La fin de l’existence légale des Frères musulmans en Egypte ?
Un tribunal égyptien vient de mettre fin à l’existence officielle des frères musulmans sur les bords du Nil, tout en laissant ouverte la possibilité de faire appel de cette décision pour le moins étonnante ! Cependant, quand on voit l’impéritie du gouvernement de Mohammed Morsi rétrospectivement, on se demande comment on peut commettre autant d’erreurs quand on est au pouvoir.
Ce jeune et fringant ministre de la défense qui se faisait passer pour un sympathisant des Frères, effectuant sans faute ses cinq dévotions quotidiennes et s’abstenant de vivre à l’occidentale, a bien caché son jeu. D’ailleurs, le président Moubarak qui lui doit sa libération a dit de lui qu’il était très futé, ce qui est l’avis d’un connaisseur ayant eu la haute main sur toute l’Egypte durant trois décennies.
On revient à la case départ puisque les Frères n’auront plus aucune existence légale en Egypte. Leurs biens ont été saisis, leurs institutions dissoutes et il ne restera plus rien de leurs activités politiques, ce qui signifie que toutes les négociations en vue de dégager une aile modérée de la secte ont échoué. Et, dernier mais non moindre, le général Aboul Fatah al Sissi va sûrement se présenter aux élections présidentielles, sans avoir en face de lui, un candidate islamiste. Le nouveau Hosni Moubarak est né.
J’avais écrit ici même que M. Morsi avait commis une erreur qui lui serait fatale en limogeant sans ménagement le vieux maréchal (al mouchir) al Tantawi qui n’avait pas dit son dernier mot. L’armée n’a pas accepté ce camouflet, elle est intelligente et sait tout ce qui se passe dans le pays dont elle assure la surveillance et la sécurité. Ce qui veut dire que toutes les conversations gouvernementales, notamment celles des chefs islamistes, étaient écoutées, ce que les principaux intéressés firent mine d’ignorer. Après le limogeage de son chef, l’armée a décidé de réagir à l’égyptienne en faisant semblant de se taire et de se réfugier dans ses casernes. Mais en réalité, le clan du président Moubarak, très puissant tant au sein de l’armée que dans la société civile, tissait sa toile.
Les dés étaient jetés. Le sort de Morsi était scellé. Mais l’Egypte a perdu près de deux ans et demi. Beaucoup de choses se sont déréglées, d’autres prendront autant de temps pour se remettre en place. Mais une chose est sûre : l’armée tient les choses bien en main et ne lâchera plus jamais le pouvoir. L’islamiste politique en Egypte ne sera plus qu’une petite, toute petite parenthèse dans l’histoire de l’Egypte moderne.
Au début du coup d’Etat, les USA ont fait mine d’émettre des réserves et de demander la libération des détenus et de leur chef, M. Mors.i En réalité, ils observaient la situation et craignaient qu’elle ne vire à l’iranienne, ce qui constitue à leurs yeux un véritable cauchemar … Cela n’a pas échappé aux généraux égyptiens qui en conçurent une certaine méfiance à l’égard de leurs alliés.
L’armée égyptienne stimulera les investisseurs, elle est adossée aux Saoudiens et aux Emirats arabes unis qui redoutaient l’installation des islamistes au pouvoir. Ils ont même fait savoir aux généraux égyptiens qu’ils leur offriraient dix fois plus d’argent que l’aide américaine. Là aussi, la crédibilité US en a pris un coup, Washington refusant de cautionner un coup d’état pourtant rendu nécessaire par les projets de constitution islamiste des amis de M. Morsi. Souvenez vous de ces barbus installés dans les travées du parlement égyptien ou des avocats des parties civiles vociférant lors du procès du Pr. Hosni Moubarak…
Il existe des pays qui n’ont pas de tradition démocratique enracinée ni même de formation politique sérieuse de leurs citoyens. Or, l’armée égyptienne est la seule institution vraiment organisée du pays. Et depuis Nasser, c’est elle qui dirige le pays. Jetez un coup sur la biographie de Sadate, écrite par Robert Solé, qui vient de paraître aux éditions Perrin.
Certes, les victimes, nombreuses, de ce coup d’Etat sont à déplorer et il y aura certainement de lourdes peines de prison à l’encontre des islamistes et de leurs chefs. Il est presque certain que les généraux n’auront pas trop besoin de manipuler le résultats des élections présidentielles tant le général ministre de la défense fait figure de héros et de sauveur.
Au fond, la religion comme instrument de la gouvernance de la politique, cela ne marche pas. C’est la grande leçon de cette aventure.