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L’affaire des dépouilles retenues par le Hamas : L’Etat d’Israël pris entre deux impératifs

La démission du haut fonctionnaire israélien chargé de négocier le rapatriement des  soldats, morts ou encore en vie et retenus par le mouvement islamiste Hamas,  a mis le feu aux poudres. Toute la presse israélienne en a fait ses gros titres. En effet, l’Etat juif, et tout spécialement son armée, sont pris, pour ainsi dire, entre deux feux : l’un est d’ordre sécuritaire exclusivement, l’autre d’ordre éthique, ce qui veut dire qu’il touche aux principes mêmes gisant au fondement de l’Etat juif. Qu’est-ce à dire ?

Tout simplement que les principes moraux justifiant la création, le maintien et la défense les armes à la main de cet état si contesté par ses ennemis, sont en jeu. Et si Israël ou son armée ne les respectait plus, la légitimité d’un tel Etat, juif et agissant conformément aux exigences ethico-religieuses du judaïsme, serait contestée. Que faire ? Sacrifier les principes moraux sur l’autel sécuritaire ou privilégier la force de l’Etat, envers et contre tout ?

Les familles des deux soldats disparus et dont les dépouilles sont retenues par le mouvement terroriste ont clamé leur indignation. Et qui pourrait le leur reprocher ? Certains commentateurs, plus réalistes et dominant leur émotivité, répliquent que la pression médiatique des familles et de l’opinion publique sur le gouvernement de Jérusalem renforcent la main des ravisseurs et les soutiennent indirectement mais efficacement dans leurs demandes maximalistes puisque le Hamas n’a qu’à attendre tranquillement que ses demandes soient satisfaites.

Dans ce contexte, l’affaire du soldat franco-israélien Guil’ad Chalit est citée en exemple. Tant les membres du gouvernement que des secteurs entiers de l’opinion jugent que ce fut une erreur d’échanger un seul soldat vivant contre près d’un millier de terroristes dont certains avaient du sang sur les mains. On précise que plus de deux cents libérés ont été repris les armes à la main après avoir assassiné sept citoyens israéliens. Donc, un tel scénario à la Chalit est exclu.

Le ministre de la défense s’est exprimé dans ce sens, ce qui lui a valu une véritable volée de bois vert de la part d’un père de soldat mort dans l’accomplissement de sa mission (nafal be-millouy tafkido). Et c’est là que l’affaire se complique car Tsahal a passé un contrat moral avec les familles de ses soldats : il doit les ramener à la maison, même morts. C’est un impératif en Israël où la loi juive doit être, en principe, respectée : on n’abandonne pas les soldats juifs, morts sur le champ de bataille.

Ce principe sacro-saint est né dans la littérature rabbinique. Quelles furent les circonstances de son entrée en vigueur ? C’est très simple : les vicissitudes de l’histoire juive ont multiplié les cas où des juifs, femmes ou enfants, furent victimes de rapt et contraints d’abandonner la foi de leurs ancêtres. Or, la plupart des ravisseurs étaient soit des idolâtres, soit des adeptes d’autres confessions qui profitèrent de cette situation de faiblesse pour leur imposer des conversions forcées. Les folios talmudiques sont remplis de cas où, à Rome ou ailleurs, de jeunes enfants capturés sont vendus au marché des esclaves.

On raconte l’épisode d’un sage talmudique qui cite un verset du prophète (Jérémie 40 ;3) et l’enfant enchaîné, destiné à la vente comme esclave qui l’écoute, cite de tête la fin de ce même verset.. Et cela impressionne profondément le sage : si Israël est dans le malheur, si ses enfants (tinok) sont vendus sur les marchés aux esclaves, c’est parce que le peuple a désobéi aux lois divines… De telles scènes, dramatisées à souhait dans la littérature traditionnelle ont conduit à la théorisation de ce qui allait devenir un devoir religieux : on n’abandonne pas un juif, civil ou militaire, aux mains de l’ennemi, qu’il soit civil ou religieux car on prendrait alors le risque de conduire un membre de la communauté d’Israël à être converti de force à une autre croyance. Ce qui constituerait une faute, un péché impardonnable.

La libération des otages ou le rapatriement de leur corps sans vie est donc un devoir religieux que Tsahal a repris en l’adaptant. On a même parlé, lors de la dernière guerre contre Gaza de l’opération Hannibal qui consiste principalement à faire feu de toutes pièces quand son soupçonne l’enlèvement d’un soldat au cours d’un engagement dans le secteur. Même Maimonide (1138-1204) avait œuvré en personne pour le rassemblement d’une rançon en vue d’obtenir la libération d’un otage. Il avait rédigé une lettre officielle remise à deux envoyés (chelihim) chargés de faire le tour des communautés d’Egypte pour rassembler la somme d’argent nécessaire à cette libération. C’est Dov Goiten (dans les Mélanges Georges Vajda, Peeters, Leyde, 1981) qui nous l’apprend en présentant un texte autographe de Maimonide trouvé dans la Gueniza du Caire…

Depuis cette époque, cette doctrine n’a pas changé mais les circonstances, elles, ont changé, notamment depuis que l’Etat d’Israël s’est trouvé confronté à de telles situations. Lorsque le Hezbollah a entretenu le doute sur le sort des deux soldats israéliens dont on savait qu’ils étaient morts, sans toutefois en être certains, la loi juive s’est à nouveau retrouvée au contre des débats : les deux épouses de ces soldats ne pouvaient ni faire leur deuil ni même refaire leur vie, car on n’était pas absolument sûr que les deux hommes n’étaient plus de ce monde. Aucun rabbin n’aurait accepté de célébrer le mariage d’une femme avec un homme alors qu’elle était peut-être déjà mariée à un autre dont on n’avait pas la certitude qu’il était bien mort. Ce serait sacraliser la prostitution…

Le talmud édicte un certain nombre de mesures à respecter pour tirer l’affaire au clair. Mais dans tous les cas, l’affaire est douloureuse. Les femmes concernées étaient donc des agunot ; c’est le cas encore de l’épouse d’un militaire israélien porté disparu au Liban depuis plus de trente ans… Israël est  donc pris entre deux impératifs puissants : continuer de se défendre, ne pas céder aux chantages ni aux pressions, ou, au contraire, s’exposer à ce chantage des terroristes et céder aux demandes des familles concernées qui ont le droit de faire leur détail et d’offrir à leurs enfants une sépulture juive.

Cet Etat est continuellement confronté à des situations intenables : soit baisser la garde, ce qui est impossible, soit abdiquer ses valeurs fondamentales, ce qui le priverait du fondement moral de son existence.

Dans les cas qui nous occupent, les familles Goldin et Shaoul, les demandes de restitution des corps devaient être acceptées par les ravisseurs. Pour la raison suivante : les Israéliens s’insurgent contre les prisons quatre étoiles où Israël regroupe les terroristes du Hamas avec tant de services à leur disposition : traitement médical suivi, possibilité de recevoir des visites, de poursuivre des études en prison, de se présenter à des examens, etc… Certains demandent même d’imiter Mahmoud Abbas qui a réduit, de lui-même, les fournitures d’électricité à ses frères ennemis du Hamas. En gros, de les couper les vivres. Il est vrai que si Israël réduisait ou cessait ses approvisionnements (humanitaires) à la bande de Gaza, celle-ci connaîtrait alors une véritable catastrophe humanitaire.

Même s’ils ne constituent pas la majorité de la population, les Israéliens de gauche manifesteraient contre de telles mesures. Mais si la pression se faisait très forte sur le gouvernement, il n’est pas exclu que Benjamin Netanyahou s’oriente vers une tout autre voie car Israël détient un certain nombre d’atouts dont il pourrait se servir en cas de besoin. Un dernier principe talmudique qui eut son quart d’heure de gloire, même si sa formulation lapidaire est matière à interprétation : mét assour be hana’a, grosso modo il est interdit de se servir d’un mort, de l’utiliser à quelque fin que ce soit. On avait jadis utilisé ce principe contre la pratique de l’autopsie en Israël, je l’applique aux ravisseurs du Hamas qui se servent de cadavres pour faire pression sur leurs ennemis. A chacun de se faire son opinion…

Lien permanent Catégories : Israël

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