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La suite du roman La rose du Liban de Léa Eyni (II

L©La suite du roman La rose du Liban de Léa Eyni (II

Une enfance pauvre et malheureuse
Léa ressent sa vie comme un échec, une souffrance ; vivre pour elle équivaut à sentir une blessure vive. D’ailleurs, même son nom de famille peut être interprété en hébreu comme une tentative de néantisation. EYNI veut dire je ne suis pas, suivi d’un prédicat quelconque : le nom de famille de cette fille connote l’idée de manque, d’absence, voire de néant.
Cette enfance faite de pauvreté et d’ennui pousse Léa à se confier à quelqu’un qui ne peut strictement rien pour elle. C’est une allégorie transparente : le seul représentant de cette société ashkénaze qui la rejette en tant que fille d’un Grec et d’une Caucasienne (tous deux illettrés) ne peut pas lui répondre quand elle lui parle et lui raconte sa propre vie. Elle parle à un absent, ce qui fait penser à un mur. La société dont elle attendait un peu de chaleur, de réconfort et d’amour, est représentée par le dos d’un malade sourd et muet, victime d’un système qui la rejette elle aussi. Et pourtant, ce garçon est né dans le beau quartier résidentiel de Réhavia à Jérusalem ; il avait tout pour réussir et être heureux. Quand elle lui parle de sa maison à Bat Yam, elle comprend qu’il a dû vivre et grandir dans un tout autre environnement. Léa sous entend que c’est le système qui brise même les meilleurs de ses éléments, pour peu qu’ils cherchent à s’écarter du cadre tracé et du moule qui les enserre.

 

La suite du roman La rose du Liban de Léa Eyni (II)

Une enfance pauvre et malheureuse
Léa ressent sa vie comme un échec, une souffrance ; vivre pour elle équivaut à sentir une blessure vive. D’ailleurs, même son nom de famille peut être interprété en hébreu comme une tentative de néantisation. EYNI veut dire je ne suis pas, suivi d’un prédicat quelconque : le nom de famille de cette fille connote l’idée de manque, d’absence, voire de néant.
Cette enfance faite de pauvreté et d’ennui pousse Léa à se confier à quelqu’un qui ne peut strictement rien pour elle. C’est une allégorie transparente : le seul représentant de cette société ashkénaze qui la rejette en tant que fille d’un Grec et d’une Caucasienne (tous deux illettrés) ne peut pas lui répondre quand elle lui parle et lui raconte sa propre vie. Elle parle à un absent, ce qui fait penser à un mur. La société dont elle attendait un peu de chaleur, de réconfort et d’amour, est représentée par le dos d’un malade sourd et muet, victime d’un système qui la rejette elle aussi. Et pourtant, ce garçon est né dans le beau quartier résidentiel de Réhavia à Jérusalem ; il avait tout pour réussir et être heureux. Quand elle lui parle de sa maison à Bat Yam, elle comprend qu’il a dû vivre et grandir dans un tout autre environnement. Léa sous entend que c’est le système qui brise même les meilleurs de ses éléments, pour peu qu’ils cherchent à s’écarter du cadre tracé et du moule qui les enserre.

