La faiblesse du régime du président Erdogan
Ce qui devait arriver a fini par arriver en Turquie. Il était impossible qu’une partie de l’armée turque ne passât pas à l’action, suite aux outrances du régime. Et on doit déplorer cette terrible effusion de sang puisque près de deux cents victimes sont à signaler. Penchons nous un instant sur le communiqué diffusé à la télévision par les putschistes : ils voulaient restaurer les valeurs démocratiques et rétablir les libertés fondamentales ! Qu’une armée, et surtout celle de Turquie ait eu recours à un tel argumentaire pour justifier son passage à l’acte montre indéniablement que le régime est allé trop loin.
On a vu, il y a tout juste deux semaines que M. Erdogan s’est conduit comme un autocrate. Certains commentateurs vont même jusqu’à dire que le régime se préparait à faire une nouvelle épuration au sein des forces armées. Et le nombre si élevé de personnes arrêtées est inouï. C’est du jamais vu. On parle même d’officiers supérieurs impliqués dans le coup d’état en fuite dans la Grèce voisine. Tous les milieux sont concernés : policiers, officiers, avocats, procureurs, journalistes, bref des milliers d’hommes sont soit aux arrêts, soit en cours d’interrogatoires. Le régime se défend, c’est sûr mais quand la répression prend de telles dimensions, cela montre le trouble profond qui traverse la population.
Pourquoi une telle situation ? M. Erdogan s’est rendu compte, ces dernières semaines, de l’isolement dans lequel il avait plongé son pays. Or, quand le mécontentement atteint de telles proportions, c’est le peuple qui parle et la répression ne suffit plus. Même s’il épure l’armée en profondeur, M. Erdogan va multiplier le nombre de mécontents. C’est autre chose qu’il faut essayer. Evidemment, le chef de l’Etat turc accuse son allié d’hier Gûllen mais ce septuagénaire réfugié aux USA et qui plus est n’est pas en bonne santé, ne peut pas avoir actionné de larges secteurs des forces armées. Si j’en crois les dépêches d’agence, même le parlement turc a été attaqué ainsi que les édifices abritant les services de renseignement. Ce fut vraiment un mouvement de révolte de très vaste ampleur. Qu’est ce qui a bien pu fédérer un si grand nombre de soldats ? Une politique de division en lieu et place d’une politique de concorde et de réconciliation nationales.
C’est encore et toujours le mécontentement qui traverse de larges secteurs de la population. Il suffit d’analyser les réactions des chancelleries occidentales dont l’embarras est patent. N’oublions pas que la Turquie est membre de l’Otan, que des traités d’alliance et d’assistance la lient aux Occidentaux qui surveillent ce qui passe sur place comme on surveille le lait sur le feu.
Que va t il se passer à présent ? Le régime a senti passer le vent du boulet. Il faut s’attendre à une répression sans pitié. Mais est-ce la solution ? A court terme, oui, mais sur le long terme il faut refonder le régime, dialoguer avec de larges pans du pays qui sont entrés en dissidence. Le président actuel devrait proposer quelque chose d’autre au pays, une sorte de nouveau pacte national avec la gauche, cesser de s’en prendre à la laïcité à laquelle l’establishment kémaliste st si attaché et qui a assisté, dépité, à la relégation de l’héritage du grand Turc à l’arrière-plan.
- Erdogan devrait faire à l‘intérieur ce qu’il a entrepris précipitamment à l’extérieur, en rétablissant des relations convenables avec des puissances qu’il avait vilipendées durant des mois, voire des années. Mais le peut-il ? Les observateurs les plus attentifs ont diagnostiqué une sorte de fuite en avant, tenant lieu de politique étrangère. Comment avoir pensé se mettre à dos un voisin aussi sourcilleux que Vladimir Poutine ? Au point même d’ordonner d’abattre un de ses avions de chasse, pour ensuite s’excuser, proposer une indemnisation, etc… Et l’on ne parle même pas de l’attitude plus qu’ambiguë à l’égard de Daesh, l’ennemi public numéro un ! Lequel n’entend pas se laisser enfermer dans son réduit en Syrie et en Irak. L’armée qui s’est soulevée n’a guère apprécié la série d ‘attentats sanglants qui ont endeuillé le pays…
Si le président est en mesure de lutter contre sa nature colérique, il devrait, après avoir rétabli la loi et l’ordre, entamer un dialogue avec ses adversaires, voire même tendre la main aux adversaires d’hier. S’il ne le fait pas, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il fera de nouveau face à des troubles encore plus graves.
Nikita Khroutchev avait jadis eu un mot devenu célèbre : on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus… Il faut savoir retenir son ours, dialoguer avec les autres, si l’on veut une paix sociale. Le monde a changé, M. Erdogan ne devrait pas l’oublier.
La paix et la stabilité de son régime sont à ce prix.