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LA VILLE DE SAFED/ CENTRE HISTORIQUE DE LA MYSTIQUE JUIVE (Kabbale) mais aussi réputée pour …. Ses fromages.

La ville d’importance la plus proche du Mitspeh ha-Yamim est bien Safed, la ville qui peut s’enorgueillir d’avoir abrité les esprits juifs les plus spéculatifs depuis les XIVe-XVe siècles. Nous y allons l’après-midi sans même savoir que la ville est presque en état de siège en raison de la tenue du festival des musiques juives et ethniques. Une fête de la musique en quelque sorte. La police est sur les dents, toutes les entrées et les sorties de la ville sont contrôlées, comme dans chaque cité d’Israël qui craint des attentats lors de grands rassemblements. Mais bien plus que les chants et les orchestres, les stands de restauration ou les camelots, ce sont ces venelles, ces immeubles étranges sortis d’un passé remontant à un demi millénaire qui me touchent et me laissent perplexe. Certes, je distingue bien que les Bédouins et Arabes israéliens se joignent à la fête et côtoient les religieux à papillottes qui jouxtent les stands des Druzes venus proposer leurs mets le plus spécifiques. Comme à Jérusalem, Juifs religieux et Arabes s’ignorent (hélas) et passent sans se voir. Nous nous dirigeons vers le quartier le plus ancien, celui où se trouvent les synagogues fondées par des maîtres de la Kabbale , ceux là même dont je parle dans mes livres sur le Zohar (Pocket, Paris, 2004) et La philosophie juive (Paris, Armand Colin, 2003, coll. U). Il s’agit du célèbre Isaac Louria, fondateur de la kabbale qui porte son nom (lourianique) ou aussi dite de Safed, de Joseph Caro, le compilateur du code religieux Shulhan Aroukh mais aussi de cette autobiographique mystique, intitulé Magguid mesharim (il s’agit d’un ange, la Michna personnifiée qui lui parle la nuit). Il y a aussi la synagogue du grand kabbaliste, Alsheikh et de celui qui rédigea le magnifique cantique d’accueil de la princesse chabbat, celle là même qui inspira au poète judéo-allemand Heinrich Heine le chant Prinzessin Schabbat.. Il ne faut pas oublier le plus ancien de tous, Isaac Aboaf qui vécut au milieu du XVe siècle. Et aussi Moïse Cordovéro, l’auteur du grand ouvrage Pardès Rimmonim (Verger des grenades) où il se demande gravement si les sefirot sont les organes ou l’essence de la divinité et qui finit par conclure les deux… Ces ruelles qui sont de véritables venelles avec des maisons étrangement bâties me plongent dans une atmosphère étrange. Tous ces maîtres sur lesquels j’ ai écrit et dont je n’avais jamais imaginé qu’ils vécurent dans un tel environnement. Nous poursuivons notre chemin pour éviter un groupe qui se masse pour écouter la bonne parole des guides. Nous passons devant de misérables bicoques et apercevons deux petits, mais très petits enfants religieux, portant une kippa et ayant des papillottes le long des tempes. Un frère et sa petite sœur nous tendent une image pieuse qui représente un saint local. Emu, je remets au petit garçon un billet. Il murmure un petit merci et disparaît dans sa maison. Danielle remet à sa petite sœur le même billet pour ne pas faire de jaloux. Emus, nous nous éloignons lorsque mon attention est attirée par un bruit, le bruit d’une course extrêmement légère ; je me retourne, le petit garçon m’a rattrapé et me tend un joli petit livre dont le titre est Sippouré ma’assiyot (Récits d’événements miraculeux ou légendaires). Pour le remercier, je lui dis en hébreu toute ma reconnaissance mais en me retournant pour le suivre du regard, je vois de loin son père qui m’adresse un grand signe de la main. Nous continuons notre marche et je commence à me fatiguer : cela fait presque quatre heures que nous nous montons et descendons dans cette ville ; Je choisis une venelle et m’assied sur des marches. Une femme religieuse avance dans ma direction, elle est enceinte mais encore très jeune et est suivie par une petite fille. Je ne me rends même pas compte que j’ai déjà entamé la lecture des premières pages du livre offert ( défaut typique des professeurs, lecteurs impénitents) ; la jeune femme déchiffre le titre et me dit en hébreu et en anglais : zé séfer tov shé atta mahasik ( c’est un bon livre que tu tiens entre les mains) Je le lirai en entier lors du vol de retour (D- voulant). Etrange ville, étrange pays et étranges habitants. Je lève les yeux et réalise que 99 % des hommes que je croise portent l’habit des hassidim. Les femmes ont toutes une perruque ou un foulard sur la tête et sont accompagnées d’une ribambelle d’enfants, les uns plus beaux que les autres. Mais une autre chose m’intrigue : des panneaux qui indiquent que dans telle ou telle maison on fabrique du bon fromage de Safed. Je l’ignorais parfaitement : curieux voisinage entre les maîtres mystiques des XV-XVIIe siècles et les maîtres affineurs d’aujourd’hui.. Intrigué, je m’approche et tends l’oreille : ce que j’avais pris pour le bruit de rotatives d’imprimerie n’était que le bruit des barates et des bassines où l’on bat le beurre. Décidément, les intellectuels ne changeront jamais. Je me souviens de ce que j’ai lu sur Safed quand j’étais jeune étudiant, notamment le beau livre du grand professeur Jacob Schechter sur cette ville au XVIe siècle : les conquêtes, notamment musulmanes, les expulsions des juifs qui revinrent toujours dans leur cité, malgré les tremblements de terre et les épidémies de peste… Plus tard, Safed sera prise par Napoléon et elle connaître encore tant d’avanies, notamment le séisme de 1827. Nous nous asseyons dans un petit kikar (coin) où nous commandons du café. Je lève les yeux et remarque un magnifique minaret d’une mosquée désaffectée, la mosquée du marché, transformée en musée mais fermée au public. Je me souviens alors de ce que j’avais lu dans un guide bleu : en 1948, lors du partage, les juifs présents à Safed furent incapables de se rendre maîtres de la ville : ils étaient 1500, pour la plupart âgés et très religieux, face à environ 12000 Arabes. Cette ville, si belle, si chargée de secrets mystiques, si mystérieuse, au moins autant que les commentaires du Zohar qui y furent rédigés, peut accueillir tout le monde. La Galilée est la région d’Israël où la cohabitation entre juifs et arabes est effective. Si même la tradition mystique, ésotérique, ne peut pas rapprocher les cœurs, qui pourrait bien le faire ? Cette terre qu’il a plu à D- de distinguer d’une grâce particulière finira bien un jour par être touchée par la Grâce.

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