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Le petit traité de vie intérieure de Frédéric Lenoir (2010, Plon)

Le petit traité de vie intérieure de Frédéric Lenoir (2010, Plon)

J’aime beaucoup ce que fait Frédéric Lenoir et ce sympathique petit ouvrage, écrit avec cœur et intelligence, m’a renforcé dans ce sentiment. Que vise-t-il dans ce petit traité de vie intérieure ? Ni plus ni moins à redonner du sens à l’existence de chacun d’entre nous, à s’assumer et à vivre heureux. Vaste programme, diriez vous mais O combien rassurant et chaleureux ! Il nous apprend aussi à nous déprendre de nous mêmes, à défier les apparences et vivre pleinement.

Dès les premières pages l’auteur nous exhorte à dire oui à la vie. Cette formule m’a rappelé le titre d’un livre écrit par un psychiatre viennois de l’après-guerre, Viktor Frankl, rescapé des camps de concentration et qui avait rédigé ses souvenirs du camp auquel il avait justement donné ce titre, Zum Leben ja sagen (dire oui à la vie) mais il ajoutait, lui, en raison de toutes les épreuves subies, malgré tout (Trotzdem ja zum Leben sagen) . Cette façon d’être prend le contre pied d’un malaise qui a tendance à s’étendre et à contaminer toute le monde, la haine de soi (Selbsthaß) auquel un philosophe juif allemand, réputé par son antifascisme, a donné ses lettres de noblesse, Théodore Lessing.

Frédéric Lenoir s’en réfère aussi aux philosophes de l’Antiquité grecque, notamment à Aristote qui enseigne que l’être est préférable au non-être et à la privation (steresis). Le même Aristote a commis une impérissable Ethique à Nicomaque où l’on découvre que le monde est ce qu’il est et que, si on ne réussit pas à le changer, eh bien, il faut changer nos opinions sur lui.. Au fond, c’est la sagesse même.

La référence personnelle, voire autobiographique, m’a vivement touché et je pense qu’elle ne laissera pas les lecteurs indifférents : Frédéric Lenoir se livre à nous, dévoile quelles furent ses frustrations d’enfant et d’adolescence, bref tout ce que les psychologues nomment les blessures de l’enfance.

J’ai bien apprécié le chapitre sur la confiance et le fait de lâcher prise. L’auteur y fait référence à un célèbre mystique allemand du XIIIe siècle, maître Eckhart, qui a parlé de déprise de soi-même, d’abandon à confiant à Dieu et a ainsi ouvert la voie à ses lointains continuateurs comme Jakob Böhme et ses disciples, Suzo et Tauler .

J’ai découvert dans ce livre des renvois à la tradition juive, ce qui atteste aussi l’universalité de ce message. En fait, on retrouve cette pédagogie de soi-même, cette conduite intérieure de soi-même, dans toutes les doctrines éthiques. Ce pour cela que le message éthique, par son universalité, dépasse la portée du message religieux stricto sensu. Dans les Pirké Avot (Chapitres des Pères) sorte de raison pratique du judaïsme rabbinique, il est recommandé au fidèle d’abdiquer sa volonté face à Dieu afin que celui-ci en fasse de même à notre égard.

Notre vie nous appartient. Nul autre que nous même ne saurait la vivre à notre place. Il ne faut donc pas la vivre par procuration : elle est ce que nous voulons bien en faire. C’est une vérité que nous avons parfois du mal à saisir en nous concentrant (trop, même) sur certaines difficultés ou restrictions. Ce qui conduit parfois à des inhibitions paralysantes et pour finir, à la dépression. Et comme antidote à cet état, peut-on trouver meilleur remède que Montaigne qui avait bien compris le sens de l’existence humaine……

Philosophe, contraint de travailler seul et de fréquenter bien plus de défunts que de vivants, tant les célébrités contemporaines ont comparativement aux Anciens peu à nous apprendre, j’ai apprécié le chapitre sur le silence et la méditation. Evidemment, les jeunes d’aujourd’hui travaillent et préparent les concours avec des musiques assourdissantes : méditer en silence leur semble relever d’un autre âge… Et pourtant, c’est si nécessaire d’écouter sa voix intérieure vous parler comme à un autre soi même.

Les chapitres sur la nécessaire connaissance de soi sont particulièrement bienvenus ; la fameuse maxime delphique Connais toi toi-même. Même le Moyen Age judéo-arabe a repris cette formule en l’adaptant. Sous la plume des philosophes arabes elle est devenue ceci : connais ton âme O homme et tu connaîtras alors ton Dieu (A’raf nafsaka ya insane wa-ta’raf rabbaka…)

Quelle différence y a-t-il entre la connaissance et le discernement ? Le second incorpore quelque chose de nouveau à soi-même, à sa propre substance vivante, tandis que la première, certes, importante en soi, peut demeurer à la surface, ne pas nous changer. Quand nous étions des lycéens, on nous enseignait la phrase de Montaigne (encore lui !) science sans conscience n’est que ruine de l’âme..

Evoquer Montaigne, c’est penser aussi à son amitié avec La Boétie. Quelle place doit être dévolue à l’amitié et à l’amour ? Qui peut vivre sans amitié ni amitié ? Personne. Qui peut vivre sans avoir parfois à pardonner, à comprendre et à oublier ? Personne.

Je vous recommande aussi le dialogue platonicien d’un genre nouveau entre Socrate et Jacques Séguéla……

Lisez ce livre, mais lisez le à tête reposée, par petites doses pour pouvoir en profiter vraiment. Il changera la perception que vous avez de votre existence.

Maurice-Ruben HAYOUN

(Tribune de Genève, ce matin 6 décembre)

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