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L’exil et sa signification dans le judaïsme

 

                             L’exil et sa signification dans le judaïsme

                            Conférence à la mairie du XVIe arrondissement le 21 janvier 2016 à 19heures

 

Introduction :

Le drame de l’exil, c’est d’être là où on n’a pas prévu, ni choisi d’être       L’exil dans la Bible :

II Rois chapitres 23-24, 25. Josias, sa réforme et la fin de la monarchie davidique.

L’exil et la Bible : La défaite de 586 et le départ en exil ont conduit au Remaniement de la Bible. Donc, ce fut un tournant décisif.

La construction de l’histoire juive : Martin Noth : l’introduction à ce Geschichtswerk : Deutéronome, Josué, Juges, Samuel I et II, Rois I et II

Menace de l’exil. On thématise l’exil.

On fait de l’exil un drame national à défaut d’être une légende nationale.

LE DEUTERONOME :

A partir du chapitre 4 on entre dans le vif du sujet, l’observance stricte des lois divines. On notera les occurrences du verbe LMD apprend, enseigner.

Un autre concept clé revient sans cesse, notamment dans les précédents chapitres, c’est le terme héritage (Yeroucha)

On note aussi dans chapitre deux occurrence du terme BERIT, l’alliance.

Dt 4 ;26 : je prends à témoin contre vous les cieux et la terre : vous serez vite balayés de cette bonne terre que l’Eternel vous offre… Dieu vous dispersera (Héfits : TEFOUTSOT). Donc il vivait déjà l’exil ce rédacteur qui feint de prédire l’avenir, qui est en réalité un douloureux présent.

DEUT 28 ; 63 : être dispersé d’un bout à l’autre de l’univers

Léhém tsar u mayim lahats : le pain de tribulation et l’eau d’angoisse. (Isaïe 30 ;20)

 

Quand on pense à cette notion d’exil qui connote l’idée de déracinement, d’arrachement à un environnement et à un univers familiers, le cas du peuple juif dans ses différentes variantes (ashkénaze et séfarade) s’impose à nous. En effet, il est incontestable, au plan historique, que ce peuple est l’unique groupe ethnique à avoir conservé dans sa mémoire le souvenir lancinant de la terre ancestrale, la Terre promise par Dieu à un peuple qu’il a tenu à distinguer d’une grâce particulière. Mais on commettrait un grave oubli en négligeant les références à l’exil chez Platon, Lucrèce, Sénèque et quelques autres auteurs de la mythologie antique. Même une nature aussi profondément religieuse que Saint Augustin aborde le sujet de façon poignante dans ses Confessions.

Avant d’entrer in medias res, c’est-à-dire d’analyser les différentes formes d’exil, vécues par la diaspora juive dans son ensemble, disons un mot de la Bible hébraïque, car aucun autre exil n’a duré aussi longtemps que celui du peuple juif, près de deux millénaires, imprimant à la religion et à la spiritualité d’Israël des marques quasi-indélébiles. Le judaïsme pré exilique n’est pas le même que le judaïsme postexilique. Mais l’aspect miraculeux tient au fait suivant : ce peuple a toujours évoqué sa rédemption dans ses prières, dans ses solennités et même ses néoménies. Au moins trois fois par jour, il a prié pour le rassemblement des exilés, éparpillés aux quatre coins de la planète.

Il y a donc une relation dialectique entre l’exil et la rédemption. (Rosenzweig)

Dans la Bible hébraïque, certains veulent lire cette tragédie de l’exil et de l’expulsion dès les tout premiers chapitres de la Genèse : c’est à travers les personnes d’Adam et Eve, l’humanité tout entière qui a été exilée du paradis. C’est le couple paradisiaque qui a provoqué son exil et sa condamnation à vivre dans ce qui est ce bas monde où l’humanité, devenue mortelle, a trouvé refuge… Israël qui va, en tant que peuple, subir un sort analogue, goûter l’amertume de l’exil, ne l’a pas vraiment initié.

Dans le livre du Deutéronome, le dernier du Pentateuque de Moïse, les Hébreux sont menacés de la pire des sanctions pour leur inconduite et leur indiscipline ; et quelle est cette sanction, la pire et la plus redoutée de toutes ? L’exil, la déportation. Il faut relire ces versets des derniers chapitres du Deutéronome dont on sait qu’il fut écrit à l’époque de l’exil justement et qu’il inaugure les six livres de l’historiographie biblique ; livre de Josué, des Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois. Dans toute cette littérature on parle de l’exil comme d’un mal à venir alors qu’il était effectivement vécu par les historiographes de cette même époque.

LE DEUTÉRONOME EST LE PRODUIT DE L’EXIL.

Dans la mythologie grecque nous trouvons que la notion d’exil joue chez Platon un rôle important. Mais il ne s’agit plus d’exil géographique, consécutif à une invasion étrangère ou à une défaite militaire ; il s’agit de l’âme, originaire des régions supérieures, qui sombre dans le secteur ténébreux des corps où elle sera retenue prisonnière. C’est l’exil psychologique, la dichotomie entre l’âme et le corps, l’esprit et la matière. Sénèque lui-même, envoyé en relégation en Corse entre l’an 41 et 49 sous la prétendue accusation d’adultère, fait état de la douleur ressentie lorsqu’on est coupé de ses racines. Saint Augustin prie Dieu de lui accorder d’être là où il doit être et non où il est, alors qu’il aspire à être ailleurs. Un peu comme la plante qu’on arrache à son terreau pour la replanter ailleurs sous d’autres cieux avec d’autres conditions qui ne sont plus celles pour lesquelles elle a été créée.

