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Que reste t il de Jérusalem?

Que reste t il de Jérusalem…

Il arrive que le hasard fasse bien les choses. Mais pas toujours, ce n’est pas une loi absolument infaillible. En revanche, au fil des lectures, il arrive que l’on tombe sur des références qui fassent un véritable clin d’œil à l’actualité internationale la plus brûlante. C’est donc le cas avec la ville si disputée de Jérusalem que tous veulent posséder, comme si cette ville n’était qu’un espace alors qu’à l’évidence, il s’agit d’un lieu hors du temps, d’un espace spirituel que tout homme peut posséder dans son cœur : il lui suffit d’y penser très fort en fermant les yeux, où qu’il se trouve sur toute l’étendue du globe terrestre.

La main du hasard ou celle de la Providence a revêtu les atours du nouveau président américain qui chaque jour que Dieu fait, ne cesse de défrayer la chronique ; sa position sur le sujet est connue, il l’a dit et redit : il compte transférer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem et la simple mention de ce déménagement promet de susciter de graves tensions dans la région mais aussi dans d’autres régions du monde.

  

Que reste t il de Jérusalem…

 

Avant de dire un mot des différentes mentions nostalgiques et chaleureuses de la cité du roi David, lequel on l’oublie parfois, est à l’origine de la monarchie de droit divin, reportons nous à un beau roman Jusqu’à la mort de l’écrivain israélien Amos Oz qui parle de cette ville non comme d’un lieu comme un amour absolu. A part Alain David, je crois que personne n’a pris soin de s’interroger sur cette dénomination qui rejoint d’ailleurs les lignes précédentes : Jérusalem est profondément enfouie dans le cœur de chaque homme, pour peu qu’il soit adepte de l’un des trois monothéismes… La phrase d’Amos Oz est très brève ; il parle de hordes de croisés qui, défiant tous les dangers, se sentent pousser des ailes en entreprenant cette longue et périlleuse marche vers un lieu qui n’est pas un lieu, un espace qui n’a rien de spatial, une entité dont ils ne savent rien sinon que cette ville abrite le tombeau du Christ. Même s’ils commettent un grave contresens en mêlant le fracas des armes au message d’amour de leur Dieu contenu dans les Evangiles -et, en effet, ils ne massacrèrent les communautés rhénanes qu’ils traversèrent au cours de leur périple vers la Terre sainte- rien ne parvient à les dévier de leur chemin. Voici ce qu’écrivait l’auteur israélien : Et ce n’est pas chez eux qu’ils allaient ; Ils avaient depuis longtemps oublié les hommes et leurs demeures. Et ce n’était même pas vers Jérusalem qu’ils allaient, qui n’est pas un lieu mais amour absolu !

Cette comparaison renferme peut-être la plus émouvante, la plus expressive transmutation de la ville trois fois sainte : certes, la Realpolitik taxera de suprême naïveté un tel discours portant sur l’avenir d’une cité pour laquelle tant d’êtres humains ont donné leur vie. Et cela ne remonte pas à hier ni à avant-hier comme on peut le constater en lisant certains passages de la Bible, notamment de la littérature prophétique.

Comment donc tout cela a-t-il commencé ? On peut s’en faire une idée en prenant les choses à l’envers. Chacun connaît les frères Reinach, Théodore et Salomon, auxquels la municipalité de Boulogne sur Seine, où ils résidaient, a donné le nom d’une rue ; l’un des deux frères, grand historien français du XIXe siècle, a eu cette phrase polémique et volontairement provocatrice au sujet de la cité du roi David : s’il fallait rendre Jérusalem à quelqu’un, ce serait aux Jébuséens ! Je précise que cette peuplade, entièrement engloutie sous les flots d’une histoire tumultueuse, fut la dernière occupante de ce qui n’était à l’poque, vers le XIe siècle avent notre ère, qu’un tout petit village de quelques centaines d’âmes, des bergers pour la plupart, juché sur un aride piton rocheux. A l’aide d’une ruse de guerre, si l’on en croit l’historiographie biblique qui adopte une lecture théologique des événements, David se rend maître des lieux mais les récits de cette aventure sont empreints d’un incontestable caractère légendaire.

