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LA VISITE DU PAPE EN FRANCE: AU PAPE JEAN PAUL II IN MEMORIAM

 

A l'occasion de la visite du pape Benoît XVI en France, je voudrais rendre hommage à son prédécesseur qUI AIDA L'EUROPE À S'UNIR. Je voudrais rappeler mon article dans La Tribune de Genève de ce vendredi matin. Plus tard, je reviendrai sur les discours du pape, du président Sarkozy et sur la conférence du pape au Collège des Bernardins. P.E. 

 

 

Ce que l’Europe unie doit au Pape Jean-Paul II

Les nouvelles qui nous viennent du Vatican concernant la santé du pape laissent présager le pire. Voici un pape qui laissera une profonde empreinte dans l’Histoire de l’Europe. On pourrait presque dire, pour résumer les mutations du continent, que deux hommes ont largement contribué à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement de l’URSS : feu le président Ronald Reagan avec son bouclier anti-missiles et… le pape Jean-Paul II qui reprit la fameuse phrase de l’Evangile de Jean : n’ayez pas peur !
Peut-être pouvons exposer quelques idées sous forme bilan de l’action d’un pontificat si riche en évènements. Ce successeur de Saint Pierre ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs : aucun pape n’a autant sillonné la planète, aucun ne s’est jamais autant engagé en faveur de la morale judéo-chrétienne et aucun, enfin, n’a autant lancé d’appels à la paix et à l’entr’aide.
Commençons par un épiphénomène dont les développements ont permis l’éclosion de débats plus sérieux. Les hasards du calendrier ont fait que «l’affaire Buttiglione» suivit de près le vingt-septième anniversaire du pontificat du pape Jean-Paul II : le rapprochement est-il fortuit ou révèle-t-il, au contraire,  une relation profonde entre le débat concernant l’adhésion de la Turquie à l’Union et ce qu’il est convenu d’appeler les  racines chrétiennes de l’Europe ?
Il faut d’emblée couper court à un malentendu qui pourrait dénaturer le débat : des déclarations contestables sur tel ou tel comportement sexuel, se réclamant d’une religion révélée, en l’occurrence le christianisme, ne sauraient prétendre renfermer la quintessence de toute sa spiritualité. Peut-on prétendre que toute la doctrine de l’Eglise tient dans sa seule condamnation de l’homosexualité ? Inversement, a-t-on le droit de tirer profit de ce type de déclarations pour discréditer l’ensemble de valeurs qui ont porté l’Europe judéo-chrétienne et forgé son identité depuis deux mille ans ?
Si personnelles soient-elles, les récentes déclarations de M. Buttiglione offrent l’opportunité salutaire d’un débat de fond sur la personnalité morale et spirituelle de l’Europe et sur le rôle joué par le pape actuel : en d’autres termes, se demander  ce que l’Europe unie doit au pape Jean-Paul II. Ce n’est pas en se réfugiant dans un déni -ou pire-  une haine de soi que l’on pourra surmonter la crise spirituelle que traverse le continent.
Dans le nouvel espace européen qui se dessine sous nos yeux vivent des millions d’hommes et de femmes qui se veulent, par tradition, les supports d’une vision du monde, d’une culture et d’une spiritualité. Or, le socle de la morale chrétienne ou judéo-chrétienne est et reste la Bible dont  le Décalogue  résume  bien les principaux enseignements éthiques : interdiction du meurtre, de l’adultère, du vol, du faux témoignage, respect des parents etc … Ce qui rend malaisé la prise en compte de cet héritage peut se résumer en deux points : l’écueil du fondamentalisme (biblisme ou littéralisme étroit) et la nécessité de l’actualisation (relecture éclairée des Ecritures). Il faut savoir relire et repenser la Bible…
De telles considérations peuvent mener non point au procès d’une certaine idéologie des Lumières (critique acérée du cléricalisme, de l’obscurantisme, des travers de l’exégèse etc…) mais à une certaine réévaluation : le christianisme d’aujourd’hui n’est plus celui qui prévalait il y a deux siècles. Et, au fond, le Vatican n’a pas été le seul à demander l’inscription d’une référence à l’héritage spirituel de l’Europe. L’Allemagne en fit de même, proposant même le syntagme geistig-religiös…… L’Europe s’enrichira en s’ouvrant à d’autres cultures mais elle a aussi le droit de préserver la sienne.
Si l’Europe devenait un jour prochain le lieu d’un authentique dialogue des cultures, le laboratoire d’où émergerait un homme nouveau, conscient de ses racines spirituelles et ouvert vers l’avenir, c’est-à-dire vers l’ Autre, c’est aussi au Pape Jean-Paul II qu’elle le doit. L’Europe doit au pape actuel rien moins que  la prise de conscience de son unité profonde.
