Est ce bien l’ancien Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini qui a soufflé à Hitler l’idée de la solution finale ?
J’avais déjà entendu dire cette légende ou bien cet apocryphe célèbre lors d’un précédent séjour en Israël, bien avant que n’éclatent les troubles qui agitent depuis presque un mois les villes et les villages de l’Etat juif. Je n’y avais pas accordé une grande importance, jugeant que l’affaire était trop complexe et que l’apparence de la vérité n’est pas la vérité. Surtout quand il s’agit de vérité historique. Or pour qu’il s’agisse d’une vérité historique, c’est-à-dire quelque chose qui ne soit ni une légende ni une rumeur, il faut des preuves. Et les preuves dans ce cas précis, on n’en a pas, même si cette absence de preuves ne saurait innocenter un mufti qui ne portait pas les Juifs dans son cœur, avait rencontré Adolf Hitler, faisait le salut nazi et avait lancé un appel aux musulmans de l’ancienne Yougoslavie pour qu’ils s’enrôlent dans les rangs des SS… Même si ce Mufti de Jérusalem n’a peut-être pas soufflé à Hitler l’idée de la solution finale, décidée, je le rappelle, à la conférence de Wannsee, dans la banlieue de Berlin, il ne concevait pas pour les fils d’Israël des sentiments très amicaux. Ses discours enflammés le prouvent largement.
Pourquoi la presse israélienne revient elle avec une incroyable insistance sur cette filiation qui ne laisse pas d’être scandaleuse, voire horrible ? La réponse est évidente : le premier ministre Benjamin Netanyahou a fait état d’une telle filiation expliquant l’existence de la Shoah par un conseil prodigué par l’ancien Mufti à Hitler. On a fait à Benjamin un procès qui n’a pas lieu d’être ; contrairement à son père, l’éminent professeur Benzion Netanyahou qui fut un grand historien de la philosophie juive (son livre sur Isaac Abrabanel est et demeure excellent), le Premier Ministre d’Israël n’a pas reçu une formation rigoureuse en, science historique. Il a instrumentalisé un fait, l’antisémitisme viscéral du vieux Mufti pour condamner ce qui se passe aujourd’hui où, reconnaissons le, des Palestiniens de Cisjordanie, mais, fait plus grave, des Arabes israéliens, poignardent à tout va le premier Juif qui a le malheur de croiser leur route. Benjamin Netanyahou a donc voulu faire d’une pierre deux coups : d’une part, rappeler que certains Arabes ne sont pas seulement antisionistes mais avant tout des antisémites habités d’une haine recuite à l’égard de tout ce qui évoque, de près ou de loin, le judaïsme, et d’autre part, justifier, par là même, qu’Israël a le droit de se défendre contre des assaillants qui, selon lui, poursuivent le même programme que leur zélé inspirateur, mort, sans être inquiété à Beyrouth, au début des années soixante-dix…
Certes, sans donner de conseil au premier ministre, il faut admettre qu’il a un peu forcé le trait, donnant ainsi à la presse, même celle qui le soutient généralement, des verges pour le battre.
L’ancien Mufti n’était pas un saint homme et quand on fréquente Hitler, qu’on s’installe dans le Berlin de la seconde guerre mondiale, qu’on lance des appels en faveur du nazisme, on n’est pas vraiment un homme moralement recommandable. Mais je ne vois toujours pas comment un homme comme Hitler qui détestait les Arabes un tout petit peu moins que les Juifs serait venu prendre conseil chez ce Mufti dont les vues stratégiques et les analyses politico-militaires n’ont pas laissé de trace impérissable ni révolutionné la pensée.
Donc, Benjamin n’aurait pas dû forcer le trait, mais il l’a fait, car cela fait partie de son plan pour réprimer ce qui ressemble aujourd’hui à un véritable soulèvement. Toutefois, cet épiphénomène ne doit pas nous faire oublier le fond du sujet : il faut absolument éviter que les troubles actuels ne dégénèrent en conflit religieux. La liberté de culte règne à Jérusalem depuis que l’Etat juif a repris le contrôle de la ville sainte dont les Juifs avaient été chassés depuis deux millénaires. Tous les fils d’Abraham doivent pouvoir prier en paix, chacun à sa manière, sans restriction aucune, mais aussi dans le calme et le respect des autres.
D’ici là, Benjamin pourra toujours préparer un doctorat en histoire. L’université hébraïque de Jérusalem est l’une des meilleures universités au monde. Il pourra ainsi se faire un prénom comme son défunt père (ZaL), mais cette fois en philosophie politique…
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 24 octobre 2015