Le mois de janvier 2016, une cascade de commémorations…
On a l’impression dans ce pays que les années se suivent et se ressemblent : ce sont les attentats terroristes qui ont imposé ce changement crucial dans la vie de la Franc et des Français. De janvier à novembre 2015, ce pays a été frappé au cœur, des assassins, au nombre de plusieurs dizaines (chaque jour la Belgique voisine en inculpe de nouveaux) ont pu franchir les frontières, circuler dans Paris en mitraillant de pauvres gens attablés aux terrasses des cafés ou écoutant sagement un concert. Et les autorités n’ont rien vu venir. Il leur reste juste la compassion, la commémoration et le recueillement.
Je soutiens la mesure consistant à inscrire ces douloureux événements dans la mémoire de la collectivité nationale ; il ne faut pas oublier ; il faut rendre hommage à celles et à ceux qui furent arrachés à la vie et au bonheur alors qu’ils ne cherchaient rien d’autre qu’à être heureux. Mais le pays et ses dirigeants courent un risque majeur : sombrer dans les célébrations funéraires, devenir les sacristains de la République.
En fait, nous sortons d’un deuil pour entrer dans un autre, à force de s’y plier, la sincérité de ces actes s’en trouve considérablement affaiblie… Vous vous souvenez de ces déplacements officiels, de ces défilés dans la cour d’honneur des Invalides, de ces réceptions à l’Elysée…
En revanche, les décorations sont amplement méritées, notamment celles décernées à titre posthume aux victimes de Charlie Hebdo. Et parlons de ce journal satirique qui incarne à lui seul toute une sensibilité française, une façon de sentir et de penser (pour reprendre l’expression allemande das Denken und Fühlen) typiquement française. J’ai vu ce matin que la polémique a repris en raison de l’éditorial du journal qui tire ce numéro-anniversaire à un million d’exemplaires.
Avec Charlie-Hebdo, on peut être ou ne pas être d’accord, mais quelle que soit la caricature, cela ne mérite la mise à mort : en France, depuis Voltaire et même avant, et surtout depuis, la caricature, l’ironie et l ‘humour (de bon ou de mauvais goût) ont toujours été présents dans notre socio-culture.
Or, depuis la disparition de l’homogénéité de la société française, des voix, de plus en plus nombreuses se font entendre pour pointer violemment des désaccords avec le courant principal de l’opinion. Je n’ai pas besoin d’être plus précis : ce ne sont ni des Finlandais, ni des Norvégiens qui nous posent problème. Et, pour faire court, je comprends la mesure proposée par Alain Juppé en vue de réprimer les entraves à la laïcité.
Mais le problème que les autorités ne comprennent pas, en raison de la formation stéréotypée des hauts fonctionnaires, calquée sur un même moule qui refuse d’évoluer, c’est que derrière ce débat sur la place de la laïcité se cache tout un massif de questions ultimes : quel est le but de l’existence sur terre ? A quoi devons nous aspirer ? Qu’est ce qui compte le plus, l’en-deçà ou l’au-delà ? Quelle attitude adopter vis-à-vis de ceux qui prient, croient et pensent autrement ? Pour être plus clair, la place du religieux dans la vie de tous les jours.
Je précis que j’adhère de toutes les fibres de mon être aux lois de la laïcité qui permettent le vivre ensemble et protègent les minorités ethniques ou religieuses. Mais chaque fois que je me suis aventuré à expliquer à quelques très hauts fonctionnaires de mes amis, la façon de penser de nos compatriotes islamiques ils calent, changent de sujet ou restent muets. Comment voulez vous, dans ces conditions, que les choses avancent ?
Et cette impéritie, pour ne pas dire cette infirmité, est aggravée par le fait que ces élites veillent jalousement sur le recrutement des postes les plus importants. Elles ne tolèrent pas du tout la moindre diversité. Si vous voulez accéder à ces hautes charges, il y a un cursus qui ne souffre pas d’exception : d’abord sciences-po, et ensuite l’ENA…
Après six, voire sept décennies de règne sans partage, on voit où nous a menés cette politique, guidée par des hommes et des femmes dont les compétences auraient mérité d’être enrichies par d’autres, venus d’autres horizons, tout aussi prestigieux, quoique moins reconnus.
Terminons par une note philosophique empruntée à Kant mais qui illustre bien ce problème : Voulant spécifier la nature exacte de l’intellect humain, par opposition à l’intellect divin (s’agit-il d’une différence de nature ou simplement de degré ?) Kant , après quelques hésitations, finira par opter pour la solution suivante : l’intellect humain est un intellect ectype, c’est-à-dire qu’il est un peu la copie que l’on obtient grâce à du papier carbone… Une imitation, une reproduction. Un calque, rien de plus.
Or, si tous les esprits qui nous gouvernent ont une nature ectype, comment voulez vous qu’on sorte des sentiers battus, qu’on renouvelle l’approche des problèmes ?
C’est là, tout le problème !