Discours du récipiendaire
Messieurs les Ministres Bernard DEBRE Claude GOASGUEN et Claude GUEANT
Monsieur Jacques-Pierre GOUGEON, conseiller spécial de Monsieur le Premier Ministre JMA
Madame le professeur Blandine KRIEGEL et si vous le permettez chère Blandine,
S. Excellence. Monseigneur Luigi VENTURA, Nonce apostolique
S.E. Madame Susanne WASUM-RAINER, Ambassadeur d’Allemagne
Monsieur le Grand Rabbin Josy EISENBERG
Madame Céline BOULAY-ESPERONNIER, Conseiller de Paris et adjointe au Maire du XVIe arrondissement, Monsieur Claude GOASGUEN,
Monsieur Charles MALINAS, Conseiller diplomatique auprès de Madame la Ministre de la culture
M. Jean-Paul FAUGERE, Président de CNP-Assurances
Monsieur Xavier MUSCA, Directeur Général délégué du Crédit Agricole
Monsieur le Sous- Préfet Alain BOYER
Madame Anny FORESTIER, Proviseur du lycée Janson de Sailly
Monsieur Philippe OLIVIER, Conseiller pour la culture et pour l’enseignement supérieur auprès de M. le Sénateur-Maire de Strasbourg
Monsieur le Directeur Général des éditions Univers poche, M. François Laurent
Monsieur le Directeur Général des éditions Berg International, M. Georges NATAF
Monsieur le Directeur Général des éditions Armand Colin, M. Jean-Christophe TAMISIER
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Avant toute chose je veux exprimer ma profonde gratitude à Madame le Professeur Blandine KRIEGEL, professeur émérite des Universités, ancienne chargée de mission à la présidence de la République et ancienne présidente du Haut comté à l’intégration, qui a si généreusement accepté de remplacer le Président Jean KAHN, rendu indisponible à la suite d’un petit problème de santé.
J’adresse donc à mon éminente collègue et Amie Blandine ma très vive gratitude
Bien que la remise d’une légion d’honneur relève d’un genre plutôt convenu, je ne ferai pas mystère de ma grande joie de vous voir tous réunis ici dans cette belle salle des mariages de notre mairie, où je donne une conférence chaque mois depuis dix-sept ans.
En vous souhaitant la bienvenue, je vous dis à toutes et à tous, du fond du cœur, mes remerciements les plus sincères pour avoir répondu positivement à mon invitation, si gracieusement relayée par ma chère Danielle et nos deux très chères filles Laura-Sarah et Clara-Lise.
Mes premiers mots seront des paroles de remerciement à Monsieur le Premier Ministre Jean-Marc AYRAULT qui a bien voulu me décerner, sur son contingent, cette haute distinction de la République, confirmant ainsi très généreusement le choix opéré par le directeur de cabinet de son prédécesseur.
J’ai aussi le très agréable devoir de redire ma vive affection à Monsieur le Président Jean KAHN, Grand Officier de la Légion d’honneur, qui m’avait déjà décoré il y a cinq ans dans une salle voisine de cette belle mairie.
Quand on reçoit une telle décoration, on doit forcément parler de soi ; c’est une manière élégante d’expliquer ce qui nous vaut un tel honneur, même si je considère, en ce qui me concerne, que j’ai encore tant à faire pour le mériter pleinement. Mais je le considère, cet honneur, comme un encouragement prodigué par les plus hautes autorités de l’Etat, en vue de persévérer dans mes efforts d’être utile à mon pays.
Je suis surtout actif dans le secteur de la culture, et plus précisément dans le domaine des langues, de la philosophie et de l’histoire des idées. Je suis présent tant par mes travaux d’érudition que par mes articles dans la presse où il m’arrive de prendre position sur les grands débats qui préoccupent nos sociétés.
Si vous me permettez de caractériser moi-même, non point mes mérites mais les secteurs de mon activité, Je dirais que j’essaie surtout d’être une sorte d’intermédiaire, de passeur entre les cultures, seules garantes, selon moi, d’un développement harmonieux entre les civilisations. Je pense à l’harmonie qui doit régner entre les deux rives de la Méditerranée. Mais je pense aussi entre la France et l’Allemagne, entre la judéité et la germanité. Je saisis cette opportunité pour saluer une nouvelle fois la présence de S.E. Madame l’Ambassadeur d’Allemagne et pour lui dire que Je suis très sensible à cette marque d’ amitié.
Dans mes travaux, j’ai voulu étudier de grands penseurs que je considère comme les pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Maimonide et Averroès. Ce sont des hommes qui ont tenté, avec succès, de rapprocher leur foi religieuse de leurs idéaux philosophiques, legs spirituel de l’hellénisme tardif. Et à cet égard, je suis très sensible à la présence de Mgr Luigi Ventura, Nonce apostolique. Les grands penseurs évoqués furent des hommes qui vivaient dans une double culture, ce qui constitue le ferment le plus fécondant dans l’esprit des hommes. C’est à ces hommes que nous devons l’originalité et la centralité de notre continent. Si l’Europe est devenue ce qu’elle est, c’est principalement à eux que nous le devons.
J’ai aussi beaucoup étudié la philosophie et la culture allemandes. Avec la philosophie juive dont elles sont très proches, c’est bien celle que je préfère et c’est encore elle qui a laissé sur moi l’empreinte la plus profonde. Et je pense que cette déclaration ne déplaira pas à mon éminent ami, M. JPG, germaniste comme moi-même et comme Monsieur le Premier Ministre.
Il y a près d’un an, alors que je me trouvais au Palais de l’Elysée dans le bureau d’un ami, Xavier MIUSCA, il me demanda, alors que je venais tout juste de m’asseoir, de lui expliquer ce qu’il nomma mon tropisme germanique. Il avait raison et j’ai fini par me considérer moi-même comme un oiseaul rare : un séfarade germaniste et quel germaniste ! J’ai été durant vingt-quatre ans professeur de philosophie à l’université de Heidelberg. J’avais aussi été, dans mon jeune âge, boursier de la Fondation Alexandre de Humboldt avant de devenir, quelques années plus tard, Preisträger. Et j’ai même publié en 2004 un livre écrit directement en allemand sur l’histoire de la philosophie médiévale.
Pourquoi ai-je choisi la philosophie, et notamment la philosophie médiévale, juive, arabe et chrétienne, et pour la période moderne, la pensée germanique, notamment le renouveau de la pensée judéo-allemande depuis Mendelssohn jusqu’à Gershom Scholem ? Dans mon inconscient, je voulais réunir, par l’esprit, des aires culturelles qui semblaient s’ignorer, volontairement ou involontairement car il ne faut pas sous estimer la barrière des langues. Il est d’ailleurs plutôt rare, surtout pour un Français, de connaître à la fois l’allemand, l’hébreu et l’arabe.
L’une des rares idées originales que j’ai eues dans ma vie est peut-être celle-ci : démontrer la continuité, le prolongement naturel entre les Lumières du Moyen Âge (Averroès, Maimonide, Albert le Grand, Maître Eckhart) et celles du XVIIIe siècle. Dans mes recherches sur la philosophie judéo-arabe du Moyen Age, j’ai découvert que dès le XIIe siècle, un médecin-philosophe comme Ibn Tufayl, celui là même qui présenta le jeune Averroès au calife à Marrakech, avait rédigé un très beau traité où il se livrait à mots couverts à une cinglante critique des traditions religieuses et de la notion même de Révélation en islam. Une telle avancée idéologique est totalement absente chez nous, dans notre aire culturelle judéo-chrétienne, à cette même époque. Et d’ailleurs, j’ai décelé dans un autre petit traité de la pensée allemande du XVIIIe siècle, j’ai nommé L’Education du genre humain par G. E Lessing (Die Erziehung des Menschengeschlechts), des influences de cette critique, probablement véhiculée par Mendelssohn, l’ami de Lessing : la relativisation de l’importance de la Révélation qui devait céder la première place à la conscience morale dans la cité ses hommes. Par ce geste, l’autonomie du sujet moral venait d’être conquise quelques décennies avant le criticisme kantien.
Comme j’ai tant étudié des philosophes situés au carrefour de la philosophie et de la religion, ce que nos amis allemands nomment de manière intraduisible en français, la Religionsphilosophie, on m’a parfois demandé si je faisais de la théologie… Cette question pose le problème des relations entre la culture générale, laïque, et les matières religieuses. Cela m’a rappelé une anecdote talmudique sur la place de la culture profane : et d’abord, existe-i-il vraiment une culture profane ? Toutes les sciences sont sacrées car elles recherchent la vérité.
Et que lit-on dans ce folio talmudique ? Les disciples posent une question hautement sensible à leur maître : vous avez, lui dirent-ils, étudié toute la Tora, vous n’avez plus rien à y découvrir, allez vous aujourd’hui vous intéresser, enfin, à la culture grecque ? Le maître, dialecticien consommé, a subodoré la question-piège et a su éviter les différents écueils. Il savait que la Bible (Josué ch. 1 ; 8) recommande d’étudier la Tora de Dieu de jour comme de nuit… Apparemment, la réponse devait être négative, puisqu’on a affaire à un véritable non possomus… Eh bien, c’est mal connaître les inépuisables ressources de la sagesse et de l’ingéniosité juives…
Le sage répondit : oui, je vais étudier la sagesse grecque mais à des heures qui ne font partie ni du jour ni de la nuit !
Si quelqu’un a la solution de cette énigme, je suis preneur. Mais je puis vous dire que, moi, j’étudie à toutes les heures du jour et parfois même de la nuit…
Voici, Mesdames , Messieurs, ce que j’ai développé dans les livres que j’ai publiés.
Mais aurais-je pu faire tout cela et me livrer à mes loisirs studieux, la lecture, en l’occurrence, sans l’affection et le dévouement de mes chers parents qui veillèrent sur mon éducation avec un soin tout particulier ? Je rends un hommage ému à leur mémoire. Tout comme j’exprime mon affection f à mes très chères sœurs et à mes très chers frères dont le soutien et l’amour ne m’ont jamais fait défaut. Je redis ici aussi ma profonde affection à ma fille Laura.
Pour m’acquitter à peu près complétement de mes dettes, c’est du moins ce que j’espère, je voudrai dire mon profond attachement à Danielle qui me supporte dans tous les sens du terme et veille sur moi avec amour depuis tant d’années. Dans ce contexte, je citerai bien volontiers une seconde anecdote talmudique qui, par delà Danielle, devrait réjouir le cœur de toues les épouses ici présentes.
Une femme avait fait le voyage pour rejoindre son époux qui enseignait ses disciples dans une ville voisine et qui ne regagnait le domicile conjugal qu’à l’occasion des grandes fêtes, tant il était dévoué à son enseignement et à ses auditeurs. Etonnés par la présence intempestive de cette épouse qu’ils considéraient un peu comme une intruse, les disciples firent part de leur mécontentement à leur maître qui leur fit, en trois mots hébraïques, la réponse suivante, mettant fin à toute discussion : shélli, we shellakhem shélah. En français : Tout ce que j’ai appris, tout ce que je vous ai appris, c’est à elle que nous le devons.
En conclusion, puisque j’ai parlé au début de ce petit exposé de la culture allemande et de ma persévérance, je me dois donc d’achever par une citation tirée du Faust de Goethe :
WER STREBEND SICH BEMÜHT, DEN WERDEN WIR ERLÖSEN.
Celui qui persévère et n’épargne pas sa peine, celui là sera gracié.
Pour vous faire rire, car il ne faut jamais se prendre au sérieux, je traduis ainsi de manière humoristique :
celui qui persévère et n’épargne pas sa peine, celui là sera décoré.
Eh bien, c’est fait et j’en suis très heureux !
Merci à Blandine, merci à Igal, merci à vous tous de m’avoir écouté
Maintenant, au buffet
M-R H