Ce que cache le «Je vais tout changer» de Donald Trump: de l’altérité en politique...
Avant toute chose, précisons un point : ce papier est rédigé près de dix heures avant l’investiture si attendue de Donald Trump. Il vise à analyser de la manière la plus objective possible ce que représente cet homme, le président du plus puissant pays au monde, dans un univers qui ne se remettait plus en question, fondait lui-même pour lui-même ses propres lois et qui est contraint d’accueillir un nouveau venu qui veut tout changer ; on l’accueille comme un petit chien dans un jeu de quilles.
Au fond, la pratique politique, le monde politique, ont toujours joué le jeu qu’ils ont voulu sans jamais accepter la différence, l’altérité. Il fallait accepter qu’une partie d’un pays gouverne contre l’autre partie de ce même pays. J’ai entendu des gens, pourtant intelligents, des commentateurs avisés de la chose politique, dire des choses étonnantes sur le nouveau président. C’est comme si cet homme qui a réussi à s’imposer, à braver tous les dangers, et ils furent nombreux, à rallier à lui des millions d’Américains, devait se soumettre aux critères de la grande presse nationale et internationale et faire allégeance à l’establishment politique, quel qu’il soit. Etonnante démarche des coryphées de la presse mondiale qui crient au scandale parce quelqu’un viole, et de quelle façon, leur petit univers politico-médiatique. Ces gens n’ont rien compris au résultat du vote : bien sûr que Madame Clinton a eu plus de suffrages, mais elle avait un inconvénient majeur qui s’est transformé en un handicap insurmontable : elle faisait figure de candidate de l’establishment, des couches supérieures de la population, en un mot des élites. Et c’est justement contre ces milieux là, réputés responsables de tous nos maux, que les gens ont, à tort ou à raison, voté. C’est ce ras le bol qui a fait que rien n’a pu stopper non pas la vague, mais le raz-de-marée Trump.
Ce que cache le «Je vais tout changer» de Donald Trump: de l’altérité en politique...
En fait, il y a ici plus qu’une incompréhension, on a affaire à une inadéquation, voire à un déphasage. La presse officielle, réputée pour sa bien-pensance et son politiquement correct n’a pas compris que sa propre hiérarchie des critères n’avait plus cours. Aujourd’hui, les gens, quels que soient leurs pays, leur profession, leur âge ou leur sexe, s’informent en lisant les nouvelles sur des tablettes, des portables, bref privilégient l’internet. Et n’importe qui peut créer son blog, son site et les diffuser à la face du monde. Trump, lui, l’a très bien compris. Il a écarté la presse et la télévision comme on écarte un paravent ou comme on procède à l’ablation d’une cataracte. La presse ne pouvait pas ne pas réagir comme elle l’a fait : par une levée générale de boucliers, une hostilité proche parfois de la diffamation et un parti pris ouvert, déclaré pour sa rivale Hillary Clinton. La frustration le disputait à l’amertume.
Les résultats sont là mais il faut approfondir les raisons de cette querelle avec la presse et les circuits de communication habituels. Trump est différent, il est autre, radicalement autre et cette altérité a presque violé les acteurs traditionnels des compétitions électorales. En effet, Trump est le premier candidat à avoir gagné contre la presse, le capital et l’establishment. Même le président sortant n’a pas hésité à bafouer les règles de décence politique, multipliant les interventions aux quatre coins du pays, n’hésitant même pas à mobiliser sa propre épouse à laquelle son statut de première dame aurait dû interdire de telles déclarations, notamment la crainte et le danger que Trump, en tant que mâle, pouvait représenter pour nos filles (our girls).
Dans ce contexte précis, je dois préciser que je n’apprécie guère les commentaires phallocratiques de Trum sur les femmes en général mais je trouve tout aussi déplacé d’avoir publié dans la grande presse de tels enregistrements audio… Et pourtant, même cela ne l’a pas empêché d’être élu. Son électorat, la classe moyennes et les couches populaires ont refusé de suivre… Ce qui donne à réfléchir. Mais non, cela n’a pas suffi si l’on en juge par le comportement du sortant Barack Obama qui, jusqu’à hier continuait d’agir un peu par bravade, comme un mauvais perdant qui n’a toujours pas accepté la défaite de sa candidate… Soyons justes : Trump ne lui fait aucun cadeau et le Congrès a déjà entamé le dé tricotage de l’Obamacare.
Pourquoi donc Trump veut-il avant tout rompre avec le système ? Pourquoi cette rupture doublée d’une altérité réclamée et assumée ? C’est tout simplement que le richissime homme d’affaires qu’il est n’est pas satisfait de la gouvernance de son pays et même du reste du monde, vu que les USA sont l’unique hyperpuissance sur cette terre et que sans eux rien ne peut se faire : on l’a vu pour la Syrie et le camouflet infligé par B. Obama à Fr. Hollande.
Trump veut changer tout cela en se fondant sur une règle, certes valable dans le monde des affaires mais peut-être pas vraiment dans les forums internationaux ni dans le monde politique US : quand une méthode, un système ne fonctionne pas, on en choisit un autre. Un neuropsychiatre connu, qui s’est fait, justement pour un petit quart d’heure ce matin, commentateur politique, a dit que Trump se considérait plus comme un PDG que comme un président… C’est vrai mais quel mal y a t il à cela ? Le nouveau président a le droit de faire preuve d’inventivité, d’esprit innovant, il a le droit de quitter les sentiers battus pour explorer des pistes ou des voies nouvelles ; ce choix d’être différent, d’être autre, rejoint un peu le choix de Levinas pour l’altérité, même si le philosophe de rue Michel-Ange ne se serait guère entendu avec le nouvel homme fort du monde entier.
Puisque l’entrée en fonctions se passe dans quelques heures, selon le fuseau horaire européen, et qu’on ne sait rien, de science sûre, de la tonalité du discours, on peut tout imaginer. L’homme veut étonner, il veut surprendre. Il veut montrer que sa présidence marque une ère nouvelle dans l’histoire politique de son pays. IL a aussi tendance à se poser un peu comme un mégalomane, un Messie que tout le monde attend. Un exemple : il voulait venir en hélicoptère pour sa prestation de serment : que visait-il ? Tout simplement à se poser comme le messager de Dieu, comme un ange venu sauver les brebis égarées, les ramener sur le droit chemin. Une sorte de démiurge, même si on est très loin de Platon et de sa cité bien guidée, incarnation de toutes les vertus politiques et humanistes. Les expulsions des étrangers en situation irrégulière, la construction du mur séparant les USA du Mexique, la taxation des produits non made in USA, etc, tout cela nous éloigne tant de la cité parfaite.
Enfin, Trump est parti d’un constat pourtant aveuglant mais que tout un chacun faisait mine de ne pas voir : l’indigence, voire, la faillite du discours politique ; le discrédit complet des classes politiques, frappées d’autisme à un point encore jamais atteint. Et c’est tout cela que Trump veut changer. Y parviendra t il ? C’est peu probable. Mais au moins il aura essayé. Il aura peut-être balisé le chemin pour d’autres.