Crise de conscience : le sionisme a-t-il un avenir en Israël ?
Tous les observateurs sérieux et impartiaux (c’est-à-dire même ceux qui comme nous sont éminemment favorables à cet Etat) considèrent que le sionisme a besoin d’un renouveau, d’un souffle, d’une impulsion nouvelle, capable de lui redonner sa vitalité de jadis et de le conduire sur la voie de l’innovation et du rajeunissement. Comme on pourra le comprendre en lisant la suite, le sionisme des pères fondateurs n’est plus : il a, sous la pression des événements et de l’Histoire, cédé la place à une classe politique avide et égoïste (pour la plupart) qui n’hésite plus à mettre ses intérêts catégoriels en avant, au détriment de l’intérêt collectif.
Or le sionisme a toujours été un mouvement de masse, la cause de tous les juifs et non celle de quelques uns qui se sont appropriés les leviers de commande, tant au plan économique qu’au plan politique. On se souvient des manifestations gigantesques des indignés à Tel Aviv. Certes, les forces politiques sont parvenues, à force de ruses et de manœuvres, à lui retirer le vent des voiles, mais le mouvement a constitué une première : les Israéliens les plus défavorisés, et qui forment la majorité, ont protesté contre la vie chère, la pénurie chronique de logements et la concertation excessive des richesses dans les mains de quelques uns.
Mais que l’on ne se méprenne point sur la finalité de ce papier : il ne remet nullement en question l’existence de l’Etat d’Israël, ni surtout sa sécurité, son brillant avenir et sa montée en puissance. Il prétend seulement mesurer l’étendue de la désillusion qui affecte un nombre croissant de citoyens israéliens.
Ce que ces derniers contestent avec tant d’amertume, c’est cet individualisme qui gagne en intensité et semble affecter toutes les couches de la société. C’est la course désordonnée vers l’opulence individuelle, le non respect des lois (très courant en Israël) et le jeu des partisans politiques. Or, Israël, ce miracle de la persévérance, du courage, de l’obstination et de l’Histoire, ne peut avancer que si ses citoyens sont unis autour d’idéaux communs. Et voici que l’absence de solidarité, la disparition de ce souci de l’autre (si cher à Emmanuel Lévinas) et le développement d’une culture sociale peu éthique, se font de plus en plus sentir au sein de la société.
Comment l’homme de la rue explique-t-il cette situation qui lui pèse de plus en plus ? Le premier facteur d’explication souligne l’indigence et l’incapacité (réelle ou supposées) de la classe politique actuelle. On déplore l’apparition d’une série de politiciens habiles et intéressés, alors que la génération actuelle d’Israël appelle de ses vœux un Ben Gourion, un Lévy Eshkol, un Moshé Dayan ou une Golda Méir.. Même les chefs d’Etat majors et du ministère de la défense n’échappent plus aux critiques de tous ordres, depuis la rectitude de la gestion jusqu’à l’incompétence militaire.. Selon cette opinion, le pays serait mal gouverné et cette mauvaise gouvernance le conduirait sur de mauvais rails.
J’ai eu l’occasion de parler avec un russe, habitant le pays depuis 1996 et qui travaille dans une grande société commerciale. Il est venu effectuer des réparations. Lors de son travail, j’ai pu receuillir son point de vue d’homme simple mais doté de bon sens. Je lui a di dit que j’était étonné par la montée de la violence dans le pays et par une certaine tendance à bafouer les lois, il me fit la stupéfiante réponse suivante : on dit que ce pays est situé en Orient mais en réalité, c’est l’Afrique.. Incroyable !
Le reproche le plus souvent cité touche à la politique étrangère et aux velléités de guerre contre l’Iran. Les citoyens israéliens considèrent que l’Iran doit être mis hors d’état de nuire et préconisent de prendre les mesures nécessaires pour réaliser cet objectif. Mais ils relèvent dans le même souffle que Tsahal n’est pas vraiment prêt pour une telle attaque et recommandent de mieux organiser le système de défense d’Israël. Enfin, ils soupçonnent le gouvernement actuel, dont l’orientation économique est ultra libérale, de ne pas avoir tiré les leçons des erreurs du passé (la guerre de 1973 et celle, plus proche, contre le Hezbollah), et de vouloir passer à l’action pour se maintenir au pouvoir. Ce qui, il faut bien le reconnaître, parait quelque peu exagéré.
