Les suites de l’élection du candidat islamiste Mohammed Moursi en Egypte
Vous connaissez tous l’inoubliable phrase du général de Gaulle au sujet des pays arabo-musulmans : vers l’Orient compliqué, je voguai avec des idées simples.
Cette phrase s’impose à notre esprit quand on démêle l’écheveau égyptien qui vient de connaître son aboutissement.
J’ai observé jour après jour, sur les télévisions arabes les développements en Egypte. Je ne croyais pas, au début, que les généraux sauraient éviter la confrontation avec leurs adversaires d’hier. Je ne pensais qu’ils auraient surmonter leurs habitudes et ne pas tripatouiller les urnes. En une phrase, je pensais qu’ils n’auraient en vue que leurs intérêts à très court terme et qu’ils propulseraient au poste suprême l’un des leurs, l’ancien Premier Ministre du Pr Hosni Moubarak, le général Chafiq. Eh bien, il n’en fut rien. Les généraux égyptiens avec à leur tête le maréchal Tantaoui m’ont agréablement étonné.
Ils ont fait preuve d’intelligence politique et ont parfaitement illustré le concept hégélien dit de la patience du concept : on analyse une situation donnée à partir d’éléments dont on dispose, on conclut de ce qui existe à ce qui va se produire, et quand on est sûr que l’avenir va nous donner raison, on ne fait pas d’obstruction, pas de violence, on attend simplement. Or, telle n’est pas, en général, l’attitude des militaires…
Les généraux ont d’abord commencé par faire travailler les juristes de la cour constitutionnelle, lesquels se sont empressés d’annuler les élections législatives pour un simple vice de forme. M. Moursi était pris au piège : pouvait-il désavouer une cour suprême de justice alors qu’il briguait les suffrages de ses concitoyens et que ce serait cette même cour qui proclamerait les résultats ? La mort dans l’âme, il dut s’abstenir, se déclarant confiant en la sagesse de la dite cour…
Ensuite, les généraux se sont octroyés à eux mêmes de larges pouvoir, protégeant leurs privilèges et leurs prérogatives. Une fois que ces réformes furent adoptées (en dépit de certains recours et d’une remise en cause partielle) ils ont accepté la victoire de leur adversaire d’hier.
J’ai bien écouté les discours de M. Moursi le soir de son élection et les jours suivants, y compris los de son investiture. On voit bien que les généraux lui ont fait une pressante explication de texte. Il a dû donner des gages et a insisté sur sa volonté de donner à son pays un régime civil (comprenez : non religieux) et qu’il adressait au monde un message de paix. Il est vrai qu’il n’a pas dit au monde entier, mais dans le reste du discours, il spécifiait que son pays respecterait et honorerait les accords internationaux. En fait, ce sont ses lieutenants qui ont pris soin de parler des Palestiniens et de leur situation.
Quel est l’agenda secret des généraux, étant entendu que c’est bien la première fois depuis plus de 60 ans qu’un civil (et quel civil !) occupe le pouvoir ? Les amitiés politiques, les conceptions d’avenir du pays ne sont pas partagées par ces deux sources du pouvoir, l’une émanant de l’armée, rempart du régime, l’autre issue des Frères musulmans dont l’objectif demeure l’érection d’une société religieuse axée sur la nation islamique.
Dès lors, le pari des maîtres de l’armée apparaît aussi clairement que possible : le président Moursi, bien que formé dans une université américaine, n’a aucune expérience gouvernementale et ne va pas tarder à réaliser que c’est bien difficile de contenter une nation arabe de 90 millions d’âmes… Il ne réussira jamais à redynamiser une économie endolorie par une révolution incessante ; il ne réussira pas à endiguer un chômage endémique, ce qui est la clé de voûte du problème actuel : comment intégrer au marché du travail tant de jeunes désœuvrés ?
A moins que tout ne trompe, ce nouvel élu ne tiendra pas plus de deux ans. Il aura été, comme on dit en allemand, entzaubert (perdu son attractivité). Une sorte de président intérimaire, de transition…
Et l’armée reprendra la main qu’elle n’aura, de toute manière, jamais abandonnée…