Le philosophe allemand Hegel qui tint la plus belle chaire d’université de Berlin jusqu’à sa mort vers 1830, disait, entre autres, que la lecture des nouvelles, donc des journaux, était une sorte de prière quotidienne. Elle permettait de nous unir, de nous relier (comme le terme religion) au reste d’une région, d’un pays. On n’en était pas encore à l’autoroute de l’information ni à l’internet qui unit directement l’individu le plus isolé au monde entier, devenu un véritable village…
Malgré tout son génie créateur et sa remarquable faculté de synthèse, l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit et de la Philosophie de l’histoire ne pouvait pas prévoir deux types d’évolution qui allaient révolutionner notre approche du monde et transformer de fond en comble notre Weltanschauung, tout juste un siècle et demi après sa disparition : l’accélération de l’histoire et la mondialisation, c’est-à-dire la transformation du monde habité en un village planétaire unique, comme le veut cette expression nouvellement consacrée.
En se couchant hier on a pris connaissance des dernières nouvelles, grâce aux programmes télévisés. Au lever, ce matin, les nouvelles de la nuit d’hier ne sont déjà plus du tout nouvelles car supplantées par d’autres, plus fraîches (comme on dit) mais tout aussi sinistres, sinon plus… Des exemples ? En voici : les généraux birmans toujours aussi inflexibles et le ministre Kouchner qui dit à haute voix ce que nous disions dans ce même blog il y a dix jours : les autorités birmanes vont se rendre coupables de crime contre l’humanité en empêchant l’aide internationale de parvenir là où on l’attend… La Chine ? On regarde avec soulagement le sauvetage de quelques miraculés, délivrés de sous les décombres après plus de 120 heures de cauchemar… Ingrid Betancourt, le Tibet, oubliés…
Mon Dieu ! Quand donc cela va-t-il s’arrêter ? Et dans l’intervalle, presque entre les gouttes, quelques nouvelles de chez nous qui paraissent totalement décalées : les marins pécheurs qui bloquent l’accès à l’île d’Oléron, suite au renchérissement du prix du gasoil… Vous vous rendez compte, ce carburant est devenu presque aussi cher que le super carburant ? Mais c’est inadmissible !! Je rappelle que quelques secondes auparavant on nous montrait des mamans chinoises poussant de cris de douleur en identifiant les cadavres de leurs proches, ou des rescapés birmans reconnaissant jeter les cadavres à la rivière pour conjurer le danger d’épidémie… Dans la foulée, toujours après quelques secondes, les supporteurs exaltés de Marseille, de Lens ou de Lyon qui disent leur soulagement de ne pas avoir été relégués en ligue II. Oh, oui, on respire pour eux ! Mais quel drame c’eût été de se retrouver en ligue II, la vie eût été insupportable…
Que dire ! Cette semaine, Le Figaro consacrait une partie de son supplément littéraire au grand ethnologue français Claude Lévi-Strauss, savant remarquable qui a porté la science française aux quatre coins de l’univers ; il y avait un petit croquis humoristique présentant un jeune hippie qui demandait à une libraire le Guide des Tropiques et la dame répondait, d’un ton désolé, Tristes tropiques…
Oui, tristes tropiques !