Les élections en France: l’étrange défaite…
Ce que nous vivons depuis quelques jours fait l’effet d’une bombe. L’électorat français, pourtant habitué à ce petit jeu politique depuis des décennies, a profité de cette vaste consultation électorale pour renvoyer à leurs chères études les partis, les deux plus grands partis qui structuraient jusqu’ici sa vie quotidienne. Et la meurtrissure est aussi cuisante à droite qu’à gauche : à droite car cette élection paraissait assurée, imperdable pour reprendre ce terrible néologisme, et aussi parce que le peuple de ce pays était en gésine d’alternance et voulait tourner la page Hollande. A gauche, car cet effondrement du PS intervient après cinq ans de pouvoir de cette même gauche. C’est un camouflet sans pareil que le peuple a administré à cette gauche qui n’a pas su se montrer une gauche de gouvernement, amie des réalités, en avance sur son temps, à l’écoute des desiderata des gens. Oui, à l’écoute des gens simples, qui paient leurs impôts, font avancer le pays et espèrent quelque chose en retour.
Les élections en France: l’étrange défaite…
Or, rien n’est venu. Il ne sert à rien de pleurer un monde disparu, qui ne ressuscitera plus ; il faut se confronter à la réalité, respecter ce que nos mais allemands, pourtant jadis favorables au romantisme politique, nous ont appris : das Realitätsprinzip ! Les incantations, les anathèmes, les rancunes recuites ne servent à rien. Il faut faire face. Et ce n’est pas facile quand on réalise l’étendue du désastre. Le premier enseignement est de bannir les primaires qui donnent aux gens l’impression d’avoir vraiment désigné le futur président. Erreur fatale !!
La presse dans son ensemble, tant écrite qu’audio-visuelle, a tout dit sur ce retournement de situation. On nous a expliqué que le peuple français n’avait plus le choix ; il continuait à ne pas être écouté. Une fois en place, les élus oublient qu’ils doivent tout à leurs mandants. Et cela dure depuis Mathusalem . Forcément, le vase a fini par déborder. Mais tout de même, regardez les partis politiques traditionnels, à droite comme à gauche. Les ambitions personnelles, les petits calculs politiques, l’avidité, la cupidité, pour ne pas dire dans certains cas la corruption, tous ces dysfonctionnements ont fini par nous faire perdre patience. Et à nous faire réagir de manière absolument imprévisible : en confiant à un moins de quarante ans, novice en politique, inexpérimenté en relations sociologiques, la première place ! Le message est clair : vous ne voulez pas changer, cela dure depuis si longtemps, eh bien, nous les électeurs, allons tout chambouler. Ce non quadragénaire a réussi ce que personne n’avait réussi ni même simplement tenté avant lui : se propulser à la tête d’une république quasi monarchique, sans parti politique, sans majorité à l’assemblée, bref un inconnu. Malgré la mesquinerie et la petitesse des critiques concernant le petit souper au restaurant La Rotonde (une bonne brasserie, sans plus), on relève une méconnaissance totale de la psychologie du Français de base : chaque fois qu’il croise quelqu’un qui est mieux loti que lui, chaque fois qu’il prend ses propres dimensions et se sent défavorisé, il renâcle. Résultat : ce matin 52% des sondés jugent que Macron a mal débuté sa campagne du second tour alors que Marine Le Pen, elle, l’aurait plutôt réussie… Et tout cela à cause d’une malheureuse virée dans une simple brasserie. Heureusement qu’il n’a pas choisi un trois étoiles…
Lors d’une rencontre, un participant me fit remarquer que François Hollande, lui aussi, n’avait pas été un grand élu et qu’il avait réussi à passer de député à président de la République. Je lui ai rétorqué que Fr. Hollande avait passé une bonne dizaine d’années à la tête du PS et qu’à ce titre il s’était fait connaître en qualité de leader de l’opposition… Partant, E. Macron reste sans challenger ni précurseur dans ce jeu là.
Et pourtant, lors d’un déjeuner avant hier avec un important diplomate européen, j’ai été incapable de parler du programme économique du vainqueur du premier tour. Nous avons tenté de procéder par déduction et nous n’y sommes pas arrivés. Que va t il se passer ? Prenons les choses dans l’ordre.
Pour que Macron puisse vraiment gagner et s’imposer il lui faut au moins 60% des suffrages. C’est une possibilité, ce n’est pas hors de portée. Mais subsistent bien des inconnues, notamment ce que va faire l’électorat de J-L Mélenchon qui n’est pas loin des 20%. Ce qui est considérable. J’avais pensé que le personnel politique traditionnel en aurait tiré les leçons et aurait quitté ses postes pour faire place à l’esprit nouveau, au vent nouveau. Pas du tout ! Ces recalés pensent déjà prendre leur revanche aux élections législatives toutes proches. Et pourquoi pas, s’imposer au futur nouvel élu, si c’est Macron. Ainsi, ils imaginent une sorte de cohabitation, et au cours de la législature une dissolution qui leur permettrait de bousculer les échéances. Pauvre France !! Un membre des Républicains fait déjà des offres de service, même pas déguisées… Les hommes politiques sont inamendables.
