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Présentation du livre de MRH sur Rosenzweig ce jour à partir de 18h30 en la résidence du Ministre Plénipotentiaire près l’Ambassade d’Allemagne à Paris

Présentation du livre de MRH sur Rosenzweig ce jour à partir de 18h30 en la résidence du Ministre Plénipotentiaire près l’Ambassade d’Allemagne à Paris

 

Monsieur le Ministre, cher Detlef, Madame, et si vous le permettez, chère Gabrielle, Monsieur le Ministre Plénipotentiaire près l’Ambassade d’Autriche, Messieurs les membres de l’Académie Française, M. Pierre ROSENBERG, Monsieur Amine Maalouf, Madame la conseillère de Paris, chère Céline Boulay Espeonnier, Monsieur le président de la CNP Assurance, cher Jean-Paul Faugere, Monsieur le Directeur général Adjoint, Monsieur le directeur de la collection, Mesdames, Messieurs, chers Amis,

Je ne peux commencer mon intervention, qui sera brève, je vous le promets, sans adresser en tout premier lieu mes vifs remerciements et ma gratitude à nos hôtes, Detlef et Gabrielle Weigel. C’est un très grand honneur auquel je suis très sensible ; j’adresse aussi mes remerciements et ma gratitude à toutes les personnalités, hautes et importantes, aux amis nombreux, qui ont bien voulu nous honorer ce soir de leur présence et assister à la présentation de ce modeste ouvrage sur un grand philosophe judéo-allemand, Franz Rosenzweig ; et vous verrez en écoutant l’avant-dernière phrase de mon exposé pourquoi je dis Juif et allemand.

Rosenzweig fut un authentique penseur européen ; né en 1886 à Cassel dans le Land de Hesse, mort à 43 ans, en 1929 à Francfort sur le Main, des suites d’une terrible maladie, l’amyotrophie latérale, qui le priva même de l’usage de la parole, ce qui est pire que la peine capitale pour un philosophe, Rosenzweig a vécu de plein fouet la crise de la conscience de l’Europe et la débâcle de sa culture. Ce fut une profonde crise spirituelle , vécue dans sa chair , qui l’a conduit à rédiger en pleine guerre mondiale, en moins de six mois dans les tranchées de Macédoine, comme agi par une force supérieure, son œuvre majeure l’Etoile de la rédemption ; elle sera publiée trois ans après la fin des hostilités, en 1921, et six ans avant l’œuvre de Martin Heidegger, Sein und Zeit qui rendit son auteur mondialement célèbre.

Mais il faut savoir qu’un an avant cette déflagration mondiale qui allait le maintenir sous les drapeaux durant quatre années, le jeune philosophe hégélien avait achevé avec enthousiasme une thèse de doctorat intitulée Hegel et l’Etat, sous la direction d’un grand universitaire de l’époque, Friedrich Meinecke,. Nous avons donc affaire à un historien de la philosophie politique de Hegel. Or, un philosophe comme Hegel considérait le christianisme comme la religion la plus aboutie qui fût et l’Europe comme le continent le plus évolué, ayant produit une culture supérieure à toutes les autres. Et voilà que ces mêmes nations européennes, toutes chrétiennes, s’étaient entretuées, transformant le continent en un champ de ruines absolument méconnaissable. Aucune valeur éthique ne pouvait survivre à un tel massacre.

Lorsqu’il publiera sa thèse en 1921, trois ans après la fin des hostilités, Rosenzweig ne sera plus le même. Il ne croira plus en la strophe du beau poème de Hölderlin (An die Deutschen) portant l’Allemagne aux nues , pays des muses et des poètes, ayant élu domicile dans les vertes prairies du pays de Goethe. Hölderlin, Hegel et Schelling s’étaient rencontrés dans le Stift de Tûbingen. Ce monde d’hier, pour parler comme Stefan Zweig, était irrémédiablement détruit et les principes philosophiques qui sous-tendaient l’univers spirituel de ces hommes d’esprit avaient disparu. Plus rien du passé ne tenait debout.

Comment continuer à croire avec Descartes que la recherche de la vérité est la plus digne préoccupation d’une vie ? Comment suivre le bel exemple de Goethe qui recommandait de  se détourner de la grisaille des théories pour s’attacher à l’arbre verdoyant de la vie ?

