L’EUROPE ET L’ISLAMOLOGIE
De quoi sera-t-il dans ce papier du jour ? De la manière dont les savants d’une Europe judéo-chrétienne ont appréhendé la réalité de l’islam. Qui étaient ces hommes qui voulurent étudier la religion musulmane et qui firent de leur mieux pour la rendre accessible à d’autres civilisations, notamment la nôtre, qui est judéo-chrétienne ?
Il s’agissait généralement d’hommes issues de puissances coloniales qui étaient imbus de la supériorité de leur propre civilisation et qui, pour comprendre ce phénomène protéiforme qu’est l’islam, recouraient à des principes d’explication et à des catégories mentales qui n’étaient pas issues de leur objet d’étude mais importées de l’extérieur.
Je ne remets pas en cause la bonne foi de ces anciens savants qui, du Collège de France au XVIIe siècle jusqu’à Ernest Renan ont abordé avec ds fortunes divers, l’étude de l’islam. Je dis simplement que pour étudier certains phénomènes, notamment de sociologie religieuse, il faut une certaine empathie, mais pas nécessairement une identification, avec le sujet.
Voici un exemple : prenons le mot djihad, guerre sainte, qui, à juste titre, terrorise les Occidentaux. C’est la même racine qui a donné l’izdihda qui signifie approfondir, faire preuve de grande ingéniosité exégétique pour faire jaillir le sens profond d’un texte. C’est le verbe qui est utilisé dans le Coran pour d »conseiller les joutes ou les controverses avec les adeptes des religions du Livres (la tizdahidou ma’a ahl al-kitab). Or, on n’a retenu que la racine du comportement guerrier et belliqueux qui, il est vrai, est trop souvent, hélas, justifié.
Je veux dire que l’étude de l’islam, l’islamologie, a parfois donné l’impression de plaquer sur son objet d’étude des idées qui ne s’y trouvaient. Cela n’a pas toujours été le cas, mais cela est arrivé.
Toutefois, c’est grâce aux savants européens que létude de l’islam est devenue une science. Ce sont les islamologues européens, juifs dans leur écrasante majorité, qui ont entrepris cette étude. Tous les jeunes candidats rabbins allemands qui devaient faire une thèse de doctorat, parallèlement à leurs études religieuses, l’ont écrite sur un sujet arabe ou arabo-musulman. Ce qui a fait dire à certains qu’au cours du XIXe siècle, la science du judaïsme était devenue une certaine science de l’islam. C’est en raison des œuvres écrites en judéo-arabes (notamment par Moïse Maimonide) que les élèves rabbins consacraient des études à cette langue.
Le premier grand islamologue digne d’une mention fut Abraham Geiger (ob. 1872) qui consacra sa thèse de doctorat soutenue à l’université de Bonn aux emprunts du Coran à la tradition religieuse juive (Was hat Muhammad aus dem Judenthume aufgenomment ?! A peu près à la même époque, nous trouvons le célèbre islamologue et orientaliste allemand Moritz Steinschneider, auteur d’une monumentale étude intitulée Die hebräischen Überseztungen des Mittelalters und die Juden als Dolmetscher, Berlin, 1890). Mais celui qui devait atteindre le sommet de telles recherches ne fut naîre que le grand savant judéo-hongrois, de langue allemande, Ignaz Goldziher dont les deux volumes consacrés aux Muhammedanische Studien furent même traduits en arabe ! En français, on possède tant d’œuvres traduites de lui, par exemple, Le dogme et la loi en Islam (trd. Félix Arin)…
Reste le cas de Renan qui savait bien mieux l’hébreu que l’arabe mais qui fit un certain nombre de déclarations sujettes à caution et qui, aujourd’hui, causeraient quelques ennuis à leur auteur…
En comme, nous devons dialoguer avec les savants autochtones de l’islam pour voir ce qui nous rapproche et ce qui nous sépare. Ce n’est pas toujours facile. Il suffit de se reporter au fameux débat entre Edward Saïd, américain d’origine palestinienne et le célèbre arabisant judéo-britannique Bernard Lewis pour se rendre compte de la distance qu’il nous reste à parcourir…
NB : avant d’envoyer cet article, j’ai vu sur BFM TV l’interviews du ministre Eric Besson : le type de questions posées par le journaliste au ministre illustre bien ce que je dis. Il faut une approche moins sensationnelle et plus objective de tous ces sujets.