Sari NUSSEIBEH. Anthony DAVID. Il était un pays. Une vie en Palestine. Traduit de l’anglais par Marie Boudewyn. Jean-Claude Lattès, 2008.
Voici un livre émouvant, écrit de manière mesurée, sans haine ni ressentiment, mais avec une certaine fermeté de plume. Je n’en approuve pas tout le contenu, mais je trouve qu’il est sorti de la plume de l’un des meilleurs intellectuels palestiniens qui aient jamais défendu la cause qu’il croit être la bonne. Même Amos Oz, co-fondateur , il est vrai, du mouvement La paix maintenant, donc inclinant vers la gauche israélienne, a tressé quelques couronnes convenues à ce livre. Qui, je le répète, ne m’a pas laissé indifférent.
Ecrit par un rejeton d’une veille famille de Jérusalem qui, de manière toute hagiographique, fait remonter sa propre lignée aux générations suivant immédiatement celle du prophète de l’islam, l’auteur a étudié dans de bonnes universités anglo-saxonnes (ce qui lui permit non seulement d’acquérir culture et ouverture d’esprit) mais aussi de trouver l’âme sœur, ce qui n’est pas sans avoir influencé sa vision de l’univers et son approche des problèmes de l’existence. En particulier une existence en Palestine, ce pays qui, bien que voté par l’ONU à l’occasion du partage, ne vit jamais le jour car les armées arabes déclarèrent la guerre au jeune Etat juif et que le roi Abdallah Ier, le grand père du souverain hachémite actuel, s’empressa d’annexer la Cisjordanie…
L’habileté de la présentation de ce livre a consisté à dérouler une vie en la nouant autour d’un groupe ethnique ou d’un peuple, les Palestiniens. Et là, je dois dire que l’auteur fait preuve d’un esprit critique fort apprécié, tout d’abord à l’égard de ceux qu’il nomme les « occupants», mais aussi les politiciens palestiniens dont il stigmatise à longueur de pages, l’incompétence, la cupidité et la corruption. Les pages écrites sur la mentalité et le mode de gouvernement du défunt Yasser Araft sont étonnantes de lucidité et de franchise. Cet auteur a résisté de son mieux, grâce à sa formation philosophique et à son étude approfondie des œuvres d’un grand philosophe musulman du IXe siècle, père de la falsafa, Abu Nasr Al-Farabi. Ce dernier dressait en fait un portrait du souverain de la cité vertueuse qui ne correspondait pas en tous points au personnage de l’ancien président de l’Autorité palestinienne… C’est ainsi que l’auteur refusa poliment les postes trop en vue que le vieux leader tentait de lui confier ; cela rappelle les difficultés de Mahmoud Abbas, alors Premier Ministre, avec le même leader, un Abbas sur lequel l’auteur ne tarit pas d’éloges.
Sari Nusseibeh a été un philosophe attiré par l’action politique (voire terroriste quoique non violente, il s’est contenté, dit-il, d’introduire des sommes d’argent qu’il répartissait entre les activistes…) mais rapidement déçu par elle. Très instructif est son écartèlement entre un poste de professeur associé aux USA et un portefeuille ministériel confié par Arafat. Ce qu’il dit de l’université de Birzeit qu’il dirigea durant des années est très lucide ; il a pu constater, impuissant, la montée en force des adeptes du Hamas qui cherchèrent régulièrement à le neutraliser au motif qu’il ne défendait pas les mêmes idéaux qu’eux… Il stigmatise aussi l’arrièrisme et la monomanie des islamistes, ivres de lectures du Coran ,au point d’y découvrir même les prévisions météorologiques… l’hommage qu’il rend à son épouse Lucie sur ce point mérite d’être mentionné, Son islam à elle, issue d’une famille d’athées, est plus valide que celui des obscurantistes.
L’auteur a passé, avec un tel parcours de militant de la cause palestinienne, un peu de temps, derrière les barreaux mais reconnaît n’avoir jamais été maltraité, même s’il consacre des chapitres entiers aux dires de ses étudiants, arrêtés pour activités terroristes. Universitaire, il émaille ses développements de références à John Locke, à Spinoza et à Kant… Il a même collaboré (dans le bon sens du terme) à l’enseignement de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il reconnaît les mérites de ses amis israéliens de gauche qui lui permirent d’assister à des séminaires de Shlomo Pinès sur les Lois de Platon. Il prit aussi connaissance des travaux de Léo Strauss sur al-Farabi, son auteur préféré, même si Avicenne retint aussi quelque peu son attention.
Ses présentations des hommes politiques israéliens de droite comme de gauche sont assez tranchées : il ne porte dans son cœur ni Shamir, ni Bégin, ni Sharon, tout juste Pérés et un peu Rabin. Ehoud Barak l’a déçu , sans oublier le président américain Clinton auquel il reproche d’avoir imputé au seul Arafat l’échec des négociations du Camp David.
Ce livre est trop riche, trop documenté pour qu’on puisse le résumer en si peu de lignes. Il convient de lire, sans en trop mâcher les feuilles…
Il est dommage que les Palestiniens n’aient pas eu la sagesse politique de pousser vers l’avant un homme comme l’auteur qui sait, malgré son unilatéralisme, juger avec pondération et modération.