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Ce qui se passe en Autriche

Ce qui se passe en Autriche

On a l’impression que si le candidat Norbert Hoffer était élu, ce serait la fin du monde. Les institutions européennes, la presse mondiale, tous les médias, bref, une quasi-unanimité nous menace des pires effets si jamais le peuple autrichien élisait démocratiquement son président, un président qui, soit rappelé en passant, a un rôle purement honorifique, même si, dans ce domaine, les symboles comptent.

Paradoxalement tout le monde s’agite, tout le monde condamne, même par avance, mais personne ne veut explorer objectivement le passé de ce pays qu’est l’Autriche, passé en moins d’un siècle, de grande puissance européenne, regroupant des dizaines de millions d’hommes au sein de la fameuse double monarchie austro-hongroise, à moins de dix millions d’âmes.

Je connais bien Vienne où j’ai souvent séjourné, donné des conférences et aussi étudié les manuscrits hébreux de la Staatsbibliothek. Et de cette expérience vécue sur place, j’ai retiré quelques enseignements.

Mais avant d’y venir, jetons un rapide coup d’œil sur les faits historiques dont deux, en l’état actuel, me semblent avoir une importance majeure : a) il y a quelques siècles, l’empire ottoman, donc un islam militant et conquérant, était aux portes de Vienne et c’est d’ailleurs à cette présence invasive que certains attribuent la naissance du croissant que l’on dévore à belles dents chaque matin que Dieu fait. b) Vienne et l’Autriche en général furent la citadelle de la contre réforme, stoppant net l’expansion de la foi évangélique.

Ces deux faits expliquent un certain conservatisme, mais aussi, hélas, des relents d’antisémitisme qui remontent à très loin, notamment à l’époque de Karl Lueger, le maire antisémite de Vienne, un maire dont la main droite ignorait ce que faisait sa main gauche : en effet, pour ses campagnes électorales, il n’était pas très regardant car, comme chacun sait, l’argent n’a pas d’odeur. Et les grandes fortunes juives y contribuaient largement…

On peut donc dire que le repli sur soi et la crispation identitaire sont des éléments qui ne sont pas nouveaux dans le beau ciel viennois. A cela vient s’ajouter une ambiance presque palpable de déclin, de grandeur passée, si savamment entretenue par des monuments et des quartiers entiers de Vienne, le Burgtheater, la Ringstrasse le Prater, la majestueuse cathédrale, etc… Lorsque vous vous promenez dans le cœur même de la capitale, dans ce prestigieux premier arrondissement, que remarquez vous sur les panneaux indicateurs ? On ne signale pas la direction de Graz ni de Linz mais de Budapest et de Prague ! Le pays a rétréci, ce qui constituait jadis son hinterland est devenu une entité étrangère. L’Autriche ne regroupe plus que 8 millions d’habitants

Je vous fais grâce d’un humour viennois mortifère, grinçant (Galgenhumor) du genre : la situation est désespérée mais ce n’est pas grave…

L’Autriche n’a rejoint l’Union Européenne que très tardivement, il lui reste encore quelques vieux réflexes protectionnistes et régionalistes, pour ne pas dire provincialistes. En une phrase, ce pays a voulu s’accrocher à des mythes du genre le beau Danube bleu alors que le fleuve avait besoin d’un sérieux assainissement pour redevenir présentable. Et le tout à l’avenant, songez au bal et au concert du 1er janvier retransmis à la télévision, aux valses viennoises entraînantes : toutes ces choses ne peuvent pas déserter l’âme autrichienne d’un seul coup. Je me souviens même d’un dîner chez le plénipotentiaire autrichien à Paris au cours duquel un éminent violoniste m’a posé cette étonnante : Selon vous, Monsieur le professeur, qu’est ce qu’un Autrichien… Comme dirait Levinas, quand on commence à s’interroger sur son identité, c’est qu’on l’a déjà perdue !

Arriva enfin ce déferlement migratoire qui a tout changé. J’ai entendu hier soir une dame vivant dans une zone rurale, décrie le sentiment de panique qui s’était emparé de tous ses concitoyens : au début ce furent quelques centaines de migrants arabes qui traversaient le pays, chaque jour, et soudain ce furent des milliers qui leur emboîtèrent le pas. Les gens se sont sentis envahis, minoritaires dans leur propre pays, entourés d’une population qui ne parlait pas leur langue ni ne partageaient les mêmes croyances… Pas même la même culture !

En fait, ce que l’Allemagne voisine pouvait se permettre, vu sa taille et ses moyens, la petite Autriche le vivait comme un cauchemar… Les partis traditionnels qui se partagent le pouvoir depuis la in de la guerre ne sont plus adaptés à la nouvelle situation.

Comment voulez vous que les électeurs ne se tournent pas vers une nouvelle force politique pour laquelle, en mon âme et conscience, je n’ai pas de grande sympathie, tout en respectant le droit des peuples à se doter des gouvernements qu’ils souhaitent.

Toutes ces raisons me poussent à dire que l’élection de Norbert Hoffer à la présidence ne serait pas la fin du monde. Ne dit on pas qu’en France Marine Le Pen est assurée d’être au second tour de l’élection présidentielle alors que l’actuel président en exercice n’est pas vraiment certain d’y figurer ?

Les Autrichiens exagèrent sûrement le danger que représente l’islam ; mais si vous observez bien la sensibilité dans notre continent, vous verrez qu’ils ne sont pas seuls : les Suisses ont rejeté les minarets, les Tchèques, les Hongrois, les Bulgares, les Polonais, les Slovaques se sentent eux aussi concernés.

La crise provoquée par les migrants aurait pu être évitée si l’égoïsme de notre continent n’avait pas prévalu au détriment de la solidarité : au lieu d’intervenir puissamment sur place, on a laissé l’Etat Islamique se renforcer et s’étendre. Et on commet la même erreur fatale en Libye ou le terrorisme risque de s’étendre à la petite Tunisie voisine, laquelle n’est qu’à quelques encablures de l’Italie…

Alors pourquoi faire la leçon à l’Autriche ?

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 23 mai 2016

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