Faut il remanier ou supprimer certains passages lirurgiques juifs ?
La dernière livraison de l’excellente revue SENS (n° 390, pp 445-457) de mes amis Bruno Charvey et Yves Chevalier m’a permis de lire un intéressant article concernant la liturgie juive dans ses relations avec l’amitié judéo-chrétienne. Son auteur, rabbin à Bruxelles, a déployé de louables efforts pour exposer le problème. Ayant écrit un Que sais je ? intitulé La liturgie juive, il me paraît bon d’intervenir sur ce sujet.
La notion de tefillah ne reflète pas vraiment l’unique notion de prière, elle en englobe beaucoup d’autres. Et dans l’inauguration du temple de Jérusalem par le roi Salomon, on totalise pas moins de cinq ou six autres termes pour désigner une sorte d’abandon confiant à Dieu. Le-pallel signifie soumettre son cas à quelqu’un, en l’occurrence à Dieu. C’est ce qui ressort d’un passage du premier livre du prophète Samuel qui souligne que si un différend oppose deux êtres, il est facile de trouver une solution, mais si l’homme se trouve confronté à Dieu, il en va tout autrement.
Cette prière juive a évolué au cours du temps mais elle a toujours comporté trois parties statutaires, c’est-à-dire indispensables : le shéma Israël, les dix-huit bénédictions (qui en comptent en réalité dix-neuf) et le tahanum, prières pénitentielles et pétitions privées, afin de laisser à l’âme de l’individu un espace où exprimer ses propres demandes privées, sous forme d’oraisons jaculatoires (par exemple, la prière pour une guérison : El na réfa na lo : Seigneur ! guéris le…).
C’est dans le traité talmudique de Berachot que l’on peut prendre connaissance de la genèse de certaines prières. Et en particulier une d’entre elles qui pose problème puisqu’il s’agit de la malédiction des minnim (apostats ? Hérétiques ? Judéo-crhétiens, Délateurs calomniateurs ?), désignée par l’euphémisme bénédiction des minnim (bénédiction des hérétiques). Le talmud parle de Samuel le jeune qui l’aurait rédigée. Mais le même folio talmudique attire notre attention sur la distinction à observer entre deux verbes hébraïques qui ne veulent pas dire la même chose : hitkin (fonder, instituer) et hisdir( mettre en ordre).
Au fond, qui était désigné par le vocable MIN n’est pas vraiment controuvé aujourd’hui car cette appellation a pu recouvrir différentes catégories de «déviants» religieux, par rapport à l’axe centrale de la pensée rabbinique. Ce fut une époque où le judaïsme rabbinique était en formation et il fallait se poser en s’opposant. L’une des méthodes destinées à couper court à tout syncrétisme religieux fut de réciter cette prière à haute voix afin d’éloigner des synagogues les judéo-chrétiens.
La question qui se pose et qui fut même très nettement posée par les partisans de la réforme en Allemagne au XIXe siècle fut la suivante : devait on maintenir une telle partie de la prière ? Des rabbins théologiens comme Samuel Holdheim et Abraham Geiger jugeaient que cette séparation hermétique d’avec les autres (notamment pour la prière terminale Aléinou) n’avait plus lieu d’être puisque les juifs devenaient une confession, une communauté religieuse et non plus une communauté nationale, un peuple.
Si l’on pouvait bien articuler une défense pour cette birkat ha-minnim et dire, comme Mendelssohn, qu’elle ne visait pas les chrétiens mais les païens et les idolâtres, il en allait tout autrement puisqu’Israël s’attribuait ici le seul culte divine qui fût juste et agréé par Dieu. Ce qui, effectivement, pourrait porter atteinte au dialogue interreligieux et faire le lit d’un exclusivisme de même nature. Cette seconde prière est nettement plus ancienne que la précédente et n’a pas manqué d’évoluer avec le temps. Le rabbin Daniel Meyer cite certains rituels de prière pour l’illustrer.
Mais ici aussi il faut repérer avec minutie la date de naissance afin d’identifier ceux que l’on dénonçait comme des idolâtres. Je dois rappeler que cette prière de aleinou est fondamentale et qu’un groupe de juifs brûlés à Blois en 888 moururent en martyrs en la chantant. Depuis des temps immémoriaux, elle clôture les trois prières quotidiennes. Au fil des siècles, on lui adjoignit même un supplément qui commence par :’al kén nekawweh la (C’est pourquoi nous plaçons en toi notre espoir…)
Alors, faut il faire le ménage ? Les adeptes de la réforme entreprirent de le faire depuis 1818, date de la première publication du nouvel rituel de prière du temple de Hambourg..
Mais je ne sais pas si nous devons les imiter.
Au mois d’octobre 2014 doit paraître mon livre sur Le judaïsme libéral : Les grandes étapes d’une évolution religieuse (Hermann, 2014). Voir notamment le chapitre III de cet ouvrage.