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De rosh ha-Shana à Yom Kippour

 De Rosh ha-Shana à Yom Kippour

Le mercredi 24 septembre, après le coucher du soleil, les juifs du monde entier vont célébrer le début de leur nouvelle année liturgique. Nous sommes selon le comput juif en l’an 5775 de la création du monde. Néanmoins, ce chiffre n’a rien à voir avec des calculs de l’âge de l’univers ni avec des techniques sophistiquées, comme la datation par le carbone 14. C’est une indication qui remonte à la plus haute antiquité et qui doit son existence à la reprise par les Sages juifs de données «scientifiques» de l’époque. Le talmud lui-même reconnaissait qu’au plan de la formation et des connaissances scientifiques, les Sages des nations les dépassaient nettement. Enfin, toujours dans la littérature talmudique, il se trouve une indication sur la fin du monde : l’univers durera 6000 ans et après il sera détruit. Nous tremblons car on entre depuis aujourd’hui dans l’an 5775… Moins de trois siècles !

 

                                                         De Rosh ha-Shana à Yom Kippour


Redevenons sérieux. Le nouvel an juif, Rosh ha-Shna est une fête austère car les croyants implorent Dieu de les inscrire dans le livre des vivants, de leur donner la paix et la quiétude, qui dépendent de Lui seul, et aussi, je dirais surtout, de leur accorder la rémission de leurs péchés. En fait, c’est une longue, une terminable confession qui dure pratiquement 48 heures. Il faut lire et comprendre ces prières pour sentir combien l’âme juive vibre en se présentant devant le tribunal du Très-haut, et aussi lorsque le préposé souffle dans la corne du bélier, le shofar. Ce moment, particulièrement solennel, est censé bouleverser l’orant au plus profond de lui-même et le forcer à changer de conduite et sa présence au monde, d’où les sons à la fois doux et langoureux, mais aussi saccadés, rappelant le tocsin.

De Rosh-ha-Shana à yom Kippour, le jour des propitiations, dit le jour du grand pardon, on compte dix jours, dits les dix jours de pénitence (assérét yemé teshuva). La spiritualité religieuse juive culmine en ce jour précis où tous les enfants d’Israël demandent pardon au roi de l’univers. Toutes ces prières sont frappées au coin de l’universalisme, mais il en existe, et c’est bien naturel, un certain nombre qui portent sur le peuple d’Israël, sa terre et son avenir ici-bas.

Les prières demandent qu’aucune femme ne perde par accident le fruit de ses entrailles, que le semeur dispose de graines à semer et que l’affamé mange à sa faim (shé lo tappil isha et peri bitnah, ten zéra’ la-zoréa’ we léhém la okhel)

Ce sont des prières qui touchent tout ce qui porte sur son visage les traits de l’humain

Le nouvel an et kippour forment  un tout dans le calendrier liturgique juif et s’orientent autour de trois grands axes : confesser ses fautes et implorer le pardon divin, réaliser que Dieu est bien le créateur de l’univers et, enfin, le symbolisme de la ligature et non du sacrifice d’Isaac.

C’st un peu le sommet que la spiritualité juive atteint en ces journées de prières et de contrition. L’enseignement tiré de ce triptyque tient en peu de mots : à  l’infinie miséricorde divine accordant la rémission des péchés et la supériorité de la conscience morale de l’homme qui affirme ses droits à une humanité éthique, répond donc un monothéisme éthique, une divinité monothéiste, amie de l’homme, ne souhaitant que son repentir et non point sa mort.

       Dans le contexte monothéiste, la prière fait fléchir Dieu et provoque en lui une sorte de mutation puisqu’il abandonne la rigueur implacable du jugement pour dispenser, en fin de compte, bienfaits et bénédictions. On peut dire que le repentir sincère de l’homme est générateur de miséricorde divine. C’est une sorte de théurgie, une action qui agit sur Dieu en quelque sorte, suscitant en lui tendresse et compassion.
     Que peut-on bien dire pendant tant d’heures passées à prier à la synagogue ? On prononce bien sûr des pétitions privées, des demandes personnelles ; mais il y a surtout des appels à la paix entre les nations, à la concorde entre les êtres humains, à la clémence des cycles de la nature, en une phrase, au bien-être universel.  J’extrais deux prières, citées plus haut, qui brillent par leur vocation universaliste : les orants juifs implorent Dieu de donner de la semence au semeur et de la nourriture au mangeur. Un peu plus loin, dans le cadre non plus des prières pénitentielles, mais des grâces invoquées en faveur du genre humain, on prie Dieu que l’année nouvelle soit une année au cours de laquelle aucune femme ne perde le fruit de ses entrailles…

            Ces deux pétitions illustrent bien le caractère universaliste de cette journée où Israël est censé prier pour lui-même mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. C’est pour cette raison que la figure à la fois tutélaire et charismatique d’Abraham, parangon de l’humanité monothéiste, est omniprésente. En effet, ce patriarche incarne l’abandon confiant à Dieu, l’invincible  foi en sa providence. En outre, contrairement à Noé qui n’a pas  tenté de dissuader Dieu de provoquer le Déluge, Abraham a prié pour que l’on épargnât les villes pécheresses de Sodome et de Gomorrhe. Mais les trois patriarches sont à l’honneur, même si c’est Abraham qui domine : c’est le chapitre XXII du livre de la Genèse qui est lu le premier jour du nouvel an. On y trouve l’illustration la plus accomplie de la foi aveugle en Dieu et en sa miséricorde.

 

Kippour remet à l’honneur le seul instrument de musique dont le peuple juif est familier depuis l’Antiquité biblique : la corne de bélier (shofar). En réalité, cette sonnerie ne sert qu’à signaler la fin de l’office religieux et du jeûne, mais pour la conscience religieuse, elle est devenue synonyme d’exaucement des prières.  Les sons continus ou saccadés de cette sonnerie plongent l’orant dans un état de vigilance et l’incitent à reconsidérer tous les actes de l’année écoulée. Mais il y a aussi une symbolique moins évidente : le fait d’immoler un bélier en lieu et place d ‘un être humain et de se servir de sa corne (instrument symbolisant sa puissance) pour rendre culte au Dieu unique devrait montrer que cette nouveauté théologique était à la mesure de la révolution monothéiste (Exode 14).

          Kippour est aussi le jour au cours duquel on lit à la synagogue le livre du prophète Jonas où Dieu, contre l’avis de son émissaire, se révèle être synonyme d’amour et de bonté. Jonas ce prophète un peu impatient qui quitte, le cœur léger, une ville promise à la destruction et entend être, de loin, le témoin de sa ruine. Dans son insondable naïveté, Jonas avait tout prévu, excepté la nature conciliante et longanime d’un Dieu miséricordieux.

            Cette manière de mettre en exergue l’infinie miséricorde divine doit inciter l’humanité à se ressaisir, à s’amender et rappelle le contenu du chapitre XVIII du livre d’Ezéchiel : Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais souhaite ardemment son repentir. Cela rappelle aussi le chapitre 18 du livre de la Genèse avec l’épisode des villes pécheresses : Abraham se lance dans un vibrant plaidoyer en faveur de ces deux cités en faisant remarquer qu’on ne saurait annihiler dans un même désastre le bon et le méchant. Et pour étayer son argumentation, il en appelle à l’éthique : un Dieu de justice ne saurait pratiquer l’injustice.

            C’est la leçon à tirer de ces fêtes de Tichri où l’humanité juive se livre régulièrement à un implacable examen de conscience : comment me suis-je conduit cette année ? Ai-je été un bon père, un bon fils, un bon mari, un bon citoyen ? Me conduirais-je un peu en cette année nouvelle qui vient tout juste de débuter ? On comprend qu’il s’agisse bien là de fêtes austères. Il faut attendre quelques jours pour accéder enfin à la joie de soukkot, la fête des tabernacles, véritable symbole de la destinée juive : si les lois de l’Histoire s’appliquaient comme une inflexible loi d’airain, nous aurions dû disparaître. Mais voilà, il existe une métahistoire, une méta-éthique pour ce peuple d’Israël qu’il a plu à Dieu de distinguer d’une grâce particulière.

 

Le-shana tova tikkatévou we téhatémou.

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