Un autre facteur intervient de plus en plus souvent dans cette désillusion des citoyens et l’affaiblissement de leur foi en l’Etat : c’est la corruption. Et dans ce domaine, même les plus virulents ne vont pas au-delà de la vérité. Pour comprendre cet attrait irrépressible pour l’argent et les avantages matériels, il faut bien scruter la situation de manière objective, sans crainte de heurter la sensibilité des uns ou des autres : dans ce pays, se loger relève d’un acte héroïque quasi quotidien, car les places sont chères et la mentalité des gens est d’être propriétaire de son gîte, dès qu’on le peut. En soi, ce n’est pas un mal, bien au contraire, mais cela a développé une spéculation immobilière acharnée qui fait de l’acquisition de la moindre parcelle de terre un petit miracle ensoi. Certes, quelques rares élus, disposant de grandes richesses, peuvent vivre à l’aise dans des ilots de paix et de prospérité, mais ce n’est pas le cas du plus grand nombre : promenez vous dans les rues de Tel Aviv, sans même parler de Jérusalem, et vous comprendrez. Regardez comment les gens protègent leurs places de parkings et combien de conflits naissent de ces conflits de voisinage. Pourtant, il faut bien reconnaître qu’à l’exception de quelques couches sociales, les mœurs sont plutôt acceptables.
Avant, les gens donnaient leur vie au kibboutz qu’ils avaient fondé et où leurs enfants étaient nés. Les premiers grands dirigeants de ce pays venaient des kibboutzim, ls chefs de l’armée, les leaders politiques et l’élite de la nation. Pour un français, on pourrait dire que le kibboutz jouait le rôle de l’ENA et de polytechnique. Aujourd’hui, la génération qui opte pour l’engagement politique est mue par des motivations autres.
Reste un autre facteur qui n’apparaît pas toujours clairement mais qui compte dans le développement d’une nation, et singulièrement dans le cas d’Israël : c’est la fidélité aux valeurs éthiques du judaïsme, or Israël se veut et se dit un Etat juif. Pourquoi constatons nous cette éclipse accélérée de l’éthique juive ?
Profondément divisée quant à la place des valeurs religieuses au sein de leur société, les Israéliens souffrent d’un déficit de spiritualité. On pourrait même dire que les leaders religieux révèlent les mêmes faiblesses que les dirigeants politiques. Mais les premiers portent une plus lourde responsabilité aux yeux de l’Histoire. Les érudits des Ecritures, les rabbins qui leur succédèrent, ont été les instituteurs d’Israël comme Homère et Hésiode ont été les instituteurs de la Grèce antique. Lorsque l’Etat d’Israël fut fondé, David Ben Gourion, dont l’irréligion était notoire, a eu la bonne idée de les impliquer dans la gestion des affaires en leur accordant quelques privilèges, notamment la dispense du service militaire. Mais à l’époque, la dispense ne touchait que quelques centaines de personnes.
La faillite de ce système est imputable à ceux qui ont instrumentalisé la religion pour avoir une vie plus facile. Or, cette recherche d’une vie matérielle aisée contredit aux règles talmudiques dont les religieux devraient être les héritiers et qui nous recommandent de mourir pour la Tora (mémit et atsmo aléha). On nous recommande aussi de ne boire de l’eau qu’avec mesure et de coucher à même le sol. Mais les talmudistes n’étaient pas des naïfs puisqu’ils concluent leur propos en disant : si tu agis ainsi, grand bien te fasse ( ashrékha we tov lakh).. Sous entendu : bien peu le feront et quant à toi, tu n’en tireras aucun bénéfice matériel. La situation actuelle n’est donc pas nouvelle, en fait elle perdure depuis bien longtemps !
