Des Confessions de Saint Augustin à Macron l’Africain..
De la vanité des choses de bas monde.
Ce titre involontairement énigmatique va en intriguer plus d’un. Je tiens à l’expliquer : hier soir, comme vous tous, j’ai suivi avec intérêt le show télévisé du président de la République française à l’université de Ouagadougou. Prestigieux numéro exécuté par un jeune dirigeant qui en redemandait, se sentait rajeunir encore un peu plus, provoquant un tantinet son auditoire étudiant, le tutoyant même, oubliant, au gré de certains esprits chagrins en métropole, la fameuse distinction du corps sacré du Roi, expliquée par Kantorowicz… Au vu de toutes ces images et de tous ces commentaires, je m’étais promis de consacrer à ce voyage l’éditorial de ce matin. Mais voilà, je me suis rendu compte que je devais commencer par achever l’exaltante lecture de plus de cent pages des Confessions du père de l’église, Saint Augustin, un livret intitulé L’aventure de l’esprit et publié chez Gallimard.
Des Confessions de Saint Augustin à Macron l’Africain..
De la vanité des choses de bas monde.
Augustin qui joua aussi un rôle dans le destin des Juifs au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, naquit dans un foyer divisé religieusement, je veux dire que sa mère avait reçu le baptême chrétien tandis que son père était resté païen. Devenu chrétien après avoir été très turbulent dans son enfance et fort sensible aux plaisirs, notamment de la chair, (il vivra dès sa seizième année une relation incandescente avec une femme qu’il rejettera ainsi que leur enfant par la suite pour rejoindre son Dieu), reniera l’art de la rhétorique, les belles lettres grecques et latines pour trouver repos et consolation dans les Evangiles. On pourrait dire ceci à propos de l’évolution et de la conversion, de cet homme : comment la rusticité a-t-elle pu vaincre l’éloquence ! Lorsqu’il aura sa révélation, il rejettera Cicéron et tous les autres rhéteurs de profession, refusant d’embrasser la carrière juridique à laquelle le destinaient tout naturellement ses études…
Sur ces cent pages de ses Confessions, Augustin cite à chaque page les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job et celui de Daniel. Dans ces mêmes pages, les Evangiles ne sont même pas cités plus de cinq fois. Le déséquilibre est patent mais le lecteur, même d’une autre confession (sans jeu de mots), se sent entrainé par cette brûlante profession de foi d’un homme qui implore le pardon divin pour ses fautes passées, quémande, telle une âme en peine, le don de la Grâce ; et l’on sait que la doctrine augustinienne de la Grâce plonge ses racines dans les épîtres pauliniennes et culmine chez Luther qui parlera même du serf arbitre face au libre arbitre prôné par Erasme dans une controverse devenue fameuse. Selon Luther, Dieu distingue qui il veut d’une Grâce particulière…
Quand on lit attentivement cette quête éperdue de l’âme du pécheur, dans sa hâte de se rapprocher le plus possible de son créateur, on pense parfois à la Couronne royale (Kéter malkhout) de Salomon ibn Gabirol de Malaga. L’un comme l’autre épanche son âme devant Dieu, créateur des cieux et de la terre. ; les deux hommes sont imprégnés d’une religiosité si profonde qu’on pourrait presque les confondre. Tous deux insistent aussi sur la nature pécheresse de l’homme bien que le poète juif refuse la notion de péché originel que les chrétiens entendent retrouver dans le Psaume 51 (Pécheur, ma mère m’a conçu…)
Comme on pouvait s’y attendre, le jeune Augustin a pour sa mère une affection débordante et un respect sans limite. Quelques années après sa mort, il lui rend un hommage émouvant, voir en elle un parangon de piété, un modèle à suivre et qu’il a d’ailleurs suivi… Il relate un rêve qui montre combien le futur Père de l’église doit sa vocation à sa mère qui fit preuve de tant de compréhension et d’amour à son égard. Augustin se demande même, et c’est là un aspect mysticisant de sa personnalité, si sa conversion tardive, son baptême retardé, ne faisaient pas partie d’une dessein divin le concernant.
Pour bien mesurer l’évolution de sa personnalité et l’enracinement de sa vocation religieuse, on citera quelques lignes de ce livret. Déçu par ses lectures des auteurs latins restés païens, insensible aux figures de rhétorique qui le comblaient jadis sans plus répondre à ses attentes actuelles, le pénitent écrit ceci : Je décidai donc d’appliquer mon esprit aux saintes Ecritures et de voir un peu ce qu’elles étaient. Et voici ce que je vois : une réalité qui ne se révèle pas aux superbes, qui ne se découvre pas aux enfants, humble à l’entrée, et, après l’entrée, sublime et voilée de mystères. Et moi, je n’étais pas en état de rentrer en elle, ni de ployer la nuque pour me mettre à son pas. En effet, ce que je dis maintenant, je ne le pensais pas au moment où je m’appliquai à ces Ecritures ; celles-ci m’ont paru indignes d’être comparées à la majesté cicéronienne…
Aucun commentaire n’est nécessaire, simplement une redite s’impose : comment la rusticité a – t-elle pu vaincre l’éloquence ?
Citons un autre passage où le futur Père de l’église fait son mea culpa et nous informe des différentes étapes dans son quête de Dieu : je ne savais pas que Dieu était un esprit et non quelqu’un avec des membres étendus en longueur et en largeur, ni quelqu’un dont l’être serait une masse car une masse est moindre en sa partie qu’en son tout, et, quand bien même elle serait infinie,… Qui y avait il en nous qui fonde notre être et justifie notre titre, dans l’Ecriture, d’être à l’image de Dieu. Je l’ignorais complétement. (p 90)
Lorsqu’il embrassera la carrière ecclésiastique, Augustin occupera des postes importants et mourra en 430 à Hippone, assiégée par les Vandales. Cette localité est située près la ville algérienne d’Annaba.
Mais saint Augustin avait rédigé un traité concernant les juifs. Notre grand maître en histoire juive, Bernhard Blumenkranz, avait soutenu une thèse en allemand à l’université de Bâle, en 1946, sur Augustins Judenpredigt. L’argumentation d’Augustin m’a frappé sur un point : tout en faisant preuve d’une grande sévérité à l’égard des juifs et du judaïsme, expliquant que la dispersion des juifs sur tout le globe terrestre était un châtiment divin pour le rejet de Jésus et le refus du message chrétien, il recommandait de ne pas les mettre à mort car par leur déchéance ils prouvaient la véracité de l’Eglise et son verus Israel. En agissant ainsi, il leur a sauvé la vie… Etait –ce un calcul prémédité ?
Que dire du discours de notre cher Président et du dialogue amorcé avec la jeunesse africaine ? Franchement, et avec tout le respect dû au président et à sa fonction, on se rend compte de l’inanité et de la vanité des choses de ce monde quand on met les deux contextes, l’un en face de l’autre. La politique gagnerait dans un rapprochement avec la théologie et la quête humaniste. Tout un continent, livré à l’impéritie, à l’égoïsme et à la corruption de la plupart de ses dirigeants, ne sera pas sauvé par je ne sais qu’elle coopération bilatérale ou multilatérale.
Les Confessions nous enseignent que les valeurs, surtout celles qui ne sont pas cotées en bourse, importent le plus.