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La France et le nationalisme turc…

La France et le nationalisme turc…

Alain Juppé, l’excellent ministre français des affaires étrangères, a parlé de sagesse quand il a gentiment conseillé au gouvernement turc, et plus spécialement à son chef, de ne point «surréagir» au vote par l’Assemblée Nationale d’une loi réprimant la négation de tous les génocides, notamment, en l’occurrence (et il faut bien le dire) le génocide arménien de 1915-17 .

Je dois de prime abord féliciter le ministre (ancien élève de l’Ecole normale supérieure) pour ce néologisme (sur-réagir), cette trouvaille terminologique innovante dont peu de ses collègues sont capables. Ce schème morphogénétique (pardonnez le jargon des linguistes) est plutôt rare dans notre langue française et est bien plus courant dans la langue de Goethe dont les pré- et postpositions constituent une sorte de noyau dynamique qui confère à la langue une agilité plastique (en allemand : eine Gediegenheit) qui accroît d’autant sa palette de sens, en un mot sa polysémie…

Voyez l’ingratitude proverbiale des Français, nous devrions être reconnaissants à l’actuel Premier Ministre turc de nous donner une rare opportunité d’enrichir notre langue ou, à tout le monde, d’être enfin conscients de ses ressources insoupçonnées. Merci donc, cher Monsieur Erdogan.

Vous avez bien compris, ce qui manque à la sérieuse moustache de M. Erdogan, c’est de l’humour ! C’est tout de même assez incroyable ! Quand on voit les manchettes de la presse turque, aucun titre n’a eu l’intelligence de prendre un peu de distance, de se dire que ce sont des affaires intérieures, que des élections approches ou que tout simplement, cette histoire n’a pas été fabriquée de toutes pièces et que, somme toute, les Français n’y sont pour rien. Enfin, nul n’est au-dessus des lois, pas même la Turquie.

Que cette démarche du parlement français irrite gravement certains secteurs gouvernementaux turcs, on le comprend aisément, mais que l’on menace la France des pires sanctions, voilà qui prête à sourire. Un professeur-journaliste peut le dire ici sans crainte : ce ne sont pas Turcs qui investissent le plus en France mais plutôt les Français en Turquie. Et puis, il faut que cessent ces éruptions nationalistes à répétition qui jalonnent la vie politique turque depuis des décennies.

Certes, l’échec des négociations en vue d’une intégration européenne peuvent susciter de l’amertume et, dans cette affaire, je regrette que certains dirigeants européens aient, à la légère, fait promesses intenables aux Turcs. Il y a quelques années, j’étais invité à un colloque international à Lisbonne par la fondation Gulbenkian (encore un Arménien !) à propos du dialogue des cultures. Une députée européenne grecque, parlant parfaitement français m’a dit, lors d’un dîner, qu’une entrée de la Turquie en Europe bouleverserait tous les équilibres, tant au parlement que dans toutes les commissions, exécutives ou consultatives. Et surtout deux points, me dit-elle, soulèvent de graves objections : le statut de la femme et l’exclusivisme religieux. Depuis, ce pays a fait quelques pas en avant mais qui sont encore loin des standards européens.

M. Erdogan devrait donc tenir des propos plus modérés et inciter son peuple à être un peu moins hystérique. Cela dit, révérence gardée.

Mais ce qui inquiète beaucoup plus, ce sont les allusions à peine dissimulées aux racines d’un prétendu sentiment –anti-turc de la part du chef de l’Etat, un sentiment qui serait rattaché, selon certains publicistes du Bosphore, à des origines familiales partielles, situées du côté de Salomique…

Mais comme le rappelait M. Juppé, les peuples turc et français ont tant de choses à faire ensemble et demain ils se retrouveront, apaisés, autour d’une question arménienne enfin résolue, grâce aux efforts conjugués de tous les hommes de bonne volonté.

 

Maurice-Ruben HAYOUN

Tribune de Genève du 23 décembre 2011

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