La classe des religieux ne défend plus vraiment les belles valeurs de l’éthique juive mais une politique o ù la religion se contente de jour un rôle et entend défendre les privilèges de ceux qui la gèrent. Et ceci est bien dommage car les valeurs juives ont conduit nos pères à sacrifier leur vie pour que ce valeurs vivent. On en est bien loin aujourd’hui où une course de vitesse est engagée entre les différents camps de la société.
Alors démission des religieux ? Oui, dans une certaine mesure mais il ne faut pas instruire à charge exclusivement. La société israélienne est extrêmement dure et difficile et chacun doit gagner de haute lutte sa place au soleil et ensuite passer sa vie à la défendre : pouvons nous exiger des religieux qu’ils soient des agneaux dans une bergerie envahie de loups ? Ce ne serait pas raisonnable.
On ne doit plus se réfugier dans un passé myethique et souhaiter le retour de l’ancien. Mais reverrons nous émerger des figures comme celles qui peuplent les récits hassidiques de Martin Buber ? Reverrons nous les vraies valeurs de Rabbi Nachman et je ne parle de ce quelques gentils danseurs qui viennent égayer les terrasses des restaurants pour ensuite faire la quête.. Les valeurs éthique juives authentiques, qui gisent au fondement du monothéisme biblique, doivent irriguer tous les secteurs de la société, sans que cela n’entraîne une tyrannie du dogme religieux.
Il faut désormais un néo-sionisme pour régénérer les valeurs morales d’Israël, il faut un souffle nouveau. Il faut repartir du fond, je me souviens d’un mot du Zohar qui dit : hit’ arouta mi-lematta : le réveil à partir du plus bas, du plus profond de nous-mêmes et des choses.
Cet Etat d’Israël est, comme je l’écrivais au début, un miracle de la persévérance et de l’histoire. Il faut rendre hommage à ceux qui l’on refondé et défendu. Il parvient tant bien que mal à faire tenir ensemble sur une minuscule portion de territoire plus de 120 nationalités dont les racines juives sont parfois très anciennes, voire même sujettes à caution. Dans son armée qui est un véritable creuset de la nation, il intègre tous les milieux sociaux, toutes les ethnies (je pense aux gens issus des Indes et des Fellashas). A lui seul, ce fait demeure un mérite incontestable. Et enfin il assure la sécurité de ses habitants dans un milieu hostile et hautement dangereux. Cet Etat a restitué à des générations de juifs le respect d’eux-mêmes, la fierté d’être juifs. En fait, après deux mille ans d’errances et de persécutions, il a redonné aux juifs une identité. Ce n’est pas rien.
Moi, j’aime la vieille Europe et suis très attaché à sa culture et à son éducation, même si, ici, c’est plutôt mal vu et que l’on parle du vieux continent comme du plus grand cimetière juif. Entendez par là que les persécutions sanglantes des juifs jalonnent les siècles de l’histoire européenne. C’est indéniable, mais c’est bien sur ce continent que le génie d’Israël s’est développé. Regardez les grandes œuvres philosophiques et littéraires développées en Europe, depuis Maimonide jusqu’à Léo Baeck…
Pour ce qui est d’Israël, dès que ce monde arabo-musulman qui s’est juré sa perte, aura retrouvé ses esprits, après ces révolutions qui minent ses fondements (Syrie, Libye, Egypte, Tunisie, Irak, Algérie, etc), des perspectives nouvelles se dégageront. La région comprendra enfin qu’elle a besoin d’un tel état qui reste, malgré toutes les critiques, attaché à la démocratie et à la liberté. Mais pour cela il faut qu’Israël retrouve le souffle prophétique de ses pères fondateurs.
A la fin de la première guerre mondiale, lorsque Gustav Stresemann a proclamé la république de Weimar, il a dit une phrase qui est très belle et sue l’on peut aplliquer au Proche Orient de demain ou d’après demain. Am deutschen Wesen wird die Welt genesen ( l’Essence allemande régénérera le monde). L’essence d’Israël finira bien par donner à cette région du monde l’amour de la vie et de la paix.
Maurice-Ruben HAYOUN
Tribune de Genève du 20 août 2012