Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’ARTICULATION DU DIALOGUE DES ELITES RELIGIEUSES :

Début du cycle de conférences à la mairie du XVIe arrondissement de Paris

Pierre-Christian TAITTINGER, in memoriam

 

 

CONFÉRENCE A LA MAIRIE DU XVIE ARRONDISSEMENT

Comment s’article le dialogue des élites religieuses :

Maimonide, Averroès, Thomas d’Aquin…

Jeudi 1er octobre 2009 à 20h 15

Cette conférence marque le début du nouveau cycle annule portant sur les religions, la philosophie et le dialogue des cultures.

Introduction : La genèse du dialogue interreligieux :

a)la philosophie occupe une position intermédiaire entre les religions et le dialogue des cultures.

b) La religion est une forme de culture ; elle est même, selon les disciples hébraïques d’Averroès (1126-1198), la première éducatrice de l’humanité

c) la philosophie permet d’accéder à une religion éclairée car elle conduite à une saine critique des traditions religieuses.

d) Dans quelle mesure, l’exemple de ce dialogue posthume entre les grands penseurs médiévaux peut-il servir d’exemple, de matrice à un dialogue interreligieux contemporain ?

 

L’ARTICULATION DU DIALOGUE DES ELITES RELIGIEUSES :

a)pourquoi religieuses ? Pour la bonne raison que l’éducation, la culture et toute formation intellectuelle étaient jadis exclusivement entre les mains des élites religieuses. Les églises, juive, chrétienne et musulmane, étaient les fournisseurs  les détentrices du savoir et donc les dispensatrices de l’enseignement qui portait une marque distinctive, confessionnelle.

b)Pourquoi les élites ? Parce que pour discuter d’une question ou d’un point doctrinal, il faut maîtriser les notions, les formes de raisonnement et la langue du texte étudié. Ce sont là les présupposés de l’érudition. On n’a jamais vu des ignorants se muer en grands théologiens. En prophète peut-être, voire même en dépositaire d’une Révélation, mais pas en savant…

c)Le dialogue. Il existe plusieurs formes de dialogue interreligieux, en l’occurrence, et avant d’être conduit de manière sensée, déférente et respectueuse, ce dialogue avait pris la forme de violentes confrontations.

1.On a connu d’abord les controverses confessionnelles, les violentes disputationes au terme desquelles ceux dont les représentants étaient battus devaient se convertir à une autre religion. Ce n’est pas un dialogue authentique mais c’est une forme de dialogue, tout comme la guerre n’est pas un bon contact entre les peuples mais constitue, hélas, un mode de relations. On peu citer quelques titres d’ouvrages : le Pugio Fidei, le Ifham al-Yahud de Samawwal al-Maghribi et le texte de Inghetto Contardo, Disputatio contra judaeos. (voir annexe en fin de cette conférence)

2.Lorsque les meilleurs représentants des religions monothéistes entrèrent en relation avec l’hellénisme tardif, ils éprouvèrent le besoin de s‘en emparer et entreprirent une forme de dialogue entre leurs propres systèmes de croyances religieuses et les spéculations philosophiques. Ce fut aussi LA MATRICE DE TOUT DIALOGUE FUTUR ENTRE LES RELIGIONS RÉVÉLÉES ET LA PHILOSOPHIE.

3.Cette démarche a conduit à l’introduction des Lumières, celles médiévales de Cordoue ( l’époque de Maimonide, Averroès, Thomas d’Aquin, Albert le Grand) et modernes, celles de Berlin (avec Moïse Mendelssohn, Voltaire, etc …)

LES FRUITS DU DIALOGUE INTERELIGIEUX ENTRE LES ÉLITES :

a)l’émergence d’une religion des élites, fondée sur des valeurs philosophico-religieuses repensées sur la base des données scripturaires, d’où l’on évacue progressivement tout germe d’exclusivisme religieux.

b)Ce premier dialogue entre le monothéisme révélé et la philosophie grecque a entièrement transformé les religions juive, chrétienne et musulmane, mais n’a pas essaimé au-delà du cadre restreint des élites : dire un mot ici des nouvelles conceptions de Dieu du monde et de l’homme chez Maimonide et Averroès.

c)Cette mentalité nouvelle, l’approche critique et éclairée des traditions religieuses, n’a pu s’imposer, en raison de l’incapacité des masses à dépasser leur propre condition et à s’affranchir du carcan des dogmes. C’est un défi perpétuellement lancé aux élites : comment et pourquoi ne sont elles pas parvenues à surmonter le cas de tous ces millions de cerveaux en friche, les livrant pieds et poings liés à l’arbitraire de théologiens médiocres, voire parfois même obscurantistes ?

d)Le meilleur produit d’un dialogue interreligieux réussi est le rapprochement de la culture et de la religion. C’est de faire de sa religion une religion-culture, eine Kulturreligion, pour reprendre l’expression très heureuse de Hermann Cohen.

LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX, AUJOURD’HUI :

a)la conférence de Seeklisberg en 1948 (je crois) avec le Grand rabbin Kaplan qui proposer de remplacer l’enseignement du mépris par l’enseignement de l’estime. Le travail de pionnier de Jules Isaac.

b) L’affaire des enfants Finaly et l’heureux dénouement

c) Le concile Vatican II et l’abandon de la théologie de la substitution

d)l’émergence d’un vrai dialogue judéo-chrétien : les amitiés judéo-chrétiennes

e) un grave danger à éviter : le prosélytisme.

f)Un dialogue interreligieux à créer au plus vite : le dialogue judéo-musulman : Un exemple à éviter : Louis Massignon qui appelait de ses vœux la conversion de l’humanité au catholicisme.

INGETUS CONTARDUS. Disputatio contra judeos. Controverse avec les juifs. Introduction, édition critique et traduction par Gilbert DAHAN. Paris, Les Belles Lettres, 1993, 321 pages.

Mais qui était-il donc, cet homme qui se donne pour un marchand génois et dont on a gardé au moins une trace historique à Montpellier le 9 septembre 1278 où il participe à une opération de change? Certes, la langue latine de cette dispute théologique n'est pas aussi limpide que celle de saint Bonaventure ni de Saint Thomas; elle ressemble sans doute à la langue de tant d'autres auteurs de second plan qui florissaient vers la fin du XIIIe siècle. Mais comment un simple marchand génois a-t-il pu accumuler autant de science judaïque?

La première discussion semble avoir eu lieu le 1er mai 1286. D'autres indications font référence à d'autres événement, notamment la guerre entre Pise et Gêne vers 1283-4. Mais le préambule lui-même donne une date plus précise encore. La dispute se passe à Palma de Majorque. On n'a cependant aucun espoir d'identifier avec précision le David Mosse qui intervient dans le texte. Mais deux des interlocuteurs de Contardo sont des médecins, ce qui est parfaitement vraisemblable, eu égard aux très nombreux médecins juifs vivant à Majorque et en Aragon, en général. Le but de l'ensemble du traité est assurément de vaincre les juifs sur le plan doctrinal et religieux et de les contraindre à embrasser la foi chrétienne, de leur propre chef.

Les thèmes principaux de la polémique sont détaillés par l'éditeur: de la première à la quatrième discussion, on assiste à une critique très virulente des lois juives et à une affirmation musclée des perspectives et interprétations chrétiennes de la Bible. Toute cette démonstration aboutit bien évidemment à la conversion d'Astruc Isaïe qui était pourtant censé réfuter victorieusement IC.

Les cinquième et sixième discussions portent sur les dogmes chrétiens: la personne du Fils, la Passion, le culte des images et la Trinité.

Sur ces points précis, on peut deviner que l'érudition du controversiste n'est pas parfaite: là où d'autres, mieux armés au plan théologique, auraient évoqué le problème que pose du mal à la conscience religieuse, IC parle plus prosaïquement du diable.

La question disputée de la venue ou non du Messie fait intervenir l'exégèse biblique qui fut la première pomme de discorde au sein des contestations judéo-chrétienne.

L'un des arguments des juifs à l'encontre de la divinité trine du christianisme a toujours été que Dieu ne pouvait pas tout, et surtout qu'il ne pouvait pas chercher à se dégrader lui-même. Maïmonide, pour sa part, dira (Guide III, 15) que “l'impossible a une nature stable et ne saurait être l'œuvre d'un agent”. On a longtemps omis d'y voir une allusion à la fois fine et claire au christianisme. A IC qui leur dit (p129):“Tout est possible pour Dieu, les juifs répondirent: “Tu ne sais pas ce que tu dis. Dieu ne peut pas tout faire. Et qu'est-ce que Dieu ne peut pas faire?”. Dieu ne peut pécher ni créer un dieu autre que lui-même”.

L'exégèse dite typologique des Chrétiens a constamment voulu redécouvrir dans des personnages bibliques des allusions christologiques à peine voilées. En voici un nouvel exemple:

“Comment pouvez-vous, O Chrétiens, affirmer que cela se rapporte à votre Christ? Le prophète produit un témoignage concernant Achaz: Achaz était assiégé par Rasim, roi de Syrie, ainsi que cela se trouve se trouve dans la prophétie: l'assiégeant se retira quand un fils lui naquit”.

Comment faire accepter aux juifs la maternité virginale de Marie et, partant, la forme divino-humaine de Jésus? IC tente même de se servir de quelques rudiments d'hébreu biblique pour mieux étayer sa thèse. Son second argument témoigne, dans la mesure où il en est vraiment l'auteur, d'une certaine familiarité avec l'exégèse biblique

133: “O Juifs, il n'en est pas comme vous prétendez, car le prophète ne dit pas jeune fille, mais alma, et alma dans votre langue hébraïque signifie «vierge».

135: “Pourquoi a-t-il énoncé ce commandement avec une condition, quand il dit: Si une femme, ayant reçu la semence? C'est parce qu'il savait qu'une vierge devait enfanter sans recevoir de semence… Il est donc tout-à-fait évident que cette prophétie s'accomplit avec sainte Marie”. IC ou les rédacteurs-traducteurs de sa dispute mettent assez souvent dans la bouche des défenseurs juifs des arguments qui sonnent vrai. Cette action n'est pas sans rappeler la performance plus tardive de Juda Ha-Lévi dans son Cusari:

L'eschatologie juive traditionnelle a toujours mis l'accent plus sur la période messianique que sur la personnalité du Messie lui-même. Cette figure idéal a connu bien des évolutions dans la littérature biblique elle-même: au début, c'est le Messie-Roi qui triomphe de ses ennemis; par la suite, c'est une personne humble, un serviteur souffrant qui plaide en faveur de l'humanité tout entière. Les juifs, y compris auxquels s'adressaient IC, ne comprennent pas, par exemple, la phrase suivante:

Est-il vraiment impossible que les déclarations citées soient l'œuvre d'un juif érudit qui s'était converti à la religion chrétienne. une telle insistance à se laisser asperger -sans délai- des eaux du baptême ne manque pas d'étonner; non seulement, le judaïsme se voit récusé sans remords mais celui qui l'a battu au plan doctrinal, est désormais considéré comme un sauveur: “Le juif dit: ces propos font perdre du temps! Mieux vaut que tu nous donnes la réponse et que tu nous conduises au baptême, en étant notre parrain”.

Reste le problème insurmontable de la personne du Christ lui-même. Là, les accents de sincérité des IC sont indéniables. On ne sent plus cette condamnation haineuse et sans appel du judaïsme. On évoque même, au contraire, une sorte de communauté de vues et de destin. Il y a même, a contrario, une sorte de reconnaissance juive du christianisme puisqu'à la question de savoir si professer le christianisme est un péché, le rabbi répond par la négative[1]:

Inghetto répondit:… car entre nous et vous il n'y a de désaccord que sur la question du Messie, dont nous disons qu'il est venu et dont vous affirmez qu'il doit venir. Mais nous adorons, les uns et les autres, un seul Dieu, le créateur du ciel et de la terre. Répondez-moi si vous croyez qu'un bon chrétien, vivant dans la religion et la foi, mérite d'être condamné selon votre loi”. Les juifs répondirent: “Non, en vérité”.

La controverse se finit sans surprise: c'est l'apothéose de la religion chrétienne qui interprète spirituellement les remarques de la Tora et des prophètes. Gilbert Dahan signale une comparaison assez rare dans une telle littérature entre la divinité trine et le figuier: (p 289): “Voyez un figuier: il a du feuillage, du fruit et du bois; cela fait trois choses, mais c'est un seul arbre et non trois arbres”.

Les juifs vivant en milieu musulman connurent les mêmes assauts convertisseurs, notamment vers la fin du XIIè siècle, avec l'apostat Samawal al-Maghribi qui, non content d'avoir pris le turban, écrivit de surcroît une violent pamphlet contre ses anciens coreligionnaires. Il n'est pas exclu que certaines attaques de Maïmonide dans l'Epître au Yemen le visaient.

Il faut relever que sa contribution dépasse le seul domaine académique pour contribuer substantiellement au dialogue judéo-chrétien.



[1] Il est possible que la question posée en cache une autre: le judaïsme considère-t-il le christianisme comme une idolâtrie? Voir le numéro 113 des Nouveaux Cahiers sous la direction de Gérard Israël, qui avait pour thème le sujet suivant: y-a-t-il une pensée juive du christianisme? Gilbert Dahan y a donné une communication intitulée “Dogme et exégèse: Quelques réflexions sur la création de la doctrine chrétienne” pp 14-20.

Les commentaires sont fermés.