Rosenzweig décida alors de tourner le dos au hégélianisme de sa jeunesse, même si dans ses années de maturité, si brèves, hélas, il ne put s’en défaire entièrement.. Il ne voulait plus reprendre à son compte cette pensée abstraite, excessivement conceptualisée qui frise la totalisation prônée par Hegel : les êtres n’ont de sens, selon lui, si ce n’est à partir du tout dans l’Histoire qui mesure leur réalité et englobe tout : les événements, les Etats, les institutions, la pensée elle-même et les personnes. La personne du philosophe se réduit à son système de la vérité dont elle n’est qu’un simple moment.. Rosenzweig dénonce cette totalité et cette façon de la rechercher en la réduisant.. Il faut donc s’en revenir à l’expérience qui préserve la subjectivité et ne tourne pas le dos à la vie..

Au lieu de la totalitsation des éléments, accomplie sous le regard presque déshumanisé du philosophe, Rosenzweig découvre la mise en mouvement du temps et de la vie. Cette unification constitue le fait originel de la religion. La religion, avant d’être une confession, est la puissance même de la vie où Dieu entre en relation avec l’homme et l’homme avec le monde. Religion comme trame de l’être, antérieure à la totalité du philosophe . Hegel avait affirmé  qu’il était la fin de la philosophie et que les philosophes après lui, allaient devenir superflus, c’est-à-dire de simples professeurs de philosophie, ce qui n’est pas très charitable pour notre corporation.

Le défi, largement relevé par Rosenzweig fut le suivant : comment opposer. à la structure du réel telle qu’enseignée par les philosophies depuis l’Ionie jusqu’à Iéna, avec le même droit à la vérité, une ontologie de la vérité religieuse, une pensée nouvelle qui puisse être aussi souvent pensée de Thalès à Hegel ? C’est bien ce que Rosenzweig a entrepris de faire en écrivant l’Etoile de la rédemption. Et c’est ce qu’il appelle le Nouveau Penser, das neue Denken..

Je ne peux pas entrer dans les détails mais je puis dire que notre auteur réconcilie la philosophie et la vie et qu’il remplace le froideur de la pensée conceptuelle par la chaleur de l’expérience. Il met aussi en avant deux philosophes très attachants qui ont été des penseurs subjectifs, à savoir Kierkegaard et Nietzsche.

Il y ajoute un sens inné de l’éthique, conçue comme une optique du divin, ce qui nous rapproche de Levinas dont Rosenzweig fut le maître incontesté. Il est vrai qu’ils appartiennent à la même confession… Le divin ne peut se manifester qu’à travers le prochain. Aucune autre relation avec Dieu n’est plus droite ni plus immédiate. Dieu, en se révélant à l’homme, lui manifeste son amour, et la réponse de l’homme à cet amour est d’aimer son prochain. Paul Ricœur, grand ami et collègue de Levinas à l’université de Paris, a justement caractérisé la pensée de Rosenzweig de la manière suivante : c’est une théologie philosophante.

J’évoquerai, pour conclure, trois autres points fondamentaux dans la vie et l’œuvre de notre auteur : tout d’abord, les relations avec le christianisme, ensuite la question sioniste et, comme promis au début de mon exposé, les relations entre la judéité et la germanité.

On sait que Fr. Rosenzweig, en pleine crise spirituelle, a sérieusement envisagé de se faire chrétien en 1913 avant de se raviser et d’adopter un mode très observant de vie juive. Mais il a toujours conservé pour cette grande religion qu’est le christianisme, le plus profond respect. Il a donc placé le judaïsme et le christianisme sur un même plan d’égalité et ayant une même part à la vérité religieuse. La vérité en soi exige une double manifestation dans le monde, celle du peuple éternel et celle de la mission sur la voie éternelle. La vérité s’éprouve dans le dialogue judéo-chrétien. Rosenzweig a donc été celui qui a installé durablement ce dialogue .

En ce qui concerne le sionisme, l’auteur n’était pas contre, tout en considérant que le peuple du Livre risquait de compromettre sa mission universelle en redevenant le peuple d’une terre.

Et pour finir la judéité et la germanité. Rosenzweig disait qu’il était Juif et Allemand mais recommandait d’oublier cette petite conjonction de coordination, et. Interrogé sur la place prise par l’une et par l’autre de ces deux parties constitutives de son être, il proposait qu’un chirurgien prît la chose en main en appliquant son art. Mais Rosenzweig ajoute, pour finir : le chirurgien fera son travail mais moi, survivrai-je à l’opération, tant les deux appartenances sont intimement liées au plus profond de moi-même ?

A cette grave question existentielle l’auteur de l’Etoile de la rédemption n’apporte pas de réponse.

Mon non plus je n’ai pas la réponse ; mais je vous propose en lieu et place de ne pas vous inquiéter et de savourer tout de suite un agréable moment entre amis

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