Mais la vraie source d’inquiétude me semble venir d’ailleurs : c’est ce sentiment de frustration qui s’est emparé des Français qui n’acceptent pas d’être frustrés de leur victoire, d’avoir été dépossédés de ce qui leur paraissait acquis. Ceci est un point très important.
Je ne dirais pas que cette élection manque de légitimité, je ne dirais pas qu’elle est illégale, je dirais simplement qu’elle a un petit problème avec la morale républicaine. Les résultats de cette élection présidentielle ont été faussés par cette campagne absolument atroce contre le candidat de la droite et du centre. Je ne prends pas position sur la question, la justice dira ce qu’il en est, même si, selon moi, elle n’a pas vraiment été neutre. Les différentes salves tirées contre François Fillon avaient un objectif : lui faire quitter la scène et, à défaut, l’empêcher de faire campagne. Et il fut vraiment empêché de faire campagne. C’est indéniable. Ce fut injuste puisque le Conseil Constitutionnel avait validé sa candidature. J’ignore quels furent les chefs d’orchestre de ces officines si bien renseignées, si adroitement pilotées, mais un jour cela finira par se savoir. Dans l’intervalle, ceux qui sont à l’origine de ce coup ont faussé les résultats de l’élection, stimulant un puissant sentiment de frustration qui commence à traverser le pays. Et dont les conséquences sont imprévisibles. D’aucuns disent vouloir brûler leur carte d’électeur, ne plus voter, se mettre en marge.
C’est une bien étrange défaite qui produira les raisins de la colère.
Il n’ y a pas que J-L Mélenchon qui fait droit à ce sentiment si frappant, d’autres personnalités, certes marginales mais existantes, commencent à dire qu’elles ne voteront pas pour Macron et que rien ne leur interdit de se porter sur Marine Le Pen.
A ce sujet, je voudrais souligner un point : personne ne semble se soucier de ce qui pousse presque un tiers du corps électoral a opter pour le FN. Tout le monde critique le FN mais personne ne réussit à lui opposer des réponses convaincantes ou qui tiennent la route. Le FN bâtit sa puissance sur quelques thèmes bien rôdés : l’immigration, l’insécurité, le chômage, le terrorisme islamiste, la gabegie financière… Tous les gouvernements de droite comme de gauche on remplacé les arguments par des invectives plus ou moins percutantes mais jamais efficaces.
Que pouvez vous répondre à ces partisans du vote FN que l’on voit se succéder sur les écrans de nos télévisions ? Ce sont des Français comme les autres, qui veulent vivre chez eux, en Français et non sous la coupe d’une religion ou d’une civilisation étrangères, incompatibles avec l’esprit judéo-chrétien de la culture européenne ; bref, des gens qui disent ne plus se sentir chez eux en France ! C’est ce sentiment d’être incompris, voire méprisé qui agite une bonne partie de nos concitoyens. Et cela risque d’empirer.
Que vont faire les gens de Sens Commun ? Que vont faire les Insoumis ? Que font faire les électeurs de François Fillon ? Les reports de voix n’obéissent pas à des règles arithmétiques. Une bonne moitié des Insoumis envisagent de se reporter sur le FN !! N’oublions pas que l’électorat populaire a l’art de rapprocher les opposés : nombre de membres du PC sont passés par dépit ou par lassitude chez Marine Le Pen. Les appareils parisiens peuvent appeler à voter pour tel ou pour tel, l’électeur décide seul dans le secret de l’isoloir. Et je sens que la candidate du FN n’a pas encore dit son dernier mot. Cinq ans d’un pouvoir socialiste ont enfanté la situation actuelle. Et il serait presque amusant, nonobstant la gravité de la situation, d’interpréter ainsi la remarque du chef de l’Etat concernant la percée de Marine Le Pen à cette élection.
Ici aussi, les bonnes mesures n’ont pas été prises. En affirmant qu’il renonçait, Fr. Hollande aurait dû démissionner dans la foulée, et provoquer des élections présidentielles anticipées. Cela noua aurait fait gagner du temps. Alors que là on avait l’impression d’avoir une gouvernement claudiquant, un couteau sans lame. Georges Pompidou avait dit un jour qu’aucun gouvernement ne pouvait travailler s’il savait par avance la date de sa mort… Il avait raison.
Toutes les philosophies politiques n’ont pas réussi à nous donner un mode d’emploi pour une bonne gouvernance. Et je crains que le quinquennat qui s’annonce ne constitue pas d’exception à la règle. Souhaitons lui bonne chance, même si la plus grande prudence s’impose.
Charles de Gaulle parlait dans ses Mémoires des ferments de la discorde. C’est toujours d’actualité
Maurice-Ruben HAYOUN