisse pas de nous interroger: l'existence juive sera -t- elle jamais normale? Est-ce que la naissance de l'Etat d'Israël signifie vraiment la fin de la question juive ou de ce que l'on a coutume de désigner par ce vocable qui remonte au milieu du XIXe siècle allemand?
Evidemment, la Shoah constitue un irremplaçable arrière-plan de ces nouvelles; elle conditionne absolument tout: le caractère de la mère, les réactions de sa fille, la perception de l'environnement social et familial, les attentes, les aspirations et surtout les déceptions.
La toute première nouvelle est glaçante: en écoutant une émission de radio, la mère, dont la famille a été décimée par la Shoah, croit avoir retrouvé à l'autre bout d'Israël, d'hypothétiques parents; accompagnée de sa fille, elle entreprend un épuisant voyage qui se solde par une nouvelle déconvenue: le parent putatif n'en est pas… Et tout le reste est l'avenant. Donc, les deux pauvres sont condamnées à la solitude. Aucun lien personnel, digne de son nom, ne peut être établi avec le monde extérieur.
Peut-on en tirer une philosophie ou un enseignement? Certes, oui. Si les enfants innocents des bourreaux sont parvenus à maîtriser leur passé (Vergangenheitsüberwältigung) , il faudrait, en bonne logique, que les survivants ou leurs enfants (quand ils en ont eu) en fissent autant. C'est dur, voire impossible, et pourtant, il faut réapprendre à vivre. Vu l'espace, que dis-je, le volume pris par la Shoah dans la vie juive contemporaine, on se demande ce qu'il reste pour constituer une identité juive épanouie et normale.
Mais ce livre demeure un message d'optimisme, une volonté de vivre, avec le passé, sans oublier le passé, mais aussi sans en être obsédé. Sinon, c'est la psychose obsessionnelle.
Pourquoi n'es tu pas venue avant la guerre? Editions Héloïse D'Ormesson, Paris, 2008.