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FAUT-IL JUGER JACQUES CHIRAC ? NON.

FAUT-IL JUGER JACQUES CHIRAC ? NON.

Il y a quelques jours, je me rendais en voiture  à la synagogue pour la fête de soukkot et écoutais une longue émission sur France Info qui avait pour thème : faut-îl juger Jacques Chirac ? Elle faisait intervenir des journalistes, des avocats, des juristes n des hommes politiques etc.. Et des écologistes de la ville de Paris, les seuls à réclamer un passage strict et rigoureux de la justice. Mais dans l’ensemble, les avis étaient orientés vers la clémence et la mansuétude. Nous verrons pourquoi, mais il faut, au préalable, faire un résumé de ce qui s’est passé pendant les 17/18 ans au cours desquels J.C. (tiens , il a les mêmes initiales que Jésus Christ !) a présidé aux destinées de la capitale

A cette époque, le financement des partis politiques faisait problème. On se débrouillait comme on pouvait. Les formations politiques recevaient beaucoup de valises de billets (toutes les formations, sans exception aucune, l’argent étant le nerf aussi des élections), mais toutes faisaient mine de vivre des cotisations de leurs militants. En fait, il y avait le système des fausses factures, les imprimeries de complaisance, les autorisations d’ouvrir et de ne pas ouvrir des supermarchés, les bureaux d’études (tant à droite qu’à gauche) les faux prêts, les constructions de lycées, de crèches etc.. Mais aussi les fameux emplois fictifs qui sont reprochés à Jacques Chirac et dont il fit bénéficier certains cadres de son parti politique, le RPR dont l’UMP actuelle est l’héritière.



Ces emplois fictifs furent découverts, dénoncés, ses bénéficiaires convoqués par les juges et une plainte fut déposée. Voilà pour le rappel des faits. Entre temps, Jacques Chirac fut élu et réélu à la présidence de la république, mais la justice, elle, n’avait pas oublié. Au terme de ses deux présidences, et après des développements dont je vous fais grâce, Jacques Chirac a été renvoyé devant le tribunal correctionnel. Le choc en France fut immense : une juge avait osé renvoyer un ancien président devant une telle juridiction, comme pour un vulgaire cas de droit commun. Le principal intéressé et ses anciens collaborateurs les plus proches tentèrent de faire front et de dire que Jacques Chirac n’avait rien à se reprocher mais qu’il ferait face, qu’il se considérait comme un citoyen qui n’était pas au dessus des lois. Mais en sous main, négociations et pourparlers discrets allaient bon train. Le deal était le suivant : Jacques Chirac et ses amis rembourseraient la ville de Paris qui s’estimait lésée et cette dernière retirerait sa plainte et ne serait plus partie civile. Le parquet fit même savoir qu’il requerrait la relaxe.

Dans cette affaire, l’actuel maire de Paris, Bertrand Delanoé fit savoir qu’il appuierait cette solution laquelle fut récemment validée par le Conseil de Paris. En fin de compte, et en dépit de quelques grincements de dents, le vote fut obtenu. Mais un procès aura lieu, bien qu’aucune condamnation ne puisse être prononcée, en principe.

Mais ce dont je voudrais parler ici, c’est du principe lui-même : Jacques Chirac a dirigé la France pendant près d’un demi siècle, à un poste à un autre. Sa carrière fut ouverte par Georges Pompidou. Il a occupé tous les postes : député, ministre, premier ministre, président, chef de parti etc.. Qu’on le veuille ou pas, qu’on l’accepte ou pas, c’est un symbole.

Peut-on, a-t-on le droit de renvoyer un tel symbole devant le tribunal correctionnel ? A l’évidence, non, même si la loi est la même pour tous. Je ne songe pas un instant à contester le droit des juges et des magistrats de notre pays à rendre la justice. Mais je relève, moi qui suis philosophe, donc un non juriste, que cette justice est rendue au nom du peuple français, ce même peuple qui plébiscite Jacques Chirac à plus de 75 % ( !) depuis son départ de l’Elysée. Se déjugera t il, acceptera-t-il que l’on condamne en son nom celui qu’il porte désormais aux nues ? Même la versatilité proverbiale des Français ne le permettra pas.

Imaginez simplement la première séance de ce tribunal, comme un grand quotidien a cru devoir le faire, assez cruellement, il faut bien dire. Voyez vous un simple président de cour (avec tout le respect dû naturellement à tous nos magistrats) demander à un tel prévenu : nom, prénom, adresse… Quels sont vos revenus ? Voici les faits qui vous sont reprochés ? Voyez vous un procureur s’en prendre rudement à un tel homme, qui va sur ses 80 ans et dont la santé n’est plus aussi bonne que du temps de sa splendeur ?

Si cela se produisait, c’est une partie de nous mêmes qui serait déférée devant la justice. Alors que faire, sans attenter à la valeur intangible de la justice ?

La grandeur d’une nation, d’un Etat, se mesure à l’aune de son adresse à gérer des situations sortant de l’ordinaire. Ceux qui s’agrippent au code pénal sans vouloir en démordre, crient dura lex sed lex, n’ont pas raison. Au-dessus de la justice il y a la grâce, et pas uniquement celle de Dieu, mais bien celle des hommes. Comme toute chose ici-bas, la justice a ses limites. En outre, l’infraction a été compensée, voire réparée. Les dommages subis ont été remboursés.

Mais que l’on me comprenne bien : je ne plaide pas en faveur d’un homme dont je serais l’obligé. Bien au contraire, je puis même assurer que, fidèle à ses habitudes, il n’a même pas tenu la promesse faite à une très important e personnalité spirituelle au sujet d’une mesure individuelle me concernant : il le lui a promis et il ne l’a pas fait. Etait-ce la première fois ? Certainement pas ! Mais il convient de se dépasser et d’apprécier les situations le plus objectivement possible. Et pourtant, ce fut dur.. Mais c’est tout Jacques Chirac. Un homme qui fut dur en politique, dur avec d’éventuels concurrents, dur voire implacable, même avec son successeur, bref dur avec tout le monde. Je le répète, cela ne suffit pas pour lui imposer une telle comparution judiciaire qui serait humiliante pour lui et pour nous.

Pour que l’honneur de la justice soit sauf, il faut renforcer les contrôles dans l’avenir. Pour que de tels actes ne se reproduisent plus ; mais sachez bien que l’on ne peut pas arriver à de telles positions en étant des enfants de cœur. Charles Péguy parlait des mains blanches du kantisme et ajoutait qu’en fait, il n’avait pas de mains… Seul D- est dans ce cas, comme le dit le prophète en parlant du Seigneur : Tu as les yeux trop purs pour voir le mal… Et pourtant, ce mal existe bien. En chacun d’entre nous.

Pour finir, j’évoquerai le cas de Helmut Kohl, le père de l’unité allemande qui refusa de livrer à la justice le nom de certains bienfaiteurs illégaux de son parti. Malgré l’insistance des juges, les menaces d’emprisonnement et tant d’autre intimidations, il refusa de se dédire. Il avait donné sa parole d’honneur. Et il s’ est tenu. Toute l’Allemagne l’a soutenu et certains juges, récalcitrants au début, ont dû s’en tenir là.
La justice, ce n’est pas la vengeance. Il y a un livre du canon biblique, qui s’appelle le Livre des Juges et qui commence par la formule ambiguë suivante : Du temps des juges ou du temps où l’on jugeait les juges. Tous les commentateurs glosent ainsi : c’est une époque de grave dissolution morale que le temps où l’on fait comparaître les juges devant un tribunal.
Or Jacques Chirac fut porté à la magistrature suprême. De grâce, ne le jugeons pas.

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