N’oublions pas que vers l’an 45 avant l’ère chrétienne, Cicéron avait rédigé, deux ans avant son assassinat par des adversaires politiques, un écrit sur la sagesse et l’acquisition du bonheur. Le livre V de cet ensemble porte le titre suivant : Le bonheur dépend de l’âme seule… Les éditions Gallimard viennent de rééditer la traduction de ce texte, fournie par Emile Bréhier en 1962. On y trouve aussi un paragraphe consacré à l’exil qui est considéré comme le mal suprême. Voici ce qu’écrivait Cicéron il y plus de vingt et un siècles :

Si l’on méprise les honneurs et l’argent que reste-t-il à craindre ? L’exil, je pense, que l’on tient pour un des plus grands malheurs. (pp 85-86 de l’édition de 2015)

Le drame de l’exil, c’est d’être là où on n’a pas prévu, ni choisi d’être. Mais nous verrons plus bas que les êtres les plus aguerris savent faire leur profit de toute adversité. Hegel parle lui aussi de la formidable positivité du négatif : par une adroite dialectique, l’homme, victime d’un exil, mérité ou immérité, cherche à le transcender avec succès. Il fait alors d’une épreuve une force !

Songez à l’exil subi par le prophète Jérémie au VIe siècle avant notre ère. Ce prophète avisé a permis à son peuple d’éviter l’aliénation, qui est la sœur jumelle de l’exil. Si vous ne vous adaptez pas à votre nouveau milieu, surtout quand il vous a été imposé, vous sombrez dans la dépression, votre instinct vital vous abandonne et la mort survient à plus ou moins brève échéance. Dans le chapitre XXIX de son livre, Jérémie nous livre une véritable charte de l’Israël en exil : bâtissez des maisons et habitez y, donnez des épouses à vos fils, prenez des époux pour vos filles, plantez des vignes et consommez en les fruits, enfin, priez pour le bien-être de l’état où Dieu vous a exilés car par sa paix vous aurez aussi la paix.

Quelle lucidité politique ! Quelle belle vision de l’avenir ! Quel optimisme ! L’Histoire a donné raison à ce prophète abusivement assimilé à des complaintes, au point d’avoir donné naissance au terme de … jérémiade ! En son chapitre XXXI, il persiste et signe : il intime à la matriarche Rachel de cesser de pleurer pour ses fils, il faut sécher tes larmes, lui dit-il, il y a un espoir pour ta fin et tes fils rentreront chez eux… Là encore, l’Histoire lui a donné raison. Au lieu de passer son temps à pleurer sur les rivières de Babylone comme le rapporte le Psalmiste, Jérémie a dressé un programme politique, garant de la survie d’un peuple en exil. Jérémie est donc un bon disciple (sic) de Hegel, il a illustré deux mille ans avant lui la fameuse positivité du négatif…

Le peuple juif a développé une véritable métaphysique de l’exil, et ce grâce à la conscience qu’il a pu en prendre. Car l’âme d’Israël n’est pas morte en exil ; elle a, certes, subi de profondes mutations, car qui nous dira à quoi aurait ressemblé le judaïsme aujourd’hui, sans la cuisante défaite de l’an 70, le sac de Jérusalem, la destruction du Temple et l’exil et la déportation ? Y aurait il eu des Juifs séfarades et des Juifs ashkénazes ? On ne le saura jamais car on ne peut pas faire que ce qui s’est produit ne le fût point ni que ce qui ne s’est pas produit se soit effectivement produit…

Exilé de sa terre, arraché à son environnement, le peuple juif n’a, de fait, produit sur sa terre ou dans ses environs, que la littérature biblique. Ce qui n’est pas si mal. Mais l’immense dépositoire de sa spiritualité fut le produit né dans des terres étrangères. Il dut se confronter à d’autres idées, à d’autres cultures et à d’autres croyances, monothéistes ou polythéistes.

Moïse de Léon est l’auteur de la partie principale du Zohar, mis en circulation vers 1270, si l’on en croit la datation des premières citations de cette littérature par d’autres. Un petit siècle auparavant on a connaissance du Sefer ha- Bahir dont le caractère gnostique est bien plus prononcé. Mais celui qui va révolutionner la situation n’est autre que le jeune Isaac Louria, dit le ARI ha-qadosh, le saint lion de la confrérie. Il a donné son nom à la kabbale de Safed.

Le Maharal de Prague, Juda Löw (1512-1609) a donné à l’un de ses écrits majeurs le titre suivant : Béér ha-Goal, le Puits de l’exil. Au cours de toutes ses pérégrinations, le peuple d’Israël a appris des choses, s’est enrichi au contact des autres et a pu fortifier son essence propre qui en fait le peuple élu par Dieu pour incarner sa règle éthique et religieuse.

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