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Jerusalem Post, Maimonide et la philosophie

Maimonide et la philosophie

Entretien avec le Professeur Maurice-Ruben Hayoun

Pour le Jérusalem Post

(Version française du mercredi 10 février, p 24)

Philosophe et écrivain, Maurice Ruben Hayoun est spécialiste de la pensée médiévale juive et arabe, ainsi que du renouveau de la pensée juive en Allemagne. Son livre Maimonide vient d’être réédité aux Editions Ellipses. Il a bien voulu pour le Jérusalem Post répondre à nos questions sur Rabbi Moshe Ben Maimon, " le Rambam", l'une des figures les plus illustres du judaïsme médiéval.

1. Maimonide est-il le personnage qui vous ait le plus inspiré dans vos travaux philosophiques ?

Certainement, bien que je sois aussi spécialiste de la pensée judéo- allemande moderne, Mendelssohn, Gershom Scholem, et quelques autres… En ce qui concerne Maimonide, il représente un cas exceptionnel dans l’histoire de la philosophie: il est celui qui a ouvert les portes de la philosophie au judaïsme rabbinique. Certes, il y a eu avant lui un début de spéculation philosophique avec tous les néoplatoniciens juifs qui l’ont précédé. Mais Maimonide est véritablement celui qui a introduit le commentaire philosophique et l’interprétation allégorique des Ecritures dans la philosophie juive. Même si ensuite, parfois, il a été dépassé par d’autres, ou même déjà au Moyen Age par Gersonide, dit Ralbag en hébreu, il a été un précurseur qui s’inscrit en gras dans l’histoire de la philosophie juive.


Maimonide et la philosophie

Entretien avec le Professeur Maurice-Ruben Hayoun

Pour le Jérusalem Post

(Version française du mercredi 10 février, p 24)

Philosophe et écrivain, Maurice Ruben Hayoun est spécialiste de la pensée médiévale juive et arabe, ainsi que du renouveau de la pensée juive en Allemagne. Son livre Maimonide vient d’être réédité aux Editions Ellipses. Il a bien voulu pour le Jérusalem Post répondre à nos questions sur Rabbi Moshe Ben Maimon, " le Rambam", l'une des figures les plus illustres du judaïsme médiéval.

2. Et pour l’histoire de la philosophie tout court, le Guide des Egarés, selon vous, constitue-t-il, comme on l’a déjà entendu, « une des plus grandes œuvres philosophiques de tous les temps » ?

Je le crois ; en tout cas en ce qui concerne le rapprochement entre la philosophie et la religion révélée, il est véritablement celui qui a su montrer que par une exégèse spirituelle de la Bible, on pouvait y découvrir les grandes idées philosophiques de son temps. D’ailleurs la postérité de ce livre a touché à la fois les Chrétiens qui ont traduit dès le 13ème siècle le Guide des Egarés en latin sous le titre de « Doctor perplexorum », et les Arabes qui ont commenté les 25 propositions du 2ème volume du Guide de Egarés écrit en judéo-arabe. Par conséquent, on peut effectivement affirmer que Maimonide a rayonné bien au delà de la sphère culturelle juive et a marqué aussi bien l’Occident que la civilisation arabe. Des hommes comme Thomas d’Aquin, Albert le Grand ou Descartes en invoquent d’ailleurs l'autorité.

3. L’impact sur les Juifs a-t-il selon vous a-t-il été le même au Moyen Age, qu’au siècle des Lumières et actuellement ?

Je vais commencer par actuellement. Aujourd’hui, je crois qu’il y a une dérive dans les milieux juifs, résultant d’une recherche de mysticisme de mauvais aloi, non pas que je sois réfractaire à la Kabale, bien au contraire, mais il est évident que la situation actuelle tourne malheureusement le dos à l’apport philosophique du judaïsme. Au 18ème et 19ème siècle, avec la Haskala et le siècle des Lumières, on avait redécouvert Maimonide. Cependant, c’est au Moyen-âge, que Maimonide a été le mieux interprété, par les averroïstes juifs notamment, (sujet de ma thèse de doctorat d’Etat) et le meilleur d’entre eux : Moise de Narbonne, mort en 1362.