Un père traumatisé par la Shoah et pourtant incestueux
Alors que Léa n’a encore que quatre ans, son père ne cesse de lui relater ses cauchemars et ses craintes obsessionnelles de voir ressurgir les trains de la mort, les bourreaux armés qui suppriment une vie comme on écrase une mouche. Parfois, il tourne dans l’appartement familial miteux comme s’il s’agissait du camp de concentration où on l’avait enfermé. Intervient alors sous la plume de l’auteur un sentiment qui a tout à fait sa place dans ce livre : la haine ! Elle parle d’un train chargé de haine, roulant à vive allure sur une voie ferrée de haine avec pour destination un lieu de haine. J’ai rarement lu une telle accentuation d’un sentiment si omniprésent de haine.
Mais c’est justement cette juxtaposition de ces eux idées paradoxales qui me gêne : un père incestueux mais qui souffre de la Shoah. Je me demande vraiment si Léa n’a pas tenté de sortir des sentiers battus sur ce point : démystifier un peu la Shoah en disant que les victimes peuvent parfois (pas tous ni toujours) se muer en tortionnaires… Sa fille se fait transparente, elle rase les murs pour faire oublie  qu’elle existe et éloigner ainsi le regard concupiscent d’un père indigne mais qui fait pourtant d’elle sa confidente. Peut-être tente-t-il par ces attouchements incestueux de dépasser le traumatisme de sa douleur. Mais la mère de Léa ne vaut guère mieux que son mari : tous deux n’offrent aucune affection à leur fille, voire même ne se gênent pas pour lui dire qu’elle doit sa naissance à un accident. Cet enfant indésirable fut conçu par erreur. On ne voulait pas d’elle et elle est tout de même là : qu’elle ne se plaigne donc pas de subir les assauts répétés de son propre père.
Et justement ce père infigne dont l’auteur dit qu’au lieu de se précipiter à l’école pour apprendre et évoluer, il préférait courir à travers champs dans la région de Salonique, tendre des pièges à des oiseaux pour les enfermer dans une cage … Ce même père qui passait son temps à noter sur un calepin des comptes en grec ancien, d’un niveau du cours élémentaire. C’est la petite Léa qui écrit des lettres officielles que son père adresse aux autorités. Ce père avait un jour très bien dressé un oiseau qui se posait sur l’épaule de la maman, picorait une biscotte dans sa main et se promenait librement dans toute la maison.  Deux pièces et demi, en tout et pour tout. Léa s’étonne que l’oiseau n’ait jamais cherché à s’échapper, à voler en plein air au lieu de s’étioler dans un tel étouffoir… Le parallèle avec elle-même saute aux yeux : si elle en avait eu les moyens, Léa se serait envolée au loin.
Et l’école ? Eh bien, là aussi on n’omet pas de lui rappeler constamment d’où elle vient. Et (voir supra) on lui indique qu’elle devrait avancer dans l’humble sillage de ses propres parents : un petit épicier et une petite employée. Vouloir écrire, devenir écrivain, pour en fait se libérer de sa névrose, tout ceci n’est pas pour elle, mais pour l’élite ashkénaze qui tient le pays. Léa exagère un peu, elle accentue les oppositions, en allemand on dirait sie spitzt zu (eine Zuspitzung). Mais elle n’invente pas : c’est en 1977, quatre décennies après la renaissance de l’Etat d’Israël, lors de l’arrivée au pouvoir de Menéhem Beguin que les choses ont changé pour les citoyens des communautés orientales (on les appelait péjorativement : édot ha-mizrah).  En allemand, Ostgemeinden, comme au temps où les juifs de Berlin rejetaient leurs frères d’Europe de l’Est (Ostjuden). Un peu comme s’ils venaient d’une autre planète. Béguin avait compris que pour secouer l’ordre établi et arriver au pouvoir, il lui fallait les voix des Orientaux. Il les obtint, devint Premier Ministre et ouvrit aux sefarades les allées du pouvoir.
Mais cette ouverture qui débuta en 1977 (peu avant la première guerre du Liban) n’avait pas encore accompli son effet intégralement. Aujourd’hui, les choses ont changé, mais pas au temps que Léa décrit dans son ouvrage. C’est la première guerre du Liban qui constitue l’arrière-plan historico-politique du roman. Cela se sent dans le titre déjà, mai aussi dès les premières pages. Jonathan, ce héros frappé de mutisme, a fait une tentative de suicide pour ne pas faire cette guerre. Sans ce geste, le livre n’existerait pas car Léa n’aurait pu se confier à personne. Un interlocuteur normal l’aurait peut-être rejetée, voire même taxée de défaitisme..
Le moins qu’on puisse dire est que Léa n’est pas militariste et n’approuve guère ce qu’elle considère comme un esprit belliqueux des généraux de Tsahal : quand elle décrit les files de chars d’assaut qui se ruent au combat, l’entrée des soldats d’Israël à Beyrouth, elle est très partagée : toutes les religions étaient présentes dans cette ville, et maintenant même les juifs s’y trouvent…

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