Corinne ROCHE, Mazel Tov, Mister Poullaouec, Editions Héloïse d'Ormesson, Paris, 2008
Evoquer des problèmes identitaires graves et compliqués sur un ton badin, voire enjoué, c’est exactement ce que fait Corinne Roche, romancière, qui a vécu quelque temps en Israël et qui a su rendre, en des termes à la fois simples et profonds, les vicissitudes du nouvel Etat juif et de ses citoyens, sans omettre les difficultés existentielles des Israéliens.
Pour parvenir à ses fins, l’auteur imagine les tribulations d’un jeune breton, son frère, qui vit plus ou moins à ses crochets, mène une vie ou plutôt se laisse entraîner par le courant, lequel finit par le mener, de manière inattendue, en Israël dans un kibboutz où on veut bien de lui… Dans la foulée, il s’invente un grand père juif et prétend vouloir, dans ce lieu, recoller les morceaux de son identité juive éclatée. Cela tombe bien, ce pays sert justement à cela ; et personne ne s’étonne que ce Benjamin Pellaouec, breton bretonnant, n’ait aucune notion de judaïsme, ignore tout des interdits alimentaires et de l’histoire juive en général. Après tout, se dit-on, c’est le cas de millions de juifs russes qui durent renoncer à leur vie juive durant des décennies de communisme déculturant. Et comme l’hébreu est une langue consonantique et que les consonnes se lisent différemment si on le revocalise, notre breton devient presque naturellement Benny Pollak !!
Que l’on ne s’y trompe pas : derrière les tribulations de ce breton écervelé en Terre sainte se cachent des questions d’un candide qui ne l’est pas vraiment : qu’est-ce que l’identité juive ? Pourquoi est-elle toujours éclatée ? Qu’est-ce qui unit tant de juifs, venus d’horizons si différents ? Et, en filigrane, quelle est l’essence du judaïsme puisque quiconque, pouvant se prévaloir d’origines juives lointaines, même hypothétiques, peut bénéficier de la loi du retour ?
En parlant de la vie quotidienne des israéliens, en présentant les interdits alimentaires, la solennité et le repos du chabbat, les drames quotidiens du terrorisme et de l’armée qui doit défendre le pays, les petits problèmes quotidiens des habitants de cette terre, pas plus grande que deux départements français, l’auteur administre aux ennemis d’Israël une belle leçon de choses…
j’ai bien aimé ce livre, si finement écrit. On y découvre une tendresse qui a la pudeur de ne pas se déployer trop ouvertement, ce qui signe l’origine féminine de son auteur. Et je ne puis résister à la tentation de souligner ce délicieux lapsus de la page 125 : le réveillon du séder…Ce pourrait presque être le credo, le slogan ou le mot d’ordre d’un juudéo-christianisme enjambant deux bons millénaires de contestations si sanglantes entre juifs et chrétiens.
Après tout, la cène s’est bien passée sur cette terre. Et avant de s’appeler ainsi, elle s’appelait séder…
Maurice-Ruben Hayoun
(mrhayoun.blog.tdg.ch/)