4. Le livre de Maimonide s’adresse exclusivement, dites-vous, à l’élite intellectuelle juive de l’époque. L’enseignement de Maimonide était-il en fin de compte plus philosophique que religieux?

A mon avis, Maimonide procédait à une division qui ne serait pas acceptable aujourd’hui. Il a une vision sociologique qu’aujourd’hui, on condamnerait comme élitiste. Il considérait que la société était composée à 95% de la masse et à 5% de l’élite. Et surtout, il estimait qu’il y avait une barrière hermétique entre ces deux secteurs, totalement déséquilibrés de la société. Pour lui, la masse n’avait pas à se préoccuper de la philosophie et devait pratiquer la religion populaire. L’enseignement de Maimonide ne pouvait satisfaire que les gens les plus évolués. Et puis, concernant ces derniers, il y avait un réel besoin. En effet, à l’époque de Maimonide, la philosophie grecque commençait à se répandre parmi les érudits juifs grâce aux traductions et commentaires en arabe de la pensée aristotélicienne, réalisés par Avicenne, Averroès et Sarabi en particulier. Les érudits juifs, tous des arabophones, la langue arabe étant pour eux, ce que le latin était aux Chrétiens, se sont mis à leur tour à traduire en hébreu ces textes. Ils furent troublés par la pensée d’Aristote, lequel affirmait par exemple que le monde avait toujours existé. Les Juifs qui avaient le désir de rester fidèles à leur tradition religieuse, mais qui en même temps étaient des disciples d’Aristote, se trouvèrent ainsi désarçonnés, voire plongés dans un profond désarroi face aux vérités démontrées par la raison, et leur semblait-il, en contradiction totale avec la Thora. C’est pour guider ces égarés (d’où le titre) que Maimonide entreprit l’ouvrage qu’on connait, et dans lequel, preuves et logique à l’appui, il explique qu’on doit lire la Bible, non pas de façon vulgaire, c'est-à-dire, en donnant aux mots une signification littérale, mais de façon érudite, en privilégiant une lecture allégorique du Texte.

Pour les aider donc, Maimonide a tenté de concilier Judaïsme, Islam et philosophie grecque ; foi et raison. D’après vous, a-t-il réussi cette osmose ?

Non, Maimonide a réussi à concilier judaïsme, philosophie grecque et culture arabe, ce qui est très différent. A ce propos d’ailleurs, ainsi que je l’explique dans mon ouvrage, il existe tout un mythe concernant le pseudo conversion de Maimonide à l’Islam, conversion évidemment impensable, mais qui a été avancée par ses détracteurs.

3. Pensez-vous que Maimonide ait été un précurseur de la Haskala, qu’il ait préparé le terrain aux Lumières ?

Oui, sans hésitation aucune, on peut assurer que ce sont les sages du Moyen-Age qui ont frayé la voie à la science du judaïsme, la H’orma d’Israël. Ils ont véritablement été les précurseurs de cette recherche scientifique dont le moteur était la quête identitaire.

4. Comment se fait-il alors que des hommes tels Spinoza, penseur rationaliste du 17 ème siècle qui se revendique de la filiation intellectuelle de Maimonide, et tant d’autres au 18 ème siècle, se soient finalement éloignés de la Tradition ?

Spinoza ne se revendiquait pas vraiment d’une filiation philosophique de Maimonide car dans son Traité théologico-politique, il critique ceux qui veulent concilier religion et philosophie, raison et révélation. Pour que chacune d’elle puisse garder sa dignité, écrit-il, il ne faut pas les marier, sous peine de voir forcément une des deux abdiquer, peu ou prou, sa dignité.

