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Moïse revisité par Thomas Römer

Moïse revisité par Thomas Römer (Patis, Bayard, 2015)

Le lecteur profane qui parcourt ces textes de la Genèse et de l’Exode en pensant presque à autre chose ne se rend pas compte des difficultés ni des questions qu’ils soulèvent. C’est pourquoi même les non spécialistes doivent lire doucement ce dernier livre de M. Thomas Römer qui est l’un des meilleurs biblistes français actuels.

Son sujet principal, central, voire majeur, n’est autre que Moïse, sa naissance, ses origines véritables, son adolescence et la découverte de son «hébréité». Les gens cultivés savent ce que la Bible hébraïque doit à l’Egypte. Mais peu se rendent compte, en passant de la Genèse à l’Exode, que les deux livres divergent fondamentalement quant à leur attitude à l’égard de l’hyper puissance de l’époque ; on passe franchement d’une égyptophilie remarquable à une égyptophobie caractérisée.

Pourquoi, comment ? L’explication se trouve peut-être chez les hauts fonctionnaires de la cour du roi Josias qui furent chargés de faire œuvre d’historiographes ; ce sont eux, vraisemblablement, qui retouchèrent le portrait de cette figure semi légendaire de Moïse, trouvée dans des sources anciennes, après de successifs remaniements, notamment de la part des sources sacerdotales ou deutéronomistes

  1. Rômer a eu la bonne idée de retraduire lui-même les premiers chapitres du livre de l’Exode. Il dissèque (c’est le mot qui convient) chaque verset, traquant le moindre indice pointant vers une source primitive ou attestant un remaniement de la part de rédacteurs ultérieurs. : là où les vieux scripteurs ont patiemment construit une image, une histoire ou simplement des mythes fondateurs (e.g : la sortie d’Egypte), notre auteur déconstruit tout aussi patiemment à la recherche d’indications fiables sur les milieux producteurs ou une éventuelle datation.

Certes, certains rapprochements me laissent songeur, mais tous suscitent dans mon esprit de nouvelles idées auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant. Par exemple, le compte-rendu, éminemment judéophobe de Manéthon, prêtre égyptien hellénisé du IIIe siècle avant notre ère, qui parle d’un chef lépreux conduisant des nomades sauvages hors d’Egypte : en effet, lorsque Moïse converse avec Dieu, celui-ci lui enseigne deux ou trois miracles à produire devant le Pharaon. Et lorsque Moïse retire son main, elle retrouve sa couleur de peau initiale après avoir été lépreuse quelques instants auparavant. Mais ce fameux chef avait été identifié avec Joseph et non avec Moïse. Est ce suffisant pour dire que l’auteur du passage de l’Exode connaissait cette accusation ?

Mais il s’agit de détails, les vraies questions portent sur les origines réelles de Moïse, ses relations avec la fille du Pharaon, tous deux anonymes, la rencontre providentielle avec la sœur du nouveau-né et la coïncidence non moins miraculeuse qui fait de sa mère putative la femme qui va l’allaiter. Ensuite, il y a ces versets sibyllins concernant l’évolution du jeune prince qui grandit, qui sort vers ses frères…

A t il reçu une éducation au palais de son grand père le Pharaon ? ET que veut-on dire en lisant que la fille de ce dernier considérait Moïse comme son fils, ? Est ce une façon de nous dire qu’il l’était vraiment et que toute cette histoire de corbeille sur le Nil n’était qu’une mascarade ?

Une autre passage retient sérieusement l’attention, il s’agit de deus sages-femmes, aux noms difficiles à identifier et dont l’épisode revêt un caractère crucial : les deux femmes se moquent du monarque auquel elles expliquent que les femmes hébraïques accouchent très vite et seules (ce sont des bêtes, ki hayyot hénna) et on se demande comment elles ont cette crainte de Dieu (Elohim).

Dans ce même contexte, Th. Römer s’arrête un instant sur le rôle de ces femmes étrangères qui ont joué un grand rôle dans la survie de Moïse et du peuple d’Israël en général. IL rapproche de cela l’incident du début de l’Exode lorsque Dieu veut attenter aux jours de Moïse en personne ! C’est bien Sepphora qui sauve la vie de son mari en procédant à la circoncision et en marquant le cercle de sang qui éloigne le démon ou la divinité ennemie. Ne nous posons pas la question des avoir si une femme, non-juive de surcroît, avait le droit de procéder à cet acte rituel et s’il était effectué dans les conditions requises. Il s’agit probablement, comme dans l’histoire de Joseph (encore un grand «Egyptien»), de montrer que le monde non-hébreu n’est pas nécessairement mauvais, qu’on peut s’en rapprocher et y trouver des éléments pouvant servir la bonne cause.

L’autre épine dorsale de ce livre concerne évidemment la sortie d’Egypte avec les plaies, le miracle de la Mer rouge, le passage à pied sec des Hébreux et la noyade de l’armée égyptienne dont les chars lourds se sont probablement embourbés dans les marécages… Mais ces explications rationalisant es n’intéressaient pas nos rédacteurs antiques.

L’institution de la Pâque et la confusion entre deux événements originellement distincts, le sacrifice de l’agneau pascal et la consommation de pain azyme sont examinés avec grande attention. Bömer cite même une fois Martin Buber qui avait repris une explication des spécialistes de son temps : la Pâque, avant d’être orientée vers le Dieu d’Israël, était une fête champêtre entre bergers lesquels partaient de chez eux pour plusieurs jours ou plusieurs semaines… Or, le pain qui se conservait le mieux dans leur besace était l’azyme, un pain non levé.

Mais le livre de l’Exode précise bien que la veillée pascale est à Dieu, et que le sacrifice pascal est lui aussi à Dieu. Sous entendu, ce n’est plus une orgie païenne où l’on boit et mange pour fêter le retour des beaux jours.

Tout peuple se crée une série de mythes fondateurs qui finissent par devenir des moments importants dans sa vie. Mais alors ce n’est plus de l’histoire mais une mémoire. Or, celle-ci ne conserve que des traces de ce qui s’est passé.

Lisez ce livre de Th. Römer, vous y apprendrez beaucoup de choses

 

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 8 décembre 2015

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