LA TURQUIE ET ISRAËL : LE JEU ÉTRANGE DU RÉGIME ISLAMISTE ACTUEL
La fièvre médiatique étant retombée, on peut enfin distinguer avec quelque sérénité ce qui s’est passé entre l’Etat d’Israël et le régime turc islamiste de M. Erdogan.
Voyons tout d’abord le contexte : porté au pouvoir par les fondamentalistes turcs, l’actuel Premier Ministre a vite pris la mesure de la situation : une économie en piètre état, une société inquiète avec une sensibilité islamiste à fleur de peau, un environnement régional peu attirant, bref, la question de la réorientation de la politique étrangère se posait avec une certaine acuité.
Les faits avant l’arrivée des islamistes au pouvoir : depuis un certain temps déjà, la Turquie entendait se moderniser en se tournant délibérément vers l’Europe. C’était un mirage mais il faut bien reconnaître qu’on lui avait donné de faux espoirs en lesquels elle eut la faiblesse de croire. Personne, en ce temps là, ne s’est ému de voir qu’un gouvernement islamiste entendait solliciter son admission au sein d’un club chrétien (l’ancien chancelier He
lmut Kohl). Et parallèlement à cette demande, pour le moins surprenante de la part d’islamistes, il y avait le partenariat stratégique militaire entre la Turquie et Israël. Tsahal, rappelons le, envoyait ses avions de chasse s’entraîner dans le ciel turc, bien plus étendu que l’espace aérien israélien et cela lui permettait de se rapprocher de la Syrie, son ennemie jurée.
Cette contradiction entre l’essence prétendue d’une régime et sa politique étrangère a fini par devenir intenable et les déboires en Europe aidant, le gouvernement islamiste s’est rendu compte qu’il poursuivait des chimères, que l’Europe ne l’admettrait guère et qu’il fallait trouver une politique de rechange de manière urgente. Ajoutons à cela les manœuvres d’une subtile diplomatie iranienne faisant miroiter aux Turcs des débouchés et des investissements intéressants, tout en les incitant à annuler leur amitié avec Israël…
Les premiers craquements, si j’ose dire, se firent sentir à Davos lors de l’incident entre M. Erdogan et M. Pérés, le président de l’Etat d’Israël. N’oublions pas l’opération «plomb durci» que les islamistes ont exploité pour adresser à leur allié d’hier des reproches acérés. Par ailleurs, l’AKP commençait à renforcer ses liens avec le Hamas en lequel elle voyait une sorte de frère musulmans, à défaut d’être ottomans…
Car il faut bien comprendre que le pari de M. Erdogan qui commence à buter sur ses limites était de dépasser l’opposition déjà ancienne entre Turcs et Arabes et de tenter de devenir la puissance régionale de cette partie du monde majoritairement musulmane. Les leaders traditionnels de ce fameux monde arabe avaient tendance à s’assoupir : l’Egypte, seule et appauvrie, vivant de subsides américains avec, à sa tête, un président un peu fatigué, l’Arabie Saoudite, engluée dans d’éternels affrontements dynastiques et elle aussi menée par des vieillards, semblaient céder la place… La tentation était grande de s’installer sur la chaise vide.
Ne manquaient plus que deux choses : surenchérir par rapport au voisin iranien qui veut lui aussi se substituer aux Arabes et se trouver une cause musulmane à défendre, et ce pour deux raisons : l’une, intérieure, en donnant un dérivatif aux masses turques, frustrées par le refus de l’Europe d’admettre leur pays en son sein, et l’autre, extérieure, le soutien à une population musulmane, les gens de Gaza, complaisamment présentée comme des gens assiégés, gentils mais punis par un puissant et méchant voisin !!
C’est ainsi qu’intervint alors cette fondation islamiste prétendument caritative qui arme des bateaux et veut réussir là où les Arabes, pourtant directement concernés, n’osaient rien entreprendre… M. Erdogan qui doit rêver la nuit d’être le nouveau Soleiman se voyait déjà auréolé de gloire, adoubé par ses voisins et promu à la tête du monde musulman, un nouveau Nasser.
D’où cette rhétorique guerrière, ces violentes mises en cause d’Israël et cet aventurisme aux côtés des Iraniens qui a déclenché l’ire de Washington, la déception des Européens et l’incompréhension d’Israël : si la diplomatie persane est très forte, la vigilance turque a été tr ès faible puisque, non seulement les sanctions contre l’Iran ont été votées, mais en outre, la Turquie apparaît comme l’allié d’un pays condamné par le reste du monde… Je signale, en passant, qu’à part le Brésil, jadis mieux inspiré, même le Liban a préféré s’abstenir et n’a pas voté contre, obéissant ainsi aux injonctions américaines.
Tous les éléments d’un fiasco complet sont réunis : Gaza en est au même point, l’Europe se mure dans son refus, Washington est déçu, Jérusalem est furieuse, et, fait significatif, les régimes arabes modérés qui voient d’un mauvais œil le faux pas de leur voisin turc vont désormais nourrir une méfiance accrue à l’égard des Ottomans ; Il ne faut pas oublier que cette lutte pour le leadership du monde arabo-musulman, menée, soit par des Turcs soit par des Iraniens, n’est pas bien vue pour les principaux intéressés.
Un autre fait semble montrer la myopie d’une telle politique : les forces armées ont demandé et obtenu que l’on ne chamboule leurs plans et que les commandes de matériels à Israël soient confirmées. Et rien ne donne à penser qu’illes ne furent pas entendues… Encore une contradiction.
Il semble qu’en Turquie même, des voix se sont élevées pour mettre en garde contre un tel fourvoiement : car sans l’Europe et sans les USA, sans l’aide israélienne pour moderniser son armée, que peut faire la Turquie ? A part se jeter dans les bras d’un Iran isolé et critiqué de toutes parts…
Apparemment, M. Erdogan s’est laissé griser par l’AKP et son opinion publique : après une rhétorique guerrière de mauvais aloi, il constate avec tristesse que cela n’intéresse plus personne et que la coupe du monde de foot-ball va revendiquer l’attention de la planète durant quatre bonnes semaines… Après, c’est la trêve estivale et les pays développés seront en vacances. Laissant le Premier Ministre turc seul avec ses problèmes. Et dans un douloureux tête à tête avec son voisin iranien.
Mais la Turquie a-t-elle dit dit son dernier mot ? Non point. Sans qu’elle soit admise dans l’Europe, elle peut, néanmoins, jouer un rôle régional important, se réconcilier avec Israël et devenir un Monsieur bons offices entre les différentes parties…
Un vieux proverbe oriental dit qu’avant d’agir il faut regarder les conséquences, avant de parler il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche.