Morale et politique, le cas syrien
Certains lecteurs –et vous êtes de plus en plus nombreux à visiter ce blog- trouveront que l’on suit avec assiduité les événements en pays d’islam… Pourtant, ce qui se passe en Syrie dans une indifférence quasi-générale, est étonnant. Mais ce qu’i l’est encore plus, c’est que le ministère français des affaires étrangères, par la voix la plus autorisée, vient d’introduire dans les relations internationales, la notion de morale.
Marx avait coutume de dire que les Etats sont des monstres froids qui sacrifient qui ils veulent, pour peu qu’ils en décident… Pourtant, dans ce cas précis, Alain Juppé a réintroduit la notion de morale. Il a bien fait et pourtant un homme de son envergure sait pertinemment que de telles notions (la morale, l’éthique, la justice, la défense des opprimés) n’entrent jamais en ligne de compte dans de telles affaires… Et s’il en était autrement, on n’attendrait pas indéfiniment que le nombre de morts augmente, pour intervenir d’une manière ou d’une autre…
Quand on écoute les télévisions européennes, je veux dire occidentales, on ne peut pas mesurer l’étendue du drame des manifestant syriens qui se font littéralement tailler en pièces par les forces de sécurité et par l’armée de Bachar el-Assad. J’ai vu et écouté récemment sur Al-Djazira les hommes d’une même famille courir enterrer l’un de leurs enfants sous les balles, à la maison les femmes hurlaient de douleur en invoquant Dieu et appelant à la manifestation de la justice divine. J’ai aussi écouté l’interview d’un soldat déserteur, à genoux devant la tombe de sa femme, à la frontière turque où il s’était réfugié, et il a fait la déclaration suivante en arabe : ayant déserté, il a appelé son épouse sur son portable la priant de venir le rejoindre avec leur fils. L’épouse se mit en route, mais arrêté au poste frontière, on vérifia son identité et on découvrit de qui elle était l’épouse et qui elle allait rejoindre… La suite, vous pouvez la deviner, lé véhicule fut arrosé de balles de mitrailleuse. Ce sont les témoins directs de cette scène horrible, attendant leur tout dans un véhicule voisin, qui relatèrent le drame à ce soldat déserteur…
L’ambassadeur français à l’ONU a parlé de manquement à la morale, il a bien fait mais les valeurs morales n’ont pas encore fait une entrée déterminante dans les arènes internationales… Un exemple impliquant un grand personnage ( non dépourvu du cynisme ) que j’admire, Henry Kissinger, et qui disait que parfois, avant de réussir à faire une percée conceptuelle dans un conflit, il fallait un bon réchauffement du front, en clair un certain nombre de morts pour que l’on puisse enfin parler de cessez-le-feu ou de négociations de paix.
C’est triste mais c’est ainsi. Et ce sera toujours ainsi. Ceux qui ont lu un jour des extraits du traité de Clausewitz De la guerre se souviennent sans doute de cette phrase frappée au coin du bon sens : les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibre… C’est à cette phrase cynique que Bachar doit d’être encore dans son palais à Damas.
Mais reconnaissons, tout de même, que cette référence à la morale, publiquement proclamée, a piqué au vif le ministre russe des affaires étrangères : il a renvoyé l’accusation à son expéditeur, arguant que les défenseurs de cette règle morale font preuve de partialité et n’exercent de pression que sur une des parties… C’est peut-être le début d’une évolution, une petite brèche ouverte dans la muraille du cynisme.
Restent les Chinois dont les intérêts économiques en Syrie sont considérables. Mais dans ce cas précis, je dispose d’une autre citation, notamment d’Anthony Eden, ancien ministre des affaires étrangères et Premier Ministre de Grande Bretagne : Le monde n’est pas basé sur la justice, mais sur le pétrole.
C’est le sempiternel débat entre la morale et le cynisme.
Ne faites jamais de politique, laissez cela à d’autres…