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LAZARE WOGUE ET SON HISTOIRE DE LA BIBLE ET DE L’EXÉGÈSE BIBLIQUE JUSQU’EN 1881

LAZARE WOGUE ET SON HISTOIRE DE LA BIBLE ET DE L’EXÉGÈSE BIBLIQUE JUSQU’EN 1881

(Paris, 1881, Imprimerie Nationale. Réédition, Farnborough, Gregg International)

Quelle bonne idée d’avoir réimprimé cette belle introduction à l’histoire de la Bible et de l’exégèse biblique, de Lazare Ezéchiel Wogue (1817-1897) qui vécut à une époque où une parfaite symbiose culturelle existait entre le judaïsme d’Allemagne et celui de l’Hexagone. Je veux dire par là que l’on avait compris, de ce côté ci du Rhin, l’intérêt qu’il y avait à récupérer le legs intellectuel de la Wissenschaft des Judentums, notamment dans la formation des rabbins. Il suffit de comparer ce que sait un rabbin français d’aujourd’hui avec ce que savaient ses collègues il y a un siècle ou plus pour se rendre compte de l’énorme décalage entre les deux formations.

La première fois que j’eux l’opportunité lire l’existence de cette importante somme, ce fut sous la plume d’Ernest Renan qui en disait le plus grand bien. Et c’est un ami très cher, M. Gérard Hess, qui m’en fit l’aubaine, ce dont je le remercie sincèrement.

Wogue était un grand rabbin, professeur au séminaire israélite de France. Son orientation est celle d’une orthodoxie éclairée et son approche de l’exégèse biblique dépourvue de tout préjugé. Par exemple, il inclut dans son aperçu de la philosophie juive et de l’exégèse biblique un homme comme Spinoza et ne passe pas sous silence la vaste littérature kabbalistique. Il est vrai que de son temps, il y avait de grands savants comme Adolphe Jellinek dont les travaux sur la mystique juive faisaient autorité. Ces deux points sont très importants. Aujourd’hui encore, certains se refusent à accorder la moindre place dans un livre de philosophie à l’auteur de l’Ethique. Quant à la kabbale, même un excellent auteur comme Julius Guttmann qui publia son ouvrage (Die Philosophie des Judentums) en 1933 ignore toute le massif kabbalistique.

Wogue a visiblement été impressionné par les méthodes exégétiques de la kabbale, notamment le fait de diviser un terme en plusieurs, de se livrer à des permutations de lettres et à utiliser la valeur numérique de ces mêmes lettres… Il est vrai que c’est ce que des kabbalistes chrétiens comme Reuchlin et Pic de la Mirandole ont largement emprunté à Joseph Gikatilla (vers 1320) qui s’était fait une spécialité de ce genre de pratique exégétique. Cette méthode va peut-être beaucoup plus loin qu’une simple ingéniosité herméneutique. Les chrétiens reprochaient aux juifs de se cantonner au sens obvie de l’Ecriture alors qu’eux s’engouffraient dans les larges avenues de l’allégorisme. Eu une phrase de changer le texte qui prenait alors une autre dimension.

Pour montrer qu’ils n’étaient pas en reste, les kabbalistes ont changé le sens du texte tout en gardant le texte. Sans récuser le moins du monde la lettre de l’Ecriture, ils décidèrent que la Tora participait de plusieurs mondes et qe son ordonnancement, son mode lecture et d’intelligence devaient varier selon les mondes ou âges du monde où l’on se trouvait. De tels tours de passe- passes exégétiques ont visiblement intrigué ce bon Lazare Wogue qui leur consacre près de deux pages. Enfin, il n’a emboîté le pas aux autres coryphées de la Science du judaïsme qui ne prisaient guère la kabbale. Son traitement de l’histoire de l’exégèse est donc équilibré.

Œuvre d’un authentique érudit du XIXe siècle, une époque où les gens sérieux lisaient les livres un crayon à la main, cet ouvrage commence par nous offrir un vaste panorama de la littérature biblique elle-même ; l’exposé que nous lisons ici date de 1881 ; il est certes vieilli mais ses références au texte hébraïque biblique, à son évolution, sa ponctuation, ses traductions et ses commentaires au fil des siècles, sont impressionnantes. Nous avons affaire à un rabbin qui maîtrise aussi bien l’hébreu, l’allemand, le grec, la latin et évidemment le français… Peut-être pas vraiment l’arabe même s’il cite deux ou trois vocables en caractères arabes.

Mais il convient de signaler l’admiration qu’il porte aux œuvres judéo-arabes ; il en vante l’originalité, l’avidité de science et la solidité de la recherche. Il ne laisse rien de côté : ni les grammairiens, ni les lexicographes, ni les exégtètes, ni les traducteurs

La partie consacrée aux traductions de la Bible, même les plus anciennes, est très instructive. J’y ai lu que certaines traductions du Pentateuque en langue persane remontaient au XVIe siècle…

En revanche, je ne suis pas d’accord avec les subdivision de l’exégèse car, selon Lazare Wogue, depuis Isaac Abrabanel (ob. 1508) jusqu’à Mendelssohn (ob. 1786), nous aurions affaire à une période de décadence… Ce n’est, certes, pas aussi riche que la période judéo-arabe, c’est évident, mais de là à parler de décadence, je pense que c’est à la fois injuste et exagéré. Toutefois, cette remarque n’ôte rien aux énormes mérites de l’ouvrage.

Wogue consacre quelques lignes à des auteurs que j’ai moi-même étudiés : Elya Delmédigo, l’auteur de l’Examen de la religion, qui fut aussi le maître d’hébreu de Pic de la Mirandole ; Jacob Emden (ob. 1776) dont il mentionne les critiques de l’authenticité du Zohar.

Enfin, je signale aussi l’excursus sur les spécialistes chrétiens de l’hébreu et de la littérature biblique. C’est une véritable mine que nous avons sous les yeux, tant les noms et les indications précises abondent.

Pour montrer l’orientation idéologique de l’auteur, je ferai cette citation tirée de la page 167 :… conditions auxquelles il importe de joindre un profond sentiment religieux, car la Bible ne s’adresse pas seulement à l’intelligence mais au cœur, et c’est un livre de foi plus encore que de science. Tantôt l’interprète de l’Ecriture étant aussi un docteur de la Loi, un instituteur religieux, ne se borne pas à cette explication simple, naturelle et en quelque sorte superficielle du texte, mais il l’approfondit de manière à la mettre en harmonie avec les faits acquis, soit de conscience, soit de tradition religieuse, en d’autres termes avec la loi orale ou la loi morale et sans dédaigner ni exclure le peshat, prétend s’élever bien au-delà…

Un détail technique : il manque les pages 148-149.

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