Et pourtant, et c’est là qu’on retrouve la remarque quasi visionnaire de Amos Oz, la religion juive a fait de cette cité si pauvre, si difficile d’accès, le berceau du peuple qui fit don du monothéisme et du messianisme au reste de l’humanité. Dans tous les livres prophétiques, ceux de Samuel, celui d’Isaïe, de Jérémie, d’Amos, l’attachement à cette cité est omniprésent. Sans même parler des Psaumes qui vouent à Jérusalem un culte quasi idolâtre, tant le Psalmiste, l’homme le plus religieux que la terre ait jamais porté, nous assure qu’ile ne saurait vivre sans Jérusalem. Sans elle, sa vie n’a plus de sens. Chacun connaît le célèbre serment : Si je t’oublie Ô Jérusalem, que ma droite m’oublie, que ma langue se colle à mon palais. Le message est tout aussi clair : sans Jérusalem, je n’ai vraiment rien à dire, soupire le Psalmiste. Le Psautier qui compte 150 pièces pour les juifs et un de plus pour les Chrétiens, exalte aussi le passé mythique de la monarchie davidique : l’auteur prie pour la paix de la cité, pour le bien-être de ses habitants comme du temps où le roi y tenait conseil et y rendait la justice…

Aucune autre ville n’a été autant sacralisée, sanctifiée, recherchée, au motif que c’est bien là que le Dieu biblique a souhaité résider ; pas vraiment car lorsque David veut construire une résidence pour le Dieu de son peuple, il ne peut s’agir que de Jérusalem. Et c’est son fils, le fameux roi Salomon, qui aura le privilège d’édifier un tel lieu. Depuis lors, vers 970 avant notre ère, puisque la royauté salomonique durera, comme il se doit, quarante ans,, Jérusalem dominera la vie du peuple juif. Il faut relire la prière du roi Salomon lors de l’inauguration du temps de Jérusalem, pour mesurer l’étendue et la profondeur de ce que Amos Oz a nommé un amour absolu. Salomon invoque la paix et la protection divines sur son peuple, tout en priant pour l’humanité. Il supplie Dieu d’agréer les prières de l’étranger qui, ayant entendu parlé de toi, vient te rendre hommage dans ton temple…

Véritable coup de maître qui a fait dire à l’un des éditeurs des Intertestamentaires dans la collection de La Pléiade que d’une simple petite chapelle royale on a fait un temple universel dédié au culte de toute l’humanité. C’est un peu vrai même si cela réduit –involontairement- l’attachement du peuple d’Israël à ce symbole qui ne l’a jamais quitté durant un exil bimillénaire.

Dans les trois prières quotidiennes, au cours des solennités ou des fêtes religieuses (Pâque, Pentecôte, tabernacles) les références à Jérusalem et au retour à Sion sont omniprésents. Cela tourne carrément à l’obsession. Cette ivresse de la ville sainte a tout de même connu, elle aussi, un phénomène de spiritualisation : le culte sacrificiel, pratiqué au sein du temple de Jérusalem, céda, vu les nécessités de l’heure, devant le culte du cœur, à savoir la prière. Mais la nostalgie de Jérusalem est restée tout aussi brûlante. Comme une sorte de fièvre amoureuse qui a laissé des traces dans le Cantique des Cantiques.

Nous sommes à des années-lumière d’une approche politique de la question où l’on en vient à espérer une sorte d’extensibilité de cette ville pour donner satisfaction à tous ceux et à toutes celles qui s’en réclament. Même si, historiquement, archéologiquement et religieusement, c’est le judaïsme, et dans son sillage, le christianisme, qui ont le droit de la revendiquer. Mais ne faut-il pas approcher cette épineuse question avec amour, de soi-même, assurément, mais aussi de l’autre ?

La vocation de Jérusalem est d’être un havre de paix, un lieu, comme le dit le Psalmiste où les cieux embrassent la terre… De Jérusalem il reste à conquérir le cœur. MRH

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