Pour Spinoza, la raison doit donc s'affirmer indépendamment de quelque foi que ce soit, déconsidérant ainsi le travail de Maimonide. Je parle justement de cela dans un autre de mes livres L’Identité juive et la culture européenne au chapitre consacré à Maimonide, Spinoza et Mendelssohn.

5. Maimonide a fait l’effort d’aller chercher la vérité chez l’autre, d’instaurer le dialogue entre les cultures. Est-elle une démarche uniquement philosophique ou la tolérance est-elle aussi une qualité religieuse ?

La philosophie est quelque chose d’universel. Le Talmud nous enseigne que quand D. a créé l’homme, il en a crée un seul. C’est le thème du monogénisme ; en d’autres termes, l’humanité peur être diverse et variée mais ses origines sont uniques. Or si D. a crée un seul Adam, c’est pour que personne ne vienne prétendre par la suite être de race supérieure. Maimonide et ses frères ont souffert de l’intolérance.

Y a-t-il encore une leçon à retirer de l’enseignement de Maimonide ?

Au niveau de l’éthique juive, nous avons beaucoup à apprendre encore de Maimonide, par exemple au niveau de la motivation des préceptes. A la fin de la vie de Maimonide, en 1204, c'est-à-dire 6 ou 7 ans à peine après la diffusion du Guide des Egarés en hébreu, on voit déjà apparaitre les premiers textes de mystique juive, le Sefer ha-Bair et la circulation fréquente d’un texte le Shiour Koma. Alors que Maimonide faisait la chasse aux anthropomorphismes, le Shiour Koma et les partisans de la Kabale, craignant une spiritualisation excessive du judaïsme, c'est-à-dire une abstraction voire même une vaporisation, ont abondé dans l’excès inverse pour que le judaïsme ne se perde pas. La nature humaine n’est pas seulement spirituelle mais elle doit être ancrée aussi dans le concret. Et si on a un reproche à faire à Maimonide, c’est peut-être celui-ci. Son œuvre vit dans ce paradoxe. C’est la faiblesse majeure de son œuvre : elle n’a jamais voulu s’adresser au plus grand nombre. Or la doctrine juive, telle qu’elle a été interprétée par le Talmud et les décisionnaires n’a jamais institutionnalisé cette division en deux groupes sociaux inégaux C’est pour cette raison, je pense que la mystique juive des 1250 a gagné, qu’elle a pu entrer dans le livre des prières alors qu’il ne s’y trouve que les 13 articles de foi de Maimonide chantés dans le fameux Ygdal Elokim Hai.

Une dernière question sur votre livre Avraham

Y a t-il un lien philosophique qui unit Avraham et Maimonide ?

Dans son analyse des prophètes Maimonide place Abraham en tête des prophètes, tout de suite après Moise. Il considère qu’Avraham a été le premier à découvrir le D. unique. Et pour moi, Avraham représente une sorte de mythe, c'est-à-dire un personnage semi-historique mais dont le symbole dépasse de loin la vie sur terre. C’est l’homme qui a montré qu’il était capable d’aimer D. plus que toute autre chose ici-bas. Comme Maimonide, il avait un amour de D.ieu intellectuel, mais il joignait en plus une disposition jusqu’à sacrifier lui-même son fils unique. C’est là quelque chose d’inégalé.

M. Hayoun, sur quel projet travaillez vous actuellement ?

Je suis en train d’écrire un livre sur la Kabale, une biographie du grand rabbin d’Allemagne Leo Baeck né en 1873 et mort en 1956, à paraitre dans les Editions Armand Colin.

M.R Hayoun, un immense merci

M.R. Hayoun est notamment l’auteur du Zohar : aux origines de la mystique juive (Pocket 2005), des Lumières de Cordoue Pocket 2007-2008), d’une Petite histoire de la philosophie juive (Ellipses 2008), L’identité juive et la culture européenne (Pocket 2005) et Abraham (Ellipses 2009)

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