A propos d’un récent article de Régis Debray sur l’Iran…
Certains d’entre vous ont peut-être lu, tout comme moi, dans Le Monde, un article, véritable récit de voyage du philosophe français Régis Debray, sur un bref séjour en Iran. Je connais un peu ce philosophe, pour l’avoir rencontré il y a quelques années au ministère de l’éducation nationale, du temps où M. Luc Ferry en était le patron. Nous avions de bonnes relations et j’avais recensé élogieusement certains de ses livres. Je ne le regrette nullement, mais j’ai été largement déçu de lire dans cet article que celui que je considérais comme un esprit avisé avait été abusé par la rhétorique mensongère de ses hôtes, la takiyya : l’art de dire à un interlocuteur le contraire de ce que l’on pense, car on veut l’enfumer du fait qu’il est un incroyant.
Sans le dire vraiment mais en distillant un message subliminal entre les lignes, R.D. plaide –et c’est son droit- pour la bonne foi du pays des Mollahs et pour sa réintégration dans le concert des nations fréquentables. Certes, ce n’est pas le petit télégraphiste de Téhéran, mais c’est nettement un texte en faveur d’un pays dont la direction politique tente désespérément de redresser la barre (ce qui est louable, car mieux vaut tard que jamais), tout en continuant à opprimer sa population, puisque le régime est tout sauf démocratique. N’étaient les sanctions touchant durablement la vie quotidienne des citoyens et ayant fait fondre dans leurs poches la monnaie nationale, jamais le guide de la révolution n’aurait consenti à faire des concessions, même de façade. Car la question cruciale reste toujours la même : si l’Iran n’a rien à cacher pourquoi s’entêter à refuser des années durant tout contrôle sérieux de ses installations ? Et pourquoi donc l’AIEA a-t-elle retrouvé des traces suspectes ?
Certes, Régis Debray dont la bonne foi ou la naïveté est insoupçonnable, a donné à son plaidoyer un aspect salonsfähig (présentable) : ainsi la jeunesse est mieux éduquée que dans les pays arabes avoisinants, ainsi les jeunes filles sont plus nombreuses à réussir leurs examens universitaires que les garçons, ainsi le règne d’Ahmaninedjad est loin et oublié, ainsi la Palestine est bien loin, etc, etc.. Mais ce qui m’a frappé, c’est que l’auteur, qui n’est guère suspect du moindre antisionisme ni du moindre antisémitisme, ait pu écrire, même sans reprendre l’argument à son compte, qu’on n’ennuyait pas tant Israël avec ses munitions atomiques (si tant est qu’elles existent). Je le répète : il ne le dit pas lui-même mais reprend complaisamment à mon goût, les critiques de certains de ses hôtes iraniens..
En fait, Régis Debray qui a oublié d’être simple, aurait dû, avant d’accepter de faire du tourisme dans ce pays, se souvenir des commentaires positifs, mais prématurés, de Michel Foucault qui avait commencé par louer l’avènement inattendu d’une révolution à caractère religieux qui ambitionnait de mettre à bas un régime corrompu, dictatorial et détesté.. On sait ce qui en est advenu.
Mais je ne veux pas me confiner au seul aspect négatif. Régis Debray aurait tout de même pu dire à ses interlocuteurs que prêcher la disparition d’un Etat, en l’occurrence l’Etat d’Israël, relève d’une démarche qui sied exclusivement à un Etat criminel et que depuis le temps d’Adolf Hitler on n’avait pas connu pareille chose, si ce n’est dans la bouche de politiciens arabes……
Les Iraniens sont, après les juifs, les meilleurs virtuoses de l’exégèse. Comme chacun sait, les juifs ne sont pas le peuple DU livre, mais d’UN livre… Et cela remonte à un passé immémorial. Même dans l’Antiquité judéenne, la rencontre avec la Perse dont les Iraniens, même islamisés sont les descendants, avait profondément séduit les grands prophètes d’Israël. Mais tout de même ! On trouve dans les Evangiles, notamment de Saint Matthieu, que Régis Debray a relu un certain nombre de fois depuis qu’il s’intéresse à Dieu, l’injonction suivante : que votre oui soit un oui et votre non un non ! Et la phrase revient maintes fois dans cette littérature chrétienne fondatrice. Or, les Iraniens d’aujourd’hui n’ont probablement pas fait leur profit de ce sage conseil.
Mais Régis Debray, lui, a dû le faire. Peut-être devrait-il faire un séjour parallèle en Israël où il pourra se rendre compte du nombre de juifs d’Iran qui ne nourrissent aucune haine à l’endroit du pays qui les a vus naître..
Tout cela dit avec amitié mais aussi une certaine franchise.