La fête de Simhat Tora, ce soir, clôture de soukkot.
On a déjà eu l’occasion de parler de la joie de soukkot qui succède à l’austérité, voire à la gravité du jour des propitiations et du Nouvel An. Mais il y a une joie à la joie, celle de la Tora pour laquelle, de génération en génération, les juifs se sont faits tuer. Ils ont supporté toutes ces souffrances avec un incroyable stoïcisme. Déjà dans les écrits bibliques, probablement dans les Psaumes et le livre de Samuel, il est dit que les Hébreux sont emmenés pour Dieu à l’abattoir tous les jours (ki aleikha horagnou kol ha yom)…… Plus loin, il est même dit : nous sommes comme le bétail emmené à l’battoir (hayyinou ka-tson la-tévah youval…)
Et voilà que ces mêmes juifs tués à cause de leur Tora dansent à n’en plus finir avec, dans les bras, cette même Tora pour laquelle on les a si cruellement persécutés. Curieux paradoxe comme seul un peuple aussi étrange peut en vivre…
Pourquoi le destin juif est il si cruel ? Ernest Renan a dit dans son Histoire d’Israël que le peuple juif avait été chargé d’une mission extraordinaire qui présupposait sa propre disparition : écrire l’histoire des autres, l’histoire de l’humanité. Et pour ce faire, ajoutait le titulaire de la chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France, le peuple d’Israël devait disparaître… Curieux raisonnement pour expliquer un paradoxe non moins paradoxal.
Notre explication est différente : le peuple d’Israël a été chargé de rédimer l’humanité tout entière en lui montrant le droit chemin et en lui exposant les commandements de la Tora. Comme ces commandements heurtent la sensibilité ordinaire des hommes, ces messagers furent punis en raison du message dont ils étaient porteurs.
Mais alors pourquoi les juifs dansent –ils avec dans leurs bras l’objet de tous leurs malheurs ? C’est probablement en raison de leur foi inébranlable en Dieu. Un passage talmudique met en relation les souffrances d’Israël et sa foi en Dieu. Il dit que les mérites d’Israël ne tiennent pas à sa fidélité à la législation divine ni au respect des préceptes mais au fait suivant : quelle qu’ait été la férocité de leurs persécuteurs et l’atrocité de leurs souffrances, ils n’ont jamais douté de leur Dieu. Même lors de la première catastrophe nationale, la destruction du Temple de Jérusalem en -586, les fils de Sion n’ont pas songé un seul instant à abandonner le Dieu de leurs père pour se ranger sous l’aide protectrice du Dieu babylonien…
C’est là peut être le mystère de la joie de la Tora, une joie souvent tempérée par une foule d’interdictions austères et un réseau très dense d’interdits.
C’est bien là l’imploration d’Israël qui tient en ces termes : et malgré tout cela, ton NOM nous ne l’avons pas oublié ; de grâce ne nous oublie pas (ou-be-khol zot chimekha lo shakhanou, na al tishkahénou !-)
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 8 octobre 2012