Le marché couvert de Natanya
Il s’agit d’une ville moyenne du littoral israélien, peuplée aujourd’hui d’environ deux cent cinquante mille habitants et qui s’étend chaque jour un peu plus, ce qui fait que ce qui était jadis le centre ressemble désormais à de la périphérie. Aujourd’hui, le front de mer est très prisé et c’est tout du long que se construisent délégants immeubles d’habitation. La municipalité déploie de gros efforts pour rénover le centre ville, érigé jadis à la hâte afin d’accueillir les nouveaux émigrants. Le marché de la ville est donc presque un lieu historique.
Quand nous en parlons, les gens s’étonnent que nous y fassions nos emplettes car le lieu passe pour une survivance populaire des années difficiles. Alors, ai-je une certaine affection pour ce vieux marché où les gens sont plutôt d’allure modeste ? Parce que j’y sens un peu la pulsation ancienne du pays, j’y sens battre le cœur du vieil Israël, celui des nouveaux émigrants, des gens simples. Les venelles y sont sillonnées par des hommes vêtus de débardeurs, poussant des charriots d’un autre âge. Les vendeurs ne parlent pas mais hurlent car le tintamarre couvrirait leur voix. Au début, je ne pouvais pas y rester plus de dix minutes, depuis je m’y suis habitué et surtout je connais les vendeurs des échoppes qui admirent mon hébreu. Hier l’un d’entre eux m’a demandé comment et où j’avais appris un si bon hébreu. Je lui ai répondu que j’étais un universitaire. Comme tous les Israéliens qui ne s’en laissent pas conter, il a répliqué en demandant quelle était ma discipline, ma spécilaité ? J’ai répondu la philosophie médiévale et la philosophie judéo-allemande des XVIII-XIXe siècles. Il a continué à préparer les paquets que nous achetions et m’a dit textuellement ceci : tu vois, moi je ne suis pas un philosophe, mais j’ai à cour de te vendre de bons produits, notamment d’excellent caviar d’aubergine que ta femme et ta fille aiment tant. Intriguée par cet échange qdans une langue qu’elle n’entend pas, Danielle m’interroge et je lui traduit fidèlement. Elle éclate de rire et son rire devient contagieux : tout le monde rit.
Mais les hommes dans ce marché ne sont pas tout. Il y a les odeurs et les saveurs. La propreté, les senteurs notamment de menthe fraîche, de cannelle, d’ambre et de toutes les épices d’Orient. Le poivron rouge en poudre donne aux sauces de notre enfance une saveur particulière. Ah, j’oubliais les étals de poissons, directement pêchés des rivages méditerranéens. On trouve une sorte de daurade unique en son genre. Les Israéliens la nomment dénis. D’où vient ce mot, je l’ignore, en tout état de cause, il n’est pas hébraïque. Les rougets aussi, les tout petits, qu’on ne trouve presque plus à Paris, sont disponibles ici, au marché.
Mais l’animation la plus forte règne ici le jeudi après midi et le vendredi matin lorsque les gens viennent faire leurs emplettes pour le chabbat. Tout Israël est alors en mouvement, les soldats permissionnaires sont sur les routes, les enfants rejoignent leurs parents, les familles se reforment, bref, tout s’agite.
Les Israéliens consomment en fait peu de viande fraîche. Ils optent pour du poulet, de la dinde et de la charcuterie. Mais ici, au moins, tout est cacher puisque seul l’abattage rituel est perms par la loi. Un jour, l’année dernière, je crois, j’ai commis l’imprudence de demander à notre vendeur habituel si sa charcuterie était cacher.. Il s’est tourné vers son père en s’exclamant : Eh, Abba, ce type nous prend pour des Russes…