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De manière assez curieuse, la visite de Donald Trump en Israël a suscité les réactions les plus inattendues. D’une part, l’élection du magnat américain de l’immobilier a suscité les espoirs les plus fous, et d’autre part elle a plongé la classe politique israélienne, de droite comme de gauche, dans un scepticisme inouï.
En fait, après toutes ces années où la paix paraissait à la fois proche et lointaine, l’histoire du peuple juif et donc de son aboutissement national et étatique, a dévoilé des aspects qu’on ne lui connaissait pas ou qu’on n’avait pas suffisamment approfondis : qui écrit l’Histoire des Juifs ? Les Juifs eux-mêmes ou une puissance, une divinité tutélaire qui leur impose sa loi, fait d’eux son peuple, leur impose ses commandements et ses interdits et leur assigne un territoire, si âprement contesté par d’autres et où coulent prétendument le lait et le miel ?
Les biblistes les plus sérieux font un constat : il est impossible d’écrire l’histoire du peuple d’Israël durant l’Antiquité car on ne dispose que des données de la Torah, de la Bible hébraïque avec son canon composé de vingt-quatre livres. Or, la Bible n’est pas un livre d’histoire, elle cultive les anachronismes, les déclarations contradictoires et les doublons car elle procède à une lecture théologique des événements. Elle ramène tout à une cause unique et suprême, Dieu ou sa Providence laquelle se contente de confier à d’humaines mains le soin de faire appliquer son ordre sur terre.
Dans le livre de la Genèse, un élément déterminant se lit à partir du chapitre XII : le patriarche Abraham se voit annoncer par Dieu en personne que son peuple, les enfants d’Israël, vivra en Egypte une captivité de plusieurs siècles mais qu’après cette terrible épreuve la fameuse Terre promise leur sera dévolue. On relève un détail crucial : pas une fois, ce peuple composé d’anciens esclaves, n’est consulté ; pas une fois il n’est tenu compte de son avis. Dieu, arbitre et autorité suprême, décide de tout : Israël sera réduit en esclavage en Egypte, Dieu l’en délivrera à coup de miracles et de prodiges, il vivra la traversée du désert au cours de laquelle il sera aguerri et enfin il conquerra le territoire promis par Dieu sous la férule de Josué, le fidèle disciple de Moïse.
Et au cours de sa longue période antique, le peuple d’Israël se verra rappeler à ses devoirs chaque fois que les envoyés divins, les prophètes en ressentiront le besoin. Lorsqu’Israël s’écartera de la voie tracée ou se livrera à de condamnables syncrétismes. Yahwh régnera tout seul sur ce peuple qu’il considère comme étant le sien exclusivement.
Toute l’historiographique biblique se déploie en plusieurs livres auxquels le Deutéronome, le dernier livre du Pentateuque sert d’introduction : le livre de Josué, le livre des Juges, les deux livres de Samuel et enfin les deux livres des Rois. Sept ouvrages constituent donc l’armature de l’histoire antique d’Israël. La ligne directrice est toujours la même partout : C’est Dieu qui est aux commandes.
Au cours de cette histoire tumultueuse qui a suscité chez les spécialistes des opinions ou des analyses contrastées, le peuple d’Israël a toujours attendu le salut d’ailleurs, de préférence de l’extérieur. L’espoir de ce salut culmine avec la notion de messianisme, véritable matrice de ce qui donnera plus tard dans nos systèmes politiques, la notion de l’homme providentiel. Un sauveur qui serait quasi mandaté par Dieu ou par sa Providence… Le messianisme est le rêve éveillé du peuple juif.
Plusieurs fois ce phénomène s’est vérifié dans l’histoire de ce peuple, à nul autre pareil, puisque censé être celui que Dieu s’est choisi. Son temps, son devenir, sa vie nationale sont autres.
Après la destruction du premier Temple de Jérusalem en 586 avant notre ère, et environ sept décennies après la déportation et la captivité à Babylone, Cyrus proclame un édit permettant aux exilés de rentrer chez eux. Dans cette décision qui se présente comme une mesure bienveillante mais cache mal tout autant d’arrière-pensées politiques, les Judéens ont voulu voir l‘intervention de Dieu qui a instrumentalisé le puissant monarque, agissant ainsi à son insu… La Bible avait fait la même analyse avec le bourreau du peuple d’Israël, le roi Nabuchodonosor en -586 : ce satrape n’a fait que réaliser un néfaste décret divin. Toujours cette vue théologique de l’Histoire où rien ne se fait, rien ne se produit sans que Dieu n’en ait donné l’ordre.
