UN PEU D’ÉTHIQUE DANS L’AGRO-ALIMENTAIRE ?
Ce qui vient de se passer en Grande Bretagne et peut être aussi ailleurs, à savoir la découverte de viande chevaline dans des plats cuisinés d’une grande marque a de quoi nous étonner. Mais surtout cette grave tromperie relance un très vieux débat qui confronte notre alimentation à notre éthique. Ou plutôt à ce qui en reste. Nul n’a oublié le formidable débat concernant les farines animales et le drame de la vache folle… Existe-t-il un rapport entre ce qu’on est et ce que l’on mange ? Peut on dire, par exemple : Dis moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ?
Je le crois fondamentalement, même si je considère que nourrir la planète est un devoir sacré. Mais pas de n’importe quelle manière. Le fait de faire passer de la viande chevaline pour de la viande bovine est un grave manquement à l’éthique.
Mais laissons la question sur le plan philosophique et éthique : y a t une relation entre ce que l’homme est et ce qu’il ingère ? Fondamentalement, oui. Les sociétés civilisées et avancées au plan éthique le savent : la manière de procéder à l’abattage des animaux de boucherie, pratique hélas indispensable tant qu’on n’aura pas synthétisé des protéines animales d’une autre manière, renseigne valablement sur l’état d’avancement des sociétés.
Deux types d’animaux sont particulièrement honnis par les hommes, même au plan moral : il s’agit des hyènes et des chacals, car ils se nourrissent de cadavres en putréfaction. Ils ressemblent à des coprophages qui se nourrissent d’excréments. Et si l’on compare quelqu’un à ces types d’animaux, vous devinez bien sur quel niveau éthique on le place.
La Bible, premier document fondateur de l’humanité éthique, interdit depuis le livre de la Genèse la consommation du sang d’un animal au motif que le sang est le principe vital (ki ha-dam hou ha-nafésh). C’est ainsi que l’on peut dire qu’il y a un lien entre la diététique et l’éthique.
Dans la religion juive et même avant elle, on a édicté une sorte de code que l’homme doit respecter lorsqu’il est confronté à la grande affaire de sa vie physique : se nourrir ! D’ailleurs, le livre des Proverbes dit bien : tout le mal que l’homme se donne sur cette terre, c’est pour se nourrir ! (kol amal ha adam le fihou)
Dans les sept lois des fils de Noé (Noachides), une humanité assez civilisée, pensante mais non encore croyante car non dépositaire de la Révélation, on interdit la consommation d’un membre d’un animal encore vivant. Car c’est un acte de cruauté barbare : on ne peut pas arracher une cuisse ou une aile à un coq ou à une poule qui serait encore vivant… Il faut procéder à un abattage, devenu rituel chez les juifs.
C’est toute la question de l’abattage rituel de la viande cacher ou de la viande halal. Ces prescriptions remontent probablement à des temps immémoriaux et l’on pense inévitablement à la ligature d’Isaac, fils du patriarche Abraham, lequel s’était muni d’un coutelas pour ce qui semblait devoir être un sacrifice humain. Qui n’eut jamais lieu, heureusement.
Mais la Bible va nettement plus loin dans le livre du Lévitique où figurent toutes une liste d’animaux purs et impurs. Les règles fondamentales sont, à peu de choses près, celles-ci= on ne consomme pas de bêtes de proie, on ne consomme que des mammifères , des ruminants aux sabots fourchus (les deux conditions doivent être réunies) ; pour les poissons les sortes permises doivent voir des écailles et des nageoires…
C’est ainsi que la Bible a jugé bon de présenter sa conception éthique du mode humain de nutrition. Certes, on peu s’interroger aujourd’hui sur l’opportunité de reprendre ou non ce modèle. Mais une chose reste indubitable : la nourriture revêt une dimension qui va bien au-delà de la simple ingestion d’aliments destinés à nous maintenir en vie.
La diététique a aussi un prolongement et une dimension éthiques. Et il convient d’y veiller. Faute de quoi, nos sociétés subiront la pire des dégringolades, celle de la morale.
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 9 février 2013