La Pologne redevient-elle antisémite?
A notre profonde tristesse, la question peut vraiment se poser. Certes, il y a, pour commencer, plus de maladresse que de malice ou de volonté de se montrer hostile aux Juifs et à Israël, sans même parler des USA où vivent tant et tant de descendants des victimes de l’Holocauste. Or, si les USA se mettent de la partie, et je pense que les Polonais ont négligé cet aspect des choses, pour la Pologne une seule possibilité sera alors envisageable ; la capitulation en rase campagne. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Voyons rapidement l’arrière-plan historique de cette question si sensible, les relations judéo-polonaises à travers non point l’Histoire mais plus modestement à travers les temps les plus récents, ce qui, en matière d’Histoire mondiale, peut englober plusieurs siècles…
Lorsque les croisades s’abattirent sur les communautés juives d’Europe, notamment dans toute la vallée du Rhin, traversée par des hordes de croisés qui se firent la main sur les communautés juives traversées, les victimes qui se sacrifièrent par centaines, voire par milliers, afin de ne pas abjurer leur foi sacrées, une foi qui comptait plus que leur vie à leurs yeux, migrèrent plus à l’est et au centre de l’Europe, afin de se soustraire aux vagues d’exterminateurs sanguinaires. Je n’exagère point. Il suffit de feuilleter les chroniques de témoins visuels, réunies dans un Memorbuch intitulé Sefer Guesérot Tsarfat we-Askénaze (Tel Aviv, Editions Habermann, 1947/48), pour voir l’incroyable bestialité et l’inimaginable cruauté des croisés qui tuaient, violaient, brûlaient tout sur leur passage, au nom du … Christ ! Au motif que les Juifs l’auraient jadis crucifié.
La Pologne redevient-elle antisémite?
Au cours des siècles suivants, les fuyards trouvèrent refuge (un refuge précaire) en Pologne-Lituanie, en Podolie, en Russie, en Ukraine et dans toutes les possessions d’Europe orientale, comme Lvov (Lemberg), Odessa etc… Toutes ces vagues migratoires se sont graduellement sédimentées, venues originellement de pays germaniques ; ce qui explique que des Juifs moldaves (Avigdor Liebermann par exemple) ont des patronymes à consonance germanique.
Lorsqu’en 1985 j’ai traduit de l’allemand en français les Mémoires de Salomon Maimon (1752-1800), en fait Salomon ben Joshua, (il avait repris le patronyme de Maimonide par hommage envers l’auteur du Guide des égarés), je me suis rendu compte de l’importance de ce témoignage concernant les Juifs installés en Pologne. Maimon qui fut l’un des tout premiers critiques positifs du criticisme kantien (Son Essai de philosophie transcendantale l’atteste aisément ; traduction française, Vrin, 1989) évoque sa jeunesse misérable dans un village de Pologne-Lituanie et l’irrationnelle conduite des affaires politiques dans ce pays, notamment à l’égard des juifs, considérés comme des habitants de seconde zone, en raison, précisément, de leur dénomination religieuse.
Par la suite, l’élément juif devint puissant, par endroits, même prépondérant, au point que les autorités durent installