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Félix Mendelssohn-Bartholdy, par Philippe Olivier (Hermann, Paris, 2009)

Félix Mendelssohn-Bartholdy, par Philippe Olivier (Hermann, Paris, 2009)

C’est un excellent petit ouvrage, solidement documenté et fort bien écrit que nous offre l’auteur, Philippe Olivier, sur Félix Mendelssohn, petit-fils du grand philosophe judéo-allemand, Moses Mendelssohn. Dès les premières pages de son livre, l’auteur montre comment les chemins de ces générations d’une même famille se séparèrent en embrassant une confession autre que leur judaïsme ancestral. Il note aussi que le grand père repose dans un carré juif (encore préservé et non détruit par les Nazis) alors que son petit-fils, devenu le célèbre compositeur que l’on sait, a rejoint l’éternité dans un cimetière protestant. Son père Abraham avait décidé de rejoindre la foi évangélique et d’épargner ainsi à sa descendance les affres d’un antisémitisme qui battait alors son plein. On avait parlé, à l’époque, au cours de ce dix-neuvième siècle allemand qui vit se développer une nouvelle existence judéo-allemande, d’une épidémie de conversions (Taufepidemie).

Félix Mendelssohn-Bartholdy, par Philippe Olivier (Hermann, Paris, 2009)

C’est un excellent petit ouvrage, solidement documenté et fort bien écrit que nous offre l’auteur, Philippe Olivier, sur Félix Mendelssohn, petit-fils du grand philosophe judéo-allemand, Moses Mendelssohn. Dès les premières pages de son livre, l’auteur montre comment les chemins de ces générations d’une même famille se séparèrent en embrassant une confession autre que leur judaïsme ancestral. Il note aussi que le grand père repose dans un carré juif (encore préservé et non détruit par les Nazis) alors que son petit-fils, devenu le célèbre compositeur que l’on sait, a rejoint l’éternité dans un cimetière protestant. Son père Abraham avait décidé de rejoindre la foi évangélique et d’épargner ainsi à sa descendance les affres d’un antisémitisme qui battait alors son plein. On avait parlé, à l’époque, au cours de ce dix-neuvième siècle allemand qui vit se développer une nouvelle existence judéo-allemande, d’une épidémie de conversions (Taufepidemie).

Gershom Scholem qui émigra en Palestine mandataire vers 1923 stigmatisera la cécité de ses coreligionnaires et déplorera leur foi irraisonnée en une symbiose judéo-allemande qu’il jugeait irréaliste et irréalisable. Philippe Olivier cite, dès le début de son ouvrage, un extrait d’une lettre que le fils de Richard Wagner, Siegfried, avait envoyé en 1924, au rabbin de Bayreuth, le Dr Salomon Falk et dans laquelle il affirmait clairement préférer les juifs restés eux-mêmes à ceux qui se voulaient assimilés à la socio-culture allemande : je préfère en tout cas avoir à faire avec ds juifs de pure race qu’avec ces demi natures… L’auteur commente en ces termes : on jurerait qu’il traite de Félix Mendelssohn… Le fils se montre le fidèle héritier de son père qui avait Félix en horreur et ne prisait guère ce rôle (un peu vague) d’intercesseur multiculturel…

Et en effet, ce prodige de la musique (il joue et compose dès l’âge de onze ans) se développa dans le cadre de l’église évangélique où l’orgue figure en bonne place, ce qui ne fut pas le cas des synagogues, du moins de celles qui se déclaraient orthodoxes… Les progrès du judaïsme réformé et libéral dans l’Allemagne du XIXe siècle retiennent un peu l’attention de Philippe Olivier qui évoque aussi le cas du rabbin, adversaire du talmud, Samuel Holdheim. Il est, à ma connaissance, le premier à l’avoir fait, après ma conférence sur cet homme devant la Société des Etudes Juives à la fin des années sooxnte-dix. Mort en 1860, Holdheim ne trouva aucun rabbin pour prononcer son oraison funèbre, tant il s’était rendu odieux aux yeux de presque tous : il militait en faveur de la suppression du sabbat et de son remplacement par le dimanche, voulait célébrer des mariages entre des juifs et des simples croyants en Dieu, sans autre détermination confessionnelle et tenait à la présence de l’orgue comme accompagnement de la liturgie synagogale. Il tenait aussi que renoncer à la foi en le Messie renforcerait l’enracinement des juifs dans la soci-culture allemande…

A la fois compositeur et chef d’orchestre, Félix Mendelssohn souffrira de l’antisémitisme ambiant en dépit de la conversion de ses parents au protestantisme. Richard Wagner, déjà évoqué plus haut, nous en administre la preuve dans son pamphlet intitulé Le judaïsme et la musique. Il est étrange de constater que ses origines juives ne semblent pas pouvoir s’effacer aux yeux du monde germanique, à preuve cette remarque de son maître de musique qui annonce leur visite à Goethe en disant du jeune prodige qu’il est fils de juif, sans être lui-même… juif ! Or, on sait qu’Abraham, le père de Félix, s’était déjà converti au protestantisme. Et pourtant, l’appartenance de Félix à la religion évangélique n’a pas anesthésié en lui les références à la terre sainte ni aux récits vétéro-testamentaires qui sont largement présentes dans son œuvre musicale. Mais mon incompétence absolue en ce domaine m’interdit de faire autre chose, dans la suite de cette petite recension, que de résumer les excellentes analyses de l’auteur.

L’oratorio Elias qui connut même une version anglophone sous le nom d’Eliyah, montre par sa facture même, l’attachement de Félix à cet Ancien Testament qu’il cite dans la version de Luther. On sait l’adhésion parfaite, de toutes les fibres de la nation allemande à cette version, la Luther Bibel. Au XIXe siècle, des historiens de la littérature allemande ont même frappé une formule qui fit florès : l’Allemagne a deux Bibles, celle de Luther et les Wilhelm Meisters Wanderjahre… C’est dire la place de cette Bible dans le penser et le sentir allemands où ce document est enseigné et étudié comme une matière académique .

Philippe Olivier a raison d’écrire qu’avec cet oratorio Elias, Félix affirme la primauté absolue du monothéisme ; mais cela pose aussi le problème du dogme trinitaire qui fit dire à certains, aujourd’hui comme hier, que le catholicisme pouvait passer (à tort), pensons nous) pour un trithéisme et non un monothéisme… Qu’a-t-il bien pu se passer dans les strates les plus archaïques de l’âme du musicien ? Le souvenir d’un pieux grand père, gloire et âme de son peuple laminé par les persécutions et oppressé par un zèle convertisseur (Bekehrungseifer, en allemand) devenu insupportable… ne l’a-t-il pas accompagné, sa vie durant ? Cette hypothèse au sujet d’un homme qui ne fut jamais entièrement reconnu pour ce qu’il voulait être, relève presque de la tragédie. Oui, un destin tragique.

De ces trois grands oratorios, Elias, Christus et Paulus, on retient aussi sa prédilection maintes fois réaffirmée pour les Psaumes qui expriment la sensibilité de l’homme le plus religieux que la terre ait jamais porté… Je me souviens, lorsque j’écrivis mon Moïse Mendelssohn, avoir cité un passage où ce dernier, parlant de leur transposition en allemand, reconnaissait que ces chants liturgiques avaient contribué à radoucir (manche bittere Stunde versüßt) certaines heures amères de son existence… Alors, héritage transgénérationnel ? Pour répondre à cette question, il faudrait savoir si le jeune Félix avait eu accès aux œuvres complètes –ou même simplement au Bé’ur- de son illustre grand père.

Au fond, quelle est la puissance, quel est le pouvoir d’une conversion ? L’être humain est-il capable de refaire son âme, en faisant table rase de son passé, du milieu qui l’a produit et de l’éducation qu’il y a reçu ? Les Allemands disent même téter avec le lait maternel (mit der Milch der Mutter gesogen)… pour caractériser le pouvoir de certaines choses congénitales. En composant son oratorio Paulus, Félix ne peut pas ne pas avoir été obsédé par toutes ces angoissantes questions. Après tout, ou plutôt avant tout, Paul, précédemment Saül de Tarse, s’est non seulement converti mais a aussi changé de nom… Comme Félix qui eut avec son père Abraham de longs débats sur le sujet : devait on conserver le nom Mendelssohn, aux consonances si juives et jadis porté par le fondateur de la tribu, l’auteur du Bé’ur et de Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme ? Fallait-il, au contraire, laisser ce nom sombrer dans l’oubli ou, encore, lui accoler le patronyme Bartholdy ?

Au fond, Moses Mendelssohn, le père fondateur du judaïsme prussien, et même européen, méritait mieux. Quand on voit toutes ces lignées, issues de lui, converties au protestantisme et parfois même, immédiatement après, au catholicisme (Brendel, devenue Dorothea après son mariage avec von Schlegel), on se demande s’il a vraiment veillé à l’éducation de ses propres enfants, lui qui se voulait l’éducateur de son peuple.

Le beau livre de Philippe Olivier, si bien documenté et si bien écrit, nous permet de pénétrer dans l’univers plutôt complexe de son petit-fils qui semble avoir parfois repris, dans les intimes replis de son âme, des considérations ou des approches de son grand père, et qui, partant, survivaient en lui. A son insu.

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