Le rapport Khrouchtchev, traduction intégrale annotée par Jean-Jacques Marie, Seuil 2015
Tout le monde a entendu parler du fameux rapport secret de Khrouchtchev sur les crimes et les déviations de Staline. Ce rapport fut présenté devant le XXe congrès du parti communiste de l’Union soviétique. Les péripéties qui entourèrent sa divulgation relèvent du roman policier ou d’espionnage. Aujourd’hui, nous disposons d’une traduction annotée procurée par un éminent spécialiste de la question. Dans sa longue introducteur, Jean-Jacques Marie situe bien la naissance de ce rapport, éclaire convenablement les enjeux et montre combien Staline, dans l’indifférence mais aussi la crainte générale, a pu faire ce qu’il voulait, décimant les rangs de la haute hiérarchie militaire et des cadres du parti qui étaient tous, pourtant, de bons communistes et des patriotes sincères. K. émailla son rapport de mentions du style : nos camarades injustement accusés ont été réhabilités depuis… Parlant souvent en présence de survivants aux purges, lorsque Staline fut surpris par la mort qui l’empêcha de faire exécuter d’autres innocents.
Quand on lit ce rapport le crayon à la main, on est littéralement stupéfait. Deux griefs fondamentaux sont opposés à Staline : le culte de la personnalité et les abus de pouvoir dus à une incroyable personnalisation. Une seule réserve : l’auteur de rapport avait lui aussi des relations étroites avec le défunt dictateur et s’était bien gardé de le critiquer. Il faut dire que s’il s’y était hasardé, il aurait subi le même sort que des milliers, voire des centaines de milliers de cadres ou de simples citoyens innocents dont le seul crime fut de ne pas partager les opinions de l’ancien maître du Kremlin.
Tout au long de cet interminable rapport, K. s’est fait l’implacable censeur de son ancien patron, montrant que même Lénine, conscient des défauts de Staline, avait commencé à manœuvrer afin de l’éloigner du poste de secrétaire général du parti. On voit aussi que la propre épouse de Lénine s’est plainte de l’incorrection de Staline à son égard. Lénine lui avait même envoyé une lettre à ce sujet.
En plus des purges, des exécutions de masse, des déportations de peuples entiers et de la fabrication d’affaires (celle de Leningrad, celle des médecins saboteurs, etc…) qui se terminaient généralement par des condamnations à la peine capitale, K dénonce les erreurs stratégiques de Staline qui ont coûté à l’armée rouge des centaines de milliers de morts. L’auteur du rapport rappelle une anecdote historique personnelle : pour éviter que des corps entiers d’armée ne soient encerclés par les envahisseurs nazis, K et les généraux demandent à Staline de changer de tactique et de ne plus se livrer à ces attaques frontales coûteuses en vies humaines et de surcroît peu efficaces. Staline refuse de les suivre, causant ainsi la destruction d’une large part du potentiel militaire soviétique. Et lorsque Hitler commence à envahir le territoire de l’URS, Staline refuse de bouger, arguant qu’il s’agissait d’actes d’unités indisciplinées, désireuses d’en découdre avec l’ennemi bolchévique.
On pourrait multiplier les exemples. Mais un détail, des plus savoureux, mérite d’être relevé ici. Lorsque le rapport de K. commença à être connu, les communistes purs et durs, notamment les staliniens français ne pouvaient pas croire que leur idole n’avait été qu’un tyran sanguinaire ayant assuré lui-même sa propre promotion et sa publicité. Ainsi du bureau politique du PCF qui parla de la publication par la presse bourgeoise d’un rapport attribué au camarade Khrouchtchev… (p 54 in fine).
Ce qui se passe de commentaire.
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 23 octobre 2015