Plus qu’un territoire, l’Europe est une culture : ne doit-on pas revenir sur ce qui constitue la spiritualité de l’Europe, ce qui lui a permis de s’élever, au fil des siècles, au rang d’une culture séminale au lieu de demeurer un simple marché de libre échange?  Faute de quoi, l’Europe ressemblerait à un corps sans âme. Une brève rétrospective s’impose : depuis cette mémorable journée de l’année 1978 au cours de laquelle le nouveau pape a lancé à la face de l’univers la parole biblique, N’ayez pas peur, il ne s’est pas contenté de ce rappel évangélique (Saint Jean) mais l’a mis en application avec une force et une persévérance rares. Conscient de la séparation généralement admise  entre le politique et le religieux, le temporel et le spirituel, Jean-Paul II ne s’est pas laissé enfermer dans une conception vieillotte des rivalités entre le sacerdoce et l’empire : il a considéré, contrairement à ce qui avait été fait avant lui, que la situation de l’Europe, au moment de son investiture, ne découlait pas de  conditions normales et qu’il convenait d’y remédier. Bien que ce ne fût point inscrit dans la sphère strictement limitée de ses activités   pastorales, il rappela avec force que les peuples avaient un droit de regard sur la nature de l’Etat qui prétendait les gouverner. C’était une prise en compte claire et indiscutable de l’aspiration des peuples à vivre dans les structures qu’ils se sont eux-mêmes choisis. Or, que dit le préambule de la future constitution de l’Europe ? Il fait clairement référence à l’adhésion profonde des peuples qui choisissent de s’unir, de ne plus se combattre et d’œuvrer en commun à l’émergence d’une grande nation.
Ne devrait-on pas, dans ces conditions, suivre l’exemple de cet «humanisme de l’autre homme» et  voir aussi en Jean-Paul II non point exclusivement le chef d’une Eglise, en bref un leader religieux, mais aussi un représentant illustre des droits de l’homme, un infatigable partisan de la liberté des peuple ? Tout bien considéré, l’héritage biblique et spirituel de l’Europe n’est pas exclusif des autres traditions religieuses, notamment de l’Islam dont les représentants médiévaux (Al-Farabi, Avicenne et Averroès) étaient partisans d’une symbiose culturelle, le fameux legs spirituel gréco-musulman sans l’apport duquel l’Europe ne serait pas ce qu’elle est. Or, ces trois penseurs médiévaux de l’Islam médiéval (auxquels pourraient s’en joindre d’autres) peuvent à juste titre être eux aussi considérés comme des pères spirituels de l’Europe…
Il faut savoir enjamber les barrières et rendre poreuses des frontières ou des cloisons réputées granitiques . Un homme de religion peut aussi être très bien inspiré dans un autre domaine que celui des croyances et donner des  idées qui ne portent pas nécessairement l’estampille de ses convictions religieuses. Certes, on pourrait nous opposer que l’homme a réussi à imposer dans le champ des relations internationales des avancées dont il n’a pas su (ou pas pu) faire profiter sa propre Eglise au plan doctrinal…  Une tel point de vue se laisse défendre mais n’infirme nullement la valeur de l’apport de l’héritage biblique.
Tout en appelant à l’évangélisation de l’Europe –une action qui ne s’apparente pas, selon nous, à un zèle convertisseur mais à la reconquête du terrain perdu- le Pape Jean-Paul II a pratiqué avec ardeur le dialogue interreligieux. Non seulement il s’est rendu dans différents pays musulmans en insistant sur les racines communes de la foi monothéiste mais il  a aussi traversé le Tibre pour se rendre dans la grande synagogue de Rome. Il a aussi fait le voyage de Jérusalem où tous les observateurs reconnaissent qu’il fut très bien reçu. Pratiquant la repentance avec discernement et sincérité, il a glissé un billet entre les pierres du Mur occidental, seul vestige d’un Temple où Jésus lui-même venait prier. Ce geste reste gravé dans toutes les mémoires.
Cette vision supérieure conduit à s’interroger sur les relations existant entre la culture et la religion, car il faut rappeler qu’une Culture universelle, englobant toutes les autres, existe et s’articule autour de deux points majeurs : penser le vrai et pratiquer le bien. Mais la religion, l’appartenance religieuse fait-elle partie de cette Culture ? Aux yeux de cette dernière, le seul problème qui comptait était celui de l’être, or il n’est l’apanage exclusif d’aucune nation ni d’aucune religion.
Une culture génère toujours une tradition, le plus souvent de nature religieuse, qui sert de depositorium, de réservoir à ses croyances, à son passé et à sa vision de l’univers. Si les cultures sont conditionnées ou ordonnées selon des critères d’ordre religieux, elles n’en demeurent pas moins structurées par des valeurs universelles, aptes à transcender les appartenances particulières : en principe, et dans l’ensemble de l’humanité civilisée, la Vie a partout la même valeur, la vérité est ardemment recherchée et le bonheur considéré comme l’objectif suprême. Le philosophe Emmanuel Lévinas avait déjà mis en garde contre cette «joyeuse prise de possession du monde» alors que c’est le bonheur d’autrui qui doit constituer notre essence. Le moi, écrivait-il, c’est l’Autre.
Ce sont ces valeurs transversales, communes à tous les peuples d’Europe, que Jean-Paul II a fait renaître tout en soulignant qu’elles se retrouvent dans toutes les cultures dignes de ce nom. Et c’est ce postulat qui confirme l’existence d’un dialogue des cultures au sein duquel la Culture universelle dialogue avec elle-même. C’est, comme disait Hegel, l’esprit qui prend partout conscience de lui-même. Au fond, la métaphysique rejoint ici enfin l’éthique.
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