LE DRAPIER DES LANCIERS : LA SYRIE ET SON JEU COMPLIQUE
Les nouvelles venant de Damas et de Téhéran sur la poursuite de l’alliance prétendument stratégique entre les deux pays, l’un perse et l’autre arabe, ne laissent pas d’intriguer les esprits cartésiens qui peuplent les chancelleries et les salles de rédaction de notre continent européen.
Toute la logique occidentale est fondée, depuis Aristote, le maître d’études d’Alexandre le Grand, sur deux principes : celui de l’identité et celui de la contradiction. Un égal à un et non pas à deux et deux est deux et non point un. En d’autres termes, si je vous aime je ne vous hais pas et si je vous hais je ne vous aime pas.
Dans un paysage mental oriental, il en est autrement. Il y a même un art oriental qui consiste à dire avec éloquence le contraire de ce que l’on pense mais dont on aimerait persuader l’interlocuteur.
Où voudrais-je en venir ? A ceci : si on ne fait pas abstraction de nos principes de logique, on ne réussit pas à saisir les subtilités de la situation aujourd’hui entre Damas et Téhéran, deux capitales entre lesquelles les Occidentaux tentent (avec succès ?) d’enfoncer un clou…
Une remarque préliminaire : si les choses étaient si claires, pourquoi multiplier les visites, parfois au plus haut niveau, entre les deux pays ? Pourquoi répéter à très haute voix que l’on tient tant l’un à l’autre ? Mais aussi parallèlement, et c’est le plus important, comment annoncer qu’en dépit des remous politiques en Israël, les pourparlers indirects reprendront à la mi août ? Et pourquoi le président syrien s’entretient-il directement avec le premier Ministre turc Erdogan ?
Si le dossier syro-israélien ne reposait sur rien, cela ferait trop de soins et d’attentions pour peu de choses ?
En réalité, les choses sont à l’inverse, mais aussi inquiétantes. Car si les Syriens ont enfin compris qu’ils ne peuvent poursuivre sur cette voie suicidaire adoptée depuis l’an 2000, ils doivent prendre des précautions au sein même de leurs propres cercles dirigeants… Certains organes arabes d’information parlent de la disparition mystérieuse d’un général, très proche du président syrien et auquel ce dernier confiait des missions très sensibles… On comprend mieux cette danse effectuée par le président syrien (qui est ophtalmologiste de formation, ne l’oublions pas !) et non pilote de chasse, c’est-à-dire militaire dans l’âme comme son défunt père. La danse en question est une danse qui remonte au Moyen Age et s’appelle le drapier des lanciers. Elle consiste à faire un pas en avant et trois en arrière…
En clair, les Syriens (mais pas tous les cercles dirigeants) cherchent à desserrer l’étreinte étouffante des Iraniens et ne peuvent le faire que fort prudemment. En outre, rompus à la cruauté des relations internationales, ils ne veulent pas lâcher la proie pour l’ombre. S’ils lâchent l’Iran et ne reçoivent rien échange, ce serait un isolement redoublée et la ruine assurée. En outre, ils constitueraient une proie facile pour Israël…
Oui, les Syriens effectuent sous nos yeux un véritable drapier des lanciers dont nous avons, en Occident, perdu l’habitude.