Au fond, les Israéliens contemporains ne se sont pas affranchis de cette grille de lecture : ils fondent sur le magnat de l’immobilier US, désormais locataire de la Maison Blanche, des espoirs quasi surnaturels. Trump serait le bon non-Juif que la Providence a chargé d’apporter la paix à ce peuple ; elle lui aurait permis de réaliser la prophétie du chapitre 31 du livre de Jérémie : les fils s’en reviennent chez eux.
Nous vivons au XXIe siècle. Il est bon de demeurer ancrés dans une vénérable tradition qui a fait à l’humanité l’apostolat du messianisme éthique et du messianisme. Mais même Moïse Maimonide qui est mort en 1204 près du Caire a donné une interprétation moderne et rationaliste de l’époque messianique. Aucun peuple n’en opprimera un autre et l’humanité aura utilisé pleinement ses facultés cognitives… Il n y aura plus d’Histoire car le temps se sera figé en téernité.
C’est dire combien il est urgent que les Juifs prennent leur histoire à bras le corps et se soustraient enfin à leur destin
Maurice-Ruben HAYOUN
Professeur à l’Uni de Genève
Dernier livre paru : Franz Rosenzweig, une introduction. Paris, Agora, 2015
Les juifs : une histoire ou un destin ?
De manière assez curieuse, la visite de Donald Trump en Israël a suscité les réactions les plus inattendues. D’une part, l’élection du magnat américain de l’immobilier a suscité les espoirs les plus fous, et d’autre part elle a plongé la classe politique israélienne, de droite comme de gauche, dans un scepticisme inouï.
En fait, après toutes ces années où la paix paraissait à la fois proche et lointaine, l’histoire du peuple juif et donc de son aboutissement national et étatique, a dévoilé des aspects qu’on ne lui connaissait pas ou qu’on n’avait pas suffisamment approfondis : qui écrit l’Histoire des Juifs ? Les Juifs eux-mêmes ou une puissance, une divinité tutélaire qui leur impose sa loi, fait d’eux son peuple, leur impose ses commandements et ses interdits et leur assigne un territoire, si âprement contesté par d’autres et où coulent prétendument le lait et le miel ?
Les biblistes les plus sérieux font un constat : il est impossible d’écrire l’histoire du peuple d’Israël durant l’Antiquité car on ne dispose que des données de la Torah, de la Bible hébraïque avec son canon composé de vingt-quatre livres. Or, la Bible n’est pas un livre d’histoire, elle cultive les anachronismes, les déclarations contradictoires et les doublons car elle procède à une lecture théologique des événements. Elle ramène tout à une cause unique et suprême, Dieu ou sa Providence laquelle se contente de confier à d’humaines mains le soin de faire appliquer son ordre sur terre.
Dans le livre de la Genèse, un élément déterminant se lit à partir du chapitre XII : le patriarche Abraham se voit annoncer par Dieu en personne que son peuple, les enfants d’Israël, vivra en Egypte une captivité de plusieurs siècles mais qu’après cette terrible épreuve la fameuse Terre promise leur sera dévolue. On relève un détail crucial : pas une fois, ce peuple composé d’anciens esclaves, n’est consulté ; pas une fois il n’est tenu compte de son avis. Dieu, arbitre et autorité suprême, décide de tout : Israël sera réduit en esclavage en Egypte, Dieu l’en délivrera à coup de miracles et de prodiges, il vivra la traversée du désert au cours de laquelle il sera aguerri et enfin il conquerra le territoire promis par Dieu sous la férule de Josué, le fidèle disciple de Moïse.
Et au cours de sa longue période antique, le peuple d’Israël se verra rappeler à ses devoirs chaque fois que les envoyés divins, les prophètes en ressentiront le besoin. Lorsqu’Israël s’écartera de la voie tracée ou se livrera à de condamnables syncrétismes. Yahwh régnera tout seul sur ce peuple qu’il considère comme étant le sien exclusivement.
Toute l’historiographique biblique se déploie en plusieurs livres auxquels le Deutéronome, le dernier livre du Pentateuque sert d’introduction : le livre de Josué, le livre des Juges, les deux livres de Samuel et enfin les deux livres des Rois. Sept ouvrages constituent donc l’armature de l’histoire antique d’Israël. La ligne directrice est toujours la même partout : C’est Dieu qui est aux commandes.
Au cours de cette histoire tumultueuse qui a suscité chez les spécialistes des opinions ou des analyses contrastées, le peuple d’Israël a toujours attendu le salut d’ailleurs, de préférence de l’extérieur. L’espoir de ce salut culmine avec la notion de messianisme, véritable matrice de ce qui donnera plus tard dans nos systèmes politiques, la notion de l’homme providentiel. Un sauveur qui serait quasi mandaté par Dieu ou par sa Providence… Le messianisme est le rêve éveillé du peuple juif.
Plusieurs fois ce phénomène s’est vérifié dans l’histoire de ce peuple, à nul autre pareil, puisque censé être celui que Dieu s’est choisi. Son temps, son devenir, sa vie nationale sont autres.
Après la destruction du premier Temple de Jérusalem en 586 avant notre ère, et environ sept décennies après la déportation et la captivité à Babylone, Cyrus proclame un édit permettant aux exilés de rentrer chez eux. Dans cette décision qui se présente comme une mesure bienveillante mais cache mal tout autant d’arrière-pensées politiques, les Judéens ont voulu voir l‘intervention de Dieu qui a instrumentalisé le puissant monarque, agissant ainsi à son insu… La Bible avait fait la même analyse avec le bourreau du peuple d’Israël, le roi Nabuchodonosor en -586 : ce satrape n’a fait que réaliser un néfaste décret divin. Toujours cette vue théologique de l’Histoire où rien ne se fait, rien ne se produit sans que Dieu n’en ait donné l’ordre.
Au fond, les Israéliens contemporains ne se sont pas affranchis de cette grille de lecture : ils fondent sur le magnat de l’immobilier US, désormais locataire de la Maison Blanche, des espoirs quasi surnaturels. Trump serait le bon non-Juif que la Providence a chargé d’apporter la paix à ce peuple ; elle lui aurait permis de réaliser la prophétie du chapitre 31 du livre de Jérémie : les fils s’en reviennent chez eux.
Nous vivons au XXIe siècle. Il est bon de demeurer ancrés dans une vénérable tradition qui a fait à l’humanité l’apostolat du messianisme éthique et du messianisme. Mais même Moïse Maimonide qui est mort en 1204 près du Caire a donné une interprétation moderne et rationaliste de l’époque messianique. Aucun peuple n’en opprimera un autre et l’humanité aura utilisé pleinement ses facultés cognitives… Il n y aura plus d’Histoire car le temps se sera figé en téernité.
C’est dire combien il est urgent que les Juifs prennent leur histoire à bras le corps et se soustraient enfin à leur destin
Maurice-Ruben HAYOUN
Professeur à l’Uni de Genève
Dernier livre paru : Franz Rosenzweig, une introduction. Paris, Agora, 2015
Les juifs : une histoire ou un destin ?
De manière assez curieuse, la visite de Donald Trump en Israël a suscité les réactions les plus inattendues. D’une part, l’élection du magnat américain de l’immobilier a suscité les espoirs les plus fous, et d’autre part elle a plongé la classe politique israélienne, de droite comme de gauche, dans un scepticisme inouï.
En fait, après toutes ces années où la paix paraissait à la fois proche et lointaine, l’histoire du peuple juif et donc de son aboutissement national et étatique, a dévoilé des aspects qu’on ne lui connaissait pas ou qu’on n’avait pas suffisamment approfondis : qui écrit l’Histoire des Juifs ? Les Juifs eux-mêmes ou une puissance, une divinité tutélaire qui leur impose sa loi, fait d’eux son peuple, leur impose ses commandements et ses interdits et leur assigne un territoire, si âprement contesté par d’autres et où coulent prétendument le lait et le miel ?
Les biblistes les plus sérieux font un constat : il est impossible d’écrire l’histoire du peuple d’Israël durant l’Antiquité car on ne dispose que des données de la Torah, de la Bible hébraïque avec son canon composé de vingt-quatre livres. Or, la Bible n’est pas un livre d’histoire, elle cultive les anachronismes, les déclarations contradictoires et les doublons car elle procède à une lecture théologique des événements. Elle ramène tout à une cause unique et suprême, Dieu ou sa Providence laquelle se contente de confier à d’humaines mains le soin de faire appliquer son ordre sur terre.
Dans le livre de la Genèse, un élément déterminant se lit à partir du chapitre XII : le patriarche Abraham se voit annoncer par Dieu en personne que son peuple, les enfants d’Israël, vivra en Egypte une captivité de plusieurs siècles mais qu’après cette terrible épreuve la fameuse Terre promise leur sera dévolue. On relève un détail crucial : pas une fois, ce peuple composé d’anciens esclaves, n’est consulté ; pas une fois il n’est tenu compte de son avis. Dieu, arbitre et autorité suprême, décide de tout : Israël sera réduit en esclavage en Egypte, Dieu l’en délivrera à coup de miracles et de prodiges, il vivra la traversée du désert au cours de laquelle il sera aguerri et enfin il conquerra le territoire promis par Dieu sous la férule de Josué, le fidèle disciple de Moïse.
Et au cours de sa longue période antique, le peuple d’Israël se verra rappeler à ses devoirs chaque fois que les envoyés divins, les prophètes en ressentiront le besoin. Lorsqu’Israël s’écartera de la voie tracée ou se livrera à de condamnables syncrétismes. Yahwh régnera tout seul sur ce peuple qu’il considère comme étant le sien exclusivement.
Toute l’historiographique biblique se déploie en plusieurs livres auxquels le Deutéronome, le dernier livre du Pentateuque sert d’introduction : le livre de Josué, le livre des Juges, les deux livres de Samuel et enfin les deux livres des Rois. Sept ouvrages constituent donc l’armature de l’histoire antique d’Israël. La ligne directrice est toujours la même partout : C’est Dieu qui est aux commandes.
Au cours de cette histoire tumultueuse qui a suscité chez les spécialistes des opinions ou des analyses contrastées, le peuple d’Israël a toujours attendu le salut d’ailleurs, de préférence de l’extérieur. L’espoir de ce salut culmine avec la notion de messianisme, véritable matrice de ce qui donnera plus tard dans nos systèmes politiques, la notion de l’homme providentiel. Un sauveur qui serait quasi mandaté par Dieu ou par sa Providence… Le messianisme est le rêve éveillé du peuple juif.
Plusieurs fois ce phénomène s’est vérifié dans l’histoire de ce peuple, à nul autre pareil, puisque censé être celui que Dieu s’est choisi. Son temps, son devenir, sa vie nationale sont autres.
Après la destruction du premier Temple de Jérusalem en 586 avant notre ère, et environ sept décennies après la déportation et la captivité à Babylone, Cyrus proclame un édit permettant aux exilés de rentrer chez eux. Dans cette décision qui se présente comme une mesure bienveillante mais cache mal tout autant d’arrière-pensées politiques, les Judéens ont voulu voir l‘intervention de Dieu qui a instrumentalisé le puissant monarque, agissant ainsi à son insu… La Bible avait fait la même analyse avec le bourreau du peuple d’Israël, le roi Nabuchodonosor en -586 : ce satrape n’a fait que réaliser un néfaste décret divin. Toujours cette vue théologique de l’Histoire où rien ne se fait, rien ne se produit sans que Dieu n’en ait donné l’ordre.
Au fond, les Israéliens contemporains ne se sont pas affranchis de cette grille de lecture : ils fondent sur le magnat de l’immobilier US, désormais locataire de la Maison Blanche, des espoirs quasi surnaturels. Trump serait le bon non-Juif que la Providence a chargé d’apporter la paix à ce peuple ; elle lui aurait permis de réaliser la prophétie du chapitre 31 du livre de Jérémie : les fils s’en reviennent chez eux.
Nous vivons au XXIe siècle. Il est bon de demeurer ancrés dans une vénérable tradition qui a fait à l’humanité l’apostolat du messianisme éthique et du messianisme. Mais même Moïse Maimonide qui est mort en 1204 près du Caire a donné une interprétation moderne et rationaliste de l’époque messianique. Aucun peuple n’en opprimera un autre et l’humanité aura utilisé pleinement ses facultés cognitives… Il n y aura plus d’Histoire car le temps se sera figé en téernité.
C’est dire combien il est urgent que les Juifs prennent leur histoire à bras le corps et se soustraient enfin à leur destin
Maurice-Ruben HAYOUN
Professeur à l’Uni de Genève
Dernier livre paru : Franz Rosenzweig, une introduction. Paris, Agora, 2015