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 Irons nous tous à l’université ? 

universite chapeau.jpgC’est probablement le plus dangereux de tous les défis qui se présentent et que Emmanuel Macron et son gouvernement doivent relever, l’admission dans l’enseignement supérieur de tous les bacheliers de France et de Navarre. Avant d’aborder le sujet, je dois faire un aveu : il est douloureux pour moi de développer ce que j’ai à dire car après trente-huit années de bons et loyaux services dans les universités française, allemandes et suisses, je pense, en effet, que certains bacheliers, notamment de l’enseignement technique ou professionnels perdent leur temps à l’université ou viennent à embouteiller des filières peu «professionnalisantes» et peu lucratives.

Je sais que cette expression n’est pas politiquement correcte et pourtant elle s’impose. C’est une partie de la sociologie française qu’il faut revoir de fond en comble car si l’on vous écarte de la voie royale, l’enseignement classique, littéraire ou philosophique, voire scientifique, mathématiques, physique et chimie, les élèves et leurs parents vivent cela comme une rétrogradation, un handicap dès de le départ dans la vie…

 

Un traumatisme que l’on traîne jusque dans son grand âge, même si l’on gagne plus d’argent en étant plombier qu’en étant professeur des universités ou grand intellectuel. Je me souviens de mes années de lycée, l’un de nos professeurs d’histoire-géographie pestait contre quelques camarades en disant textuellement :… on manque de bras dans les brasseries !

Il jugeait simplement que plusieurs élèves n’avaient pas leur place dans un prestigieux lycée et que leur orientation ailleurs serait préférable. Mais la situation aujourd’hui a empiré puisqu’on est arrivé à faire un tirage au sort pour caser les étudiants dont des centaines restent dans l’angoissante attente de trouver où se caser. J’avais déjà fait allusion à la phrase de l’actuel président : tous les jeunes n’ont pas vocation à rejoindre l’enseignement supérieur…

Cette phrase, je le dis sans jouer au prophète ou au devin, sera, vous le verrez bien, prochainement reformulée pour dire le contraire de ce qu’elle énonce car elle est inacceptable aux yeux de la société française qui ne peut pas vivre sans cette idée d’ascenseur social. C’est un mythe fondateur, sécrété par la fameuse devise de la République : Liberté, égalité, fraternité. Et dans l’interprétation démagogique égalité devient égalitarisme… Vous voyez d’ici le résultat !

Mais au plan humain, comment accepter de barrer à des jeunes la voie à l’université dans un pays comme la France où, heureusement l’enseignement supérieur est gratuit, en dépit de hausses successives des droits d’inscription. Aucune commune mesure avec les USA, la Grande Bretagne ou Israël. Mais heureusement pour eux, ces pays ont une autre culture, une autre approche de l’enrichissement intellectuel ou social. Regardez les programmes des lycées, ils sont merveilleux mais inadaptés.  Et pourtant on y tient : tant d’expressions françaises (en allemand c’est bien pire) dérivent du registre lexical biblique, d’autres d’Homère et d’Hésiode… Les futurs dentistes, cheminots, boulangers-pâtissiers, maçons, clown de cirques, etc… en ont ils besoin pour trouver un emploi ? Bien sûr que non. Et pourtant chacun y tient, sauf pour ceux qui ressentent une aversion chronique pour l’enseignement classique. Il en existe mais ils sont moins nombreux.

Pour moi, acteur dans cette affaire, en tant que professeur des universités dans au moins trois pays d’Europe, avaliser l’interdiction d’accès à l’université me fait mal : mon cœur saigne à cette idée, car j’imagine que je pourrais contribuer à barrer la voie à un jeune homme ou à une jeune fille qui pourrait être touché(e) par une telle mesure, j’aurais une part de responsabilité dans cela. Ce défaut entraînerait aussi, peut-être un traumatisme à vie. Et moralement, je n’ai pas le droit d’agir de la sorte. J’ai passé ma vie professionnelle à accueillir des étudiants français, allemands et suisses, à les former du mieux que je pouvais, je ne me vois pas  interdisant à leurs cadets l’accès à l’Université.

Et pourtant, nous nous dirigeons vers la sélection, cette mesure si décriée après mai 68 durant des décennies et assez responsable de la baisse de niveau des universités classiques. La mentalité française, si friande d’oxymores et de savoureux paradoxes a su avancer sur deux voies parallèles et hermétiquement séparées l’une de l’autre : les grands établissements (style collège de France, Ecole Normale Supérieure, Sciences Politiques, Université Dauphine, faculté de médecine, etc…)

Face à ces lieux d’excellence, il y a les universités qui accueillent tout le monde. Cette séparation hermétique entre la fine couche des élites et la masse compacte des gens ordinaires me rappelle le point de départ de la philosophie maïmonidienne qui dit, dès son introduction, qu’il ne souhaite parmi ses lecteurs que des apprentis philosophes, donc une sélection !

Je me souviens que tant à Heidelberg qu’ici à la mairie du XVIe arrondissement, la simple exposition de cette théorie maïmonidienne semait les ferments de la discorde au sein de l’auditoire. Pourtant, même un aristocrate de la pensée comme Goethe avait écrit, dans son jeune âge : nous ne sommes pas égaux ni ne pourront le devenir : wir sind nicht gleich noch können wir es werden… Il faudra donc trouver une solution humaine, une solution qui n’exclut personne mais qui veille aussi au bon niveau des établissements d’excellence : on peut être un homme heureux sans être obligatoirement polytechnicien ou professeur des universités.

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