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E BIBLISTE, L’HISTORIEN ET L’ARCHÉOLOGUE

LE BIBLISTE, L’HISTORIEN ET L’ARCHÉOLOGUE

a propos de

L’histoire d’Israël entre mémoire et relecture de Philippe ABADIE

(Paris, Cerf, 2009, Lectio Divina)

Remarques préliminaires

Comment régler les relations entre le spécialiste de la littérature biblique, l’historien et l’archéologue ? Comment déterminer le plus justement possible l’historicité de la Bible ou, comme le dit l’auteur de ce très bon livre sur l’histoire d’Israël, Philippe Abadie, l’intentionnalité historique des récits bibliques ? Ce sont là de graves questions sur lesquelles se penche un savant qui enseigne l’histoire d’Israël et la Bible hébraïque depuis une bonne vingtaine d’années à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon.

On s’interroge toujours sur l’ethnogenèse d’Israël : comment est il apparu sur la scène de l’histoire universelle ? Doit-il sa naissance à une (très improbable) filiation patriarcale directe ou est-il simplement le résultat d’une évolution démographique des peuplades cananéennes locales ? De même, l’archéologie qui a longtemps dicté ses quatre volontés à la critique biblique qui lui imposa des années durant un rôle ancillaire, nous dit-elle, en dernier ressort, la vérité ou se contente-elle simplement de la confirmer ? Ceci est un point crucial qui touche l’historicité du livre de Josué, censé nous relater l’histoire d’une conquête violente et de l’extermination cruelle de tant de populations : or, à en juger d’après les recherches archéologiques, le site (très ancien) de Jéricho était en ruines depuis tant d’années avant le passage supposé de Josué dont la figure est assez composite : de redoutable chef de guerre et de stratège victorieux, on le voit évoluer vers l’image d’un pieux rabbin qui a toujours les paroles de la Tora à la bouche, cette Tora qu’il est censé méditer de jour comme de nuit…

Un autre point, tout aussi important pour la suite, est envisagé avec la rigueur qui s’impose : la vraie nature de Salomon, fut-il ce grand roi, à la tête d’un royaume unifié ou a-t-on simplement réussi à transformer ce petit potentat oriental en un grand sage qui fit d’une simple chapelle royale (la sienne) ce temple universel dédié au culte du Dieu de l’humanité da

 

LE BIBLISTE, L’HISTORIEN ET L’ARCHÉOLOGUE

a propos de

L’histoire d’Israël entre mémoire et relecture de Philippe ABADIE

(Paris, Cerf, 2009, Lectio Divina)

Un autre point, tout aussi important pour la suite, est envisagé avec la rigueur qui s’impose : la vraie nature de Salomon, fut-il ce grand roi, à la tête d’un royaume unifié ou a-t-on simplement réussi à transformer ce petit potentat oriental en un grand sage qui fit d’une simple chapelle royale (la sienne) ce temple universel dédié au culte du Dieu de l’humanité dans son ensemble ?

Les découvertes qui remontent au début du XIXe siècle ont montré (cf. l’épopée de Gilgamesh) que les récits de la création et du Déluge, relatés par le livre de la Genèse s’en sont inspirés. Il suffit de se reporter à la fameuse conférence (Babel und Bibel) du professeur Franz Delitzsch le 13 février 1902 à Berlin en présence de l’empereur Guillaume II, pour s’en convaincre. Le célèbre orientaliste allemand voulait montrer par ce jeu de mots provoquant que la Bible avait largement puisé dans des sources cunéiformes nettement plus anciennes. Ph. Abadie suit d’ailleurs un peu trop un livre de vulgarisation (celui de Finkelstein et Silbermann) dont le mérite est d’avoir intéressé le grand public à la genèse de la littérature biblique : loin d’être le fruit d’une révélation surnaturelle, la Bible ne serait que le pâle reflet d’oracles antiques imités (dans un tout autre esprit) par de hauts fonctionnaires judéens… Au plan de l’histoire littéraire, c’est certainement vrai mais pas au regard de la foi en un Dieu unique qui avait un dessein divin pour son peuple. Toutefois, cet ouvrage aurait tendance à substituer le fondamentalisme archéologique au fondamentalisme religieux en érigeant en règle absolue le principe suivant : ce qui n’est pas attesté archéologiquement n’a pas existé historiquement. Ce qui est notoirement faux.

Philippe Abadie conclut ce long préambule par une citation tirée de l’Introduction à l’Ancien Testament de Rolf Rendtorff : L’Ancien Testament rassemble des écrits élaborés au cours de l’histoire plus que millénaire du peuple d’Israël et qui reflètent sa vie au cours de cette période. Une relation de réciprocité lie ainsi les écrits ou livres de l’Ancien Testament et la vie d’Israël. L’intelligence des textes suppose donc une familiarité avec le contexte historique et l’évolution de la société israélite, alors même que ces textes en demeurent la plus importante, en fait, le plus souvent, la seule source… L’Ancien Testament est un produit de l’histoire du peuple d’Israël. Il en témoigne et la reflète de multiples façons. Il est en même temps la seule source dont nous puissions apprendre quelque chose de cours et du contexte de cette histoire. ( p 33)

La démarche des récits bibliques n’est pas historique, à tout le moins pas dans le sens que nous donnons à ce mot. Les narrateurs bibliques ne cherchent pas informer scrupuleusement, ils veulent former et édifier le lecteur croyant. Ce lointain passé dont ils l’entretiennent ne veille ni au respect de la chronologie ni à celui de la stature historique des personnages. Des êtres comme Abraham, Moïse et des rois de Juda comme David et Salomon ont sûrement existé mais sûrement pas sous la forme que leur confèrent les récits bibliques. On ne peut donc pas écrire l’histoire à partir de la Bible. Ou alors il s’agit d’une histoire biblique, c’est-à-dire d’une histoire sainte, enchâssée dans un moule théologique.

Un juste rapport à l’archéologie.

On a déjà évoqué supra les problèmes posés par la volonté d’inféoder l’archéologie au texte biblique : la vérité biblique devait être confirmée, illustrée par les fouilles. Un sursaut salutaire a enfin conduit les chercheurs à quitter l’archéologique biblique ancillaire pour parvenir à une archéologie syro-palestinienne autonome. Nous avons déjà parlé des questions qui entourent l’ethnogenèse d’Israël et qui restent sans réponse convaincante. Il y a aussi des indications contradictoires quant à la conquête du pays : Juges 1.8 affirme que ce sont les tribus qui ont conquis Jérusalem, ce qui placerait cet exploit vers 1230 ou 1220 alors que le livre de Samuel II, 5 ; 6-9 attribue ce haut fait à David, ce qui nous ramène vers 1000… Ce n’est plus la même chose. La même incertitude p !se sur la conquête d’Hébron : qui s’empare vraiment ? Josué et tout le peuple d’Israël ou seulement le clan de Caleb, l’un des deux explorateurs dépêchés sur place… Mais comme le note Ph. Abadie, plusieurs points semblent établis (p 77) : l’installation de groupes nouveaux dans le pays (fin du XIIIe début du XIIe siècle), la sédentarisation des populations en Transjordanie et en Palestine…

Y’a-t-il eu vraiment conquête de la terre promise ? Ne devrions nous pas plutôt envisager une infiltration progressive de tribus sémitiques dans un pays qui en contenait d’autres auxquelles les nouveaux venus se seraient mêlés ? Le cas de Jéricho en offre l’exemple le plus éloquent : dès 1200 nous savons que cette ville était dépourvue de remparts, comment, dès lors, concilier ce fait archéologique avec les récits du livre de Josué ?

Jéricho est probablement un cas symbolique, une illustration de la puissance divine qui offre à ses enfants une ville dont les murailles tombent comme par enchantement. Mais cette ville devient presque l’objet d’un sacrifice, un peu comme les prémices qui sont offertes à Dieu. De là le serment de ne plus jamais reconstruire une ville qui fut sacrifiée à Dieu en hommage pour son aide dans la conquête de la Terre sainte.

David, Salomon et les deux royaumes

Sommes nous sûrs qu’un grand royaume israélite unifié a bien existé vers le Xe siècle ? Et que deviennent, dans le cas contraire, les personnages de David et de son fils charismatique Salomon dont la sagesse est devenue proverbiale ? Les livres des Rois chantent les victoires éclatantes de David sur les cités-états voisines ; ils glorifient aussi par la même occasion son digne héritier Salomon auquel échut le privilège d’édifier et d’inaugurer le temple de Jérusalem… On nous présente aussi l’entrée fastueuse de la reine de Saba à Jérusalem, une aristocrate qui rend hommage à la sagesse de son illustre hôte en soulignant la chance qu’il représente pour le peuple d’Israël…

Cette historiographie semble un peu orientée car la dynastie des Omrides, notamment Omri et son fils Achab (dont la femme étrangère Jeaabel était honnie) sont maltraités et font l’objet d’une présentation tendancieuse alors qu’on ne tarit pas d’éloges sur la famille davidique . On se défend mal de l’impression que tant David que son fils Salomon ont été décrits en s’inspirant des présentations des grandes dynastes perses. Or, si l’on en croit des sources fiables et concordantes, ce seraient plutôt Omri et son fils Achab, responsables de la constitution d’un puissant royaume d’Israël dont l’éclat n’a pas manqué de susciter la convoitise des Assyriens…

On le voit, cette histoire d’Israël est difficile à mettre sur pied.

Martin Noth avait raison de déplacer le problème vers l’histoire sainte, la Heilgeschichte.

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