Les cérémonies du 11 novembre approchent…
En ce jour anniversaire, alors que nous commémorons la fin de la grande Guerre qui fit des millions de morts et causa d’horribles destructions aux nations belligérantes, j’ai choisi d’axer mon intervention autour d’une fraternité universelle au service de la paix mondiale.
En effet, l’amour de la patrie ne signifie nullement le chauvinisme ni le mépris de l’autre. En l’autre, comme l’expliquait le grand philosophe français Emmanuel Lévinas, je dois me reconnaître et me retrouver moi-même. Quand je regarde les traits de son visage, mon ardeur de conquérir le monde, mon désir irrépressible d’accumuler victoire sur victoire, s’atténuent et m’enjoignent d’adopter en toutes circonstances une attitude empreinte d’éthique. Et Lévinas ajoutait, fidèle à l’esprit de l’humanisme biblique, mon moi ce sont les autres. C’est en disant tu à mon semblable que je suis moi…
Loin de faire de nous des ennemis, l’altérité fait de nous des frères.
La tradition dont nous sommes tous issus, je veux dire les religions fondées sur le monothéisme éthique, nous enseignent depuis toujours que l’Autre est un frère humain, que son regard est aussi légitime que le nôtre, que sa volonté de vivre et d’exister ne doivent pas être écrasés par notre égoïste volonté de puissance. La Bible prescrit le commandement suivant :… afin que ton frère vive à tes côtés. Voilà le postulat premier de l’harmonie et de la coexistence pacifique entre les hommes.
Certes, les familles qui constituent l’humanité sont diverses et variées mais un fondement commun les unit par delà toutes les différences : le respect de la vie et de la dignité humaines, deux valeurs qui confèrent tout son sens à l’expression biblique suivante : Dieu a créé l’homme à son image… Voltaire, dont nous reconnaissons les mérites mais que nous ne suivrons pas sur ce point précis, a cru bon de faire un sort à cette expression qu’il a volontairement prise au pied de la lettre afin de la ridiculiser ; il a dit, en guise de réponse, ceci : et l’homme le lui a bien rendu…
La fraternité a toujours été le préalable indispensable à la paix entre les hommes. On parle souvent de la fraternité d’Abraham et ce n’est pas un hasard si ce concept est indissolublement lié à la figure extraordinaire de ce patriarche, découvreur du monothéisme éthique et de l’unité essentielle de l’humanité. Dans un chapitre du livre de la Genèse précédant de peu la saga abrahamique qui commence à la fin du chapitre 11 de ce même livre biblique, on lit un verset d’une exceptionnelle densité : la terre était une seule langue et des choses uniques…
Qu’est ce à dire ? Tout simplement, qu’à l’origine, la règle de l’univers était l’harmonie et la concorde. Aucun conflit, aune mésentente, tous parlaient la même langue Impossible de se tromper, de se mentir, de s’ignorer. Donc, pas de conflit ni de contestation. Mais cette situation paradisiaque, cette époque bénie, caractérisait un état idéal de l’humanité, une sorte d’état de post-rédemption, où l’affrontement n’était pas encore de ce monde. Le paradis sur terre. Les deux arbres du paradis étaient unis et ne faisaient qu’un : la vie et la science se déployaient dans la même direction. Mais cet état de pureté adamique n’était pas appelé à perdurer en raison des aléas de la nature humaine.
Permettez moi, je vous prie, de m’en référer à présent à des interprétations traditionnelles de ces versets bibliques que je viens de citer.
Commentant la création d’Adam, le premier homme, la tradition se pose la question suivante : pourquoi le Tout-puissant n’a t il créé qu’un seul homme, un seul spécimen, et pourquoi pas au moins deux ou une dizaine ? La réponse était parfaitement prévisible : l’humanité tout entière doit découler d’un SEUL homme afin que nul ne puisse dire à son voisin : je descends de l’Adam n° 1 et toi de l’Adam n° 18… Donc, cela revient à couper l’herbe sous les pieds de tout racisme. Le Talmud ajoute même que notre sang n’est pas plus rouge que celui d’un autre homme. Comprenez : à l’origine, aucun homme n’est supérieur à un autre dans sa dignité d’être créé, tous les représentants de l’humanité sont logés à la même enseigne.
Les grands prophètes d’Israël ont repris ce thème, allant jusqu’à dire que même les ennemis d’Israël (les Assyriens, les Moabites, les Egyptiens) sont eux aussi les fils de Dieu… N’est ce pas là la plus belle expression de l’unité du genre humain ? Et dans quelle situation cette humanité aux valeurs universelles se porte-t-elle le mieux ? Dans un état de paix, celui là même dont parle le prophète quand il fait dire ceci à Dieu : voici que je lui accorde mon alliance de paix.
C’est l’universalité de la loi morale, l’ordre éthique universel, qui génère la paix. Et cette paix, nous avons l’immense chance de la vivre sans interruption depuis plus de soixante-dix ans en Europe. Les nations qui jadis s’étaient férocement combattues, détestées et même haïes, sont, depuis ce temps là, des alliés soudés par une indéfectible amitié. L’Allemagne et la France avancent ensemble, animés par les mêmes idéaux, sur la voie de la paix et de l’amitié.
Et puisque je parle de nos amis d’outre-Rhin, je voudrais citer un dernier exemple, celui que nous offre Kant, le grand philosophe de Königsberg, dont la philosophie morale la plus connue et la plus célèbre n’est autre que l’impératif catégorique : ne jamais considérer un être humain comme un simple moyen, le considérer toujours comme une fin en soi…
Kant a lui aussi dessiné un horizon insurpassable de l’humanité, celui au cours duquel règne sur cette terre un pacte de paix.
Puissent nos prières être exaucées et puissions nous continuer de vivre dans une planète où prospèrent tout ce qui porte sur son visage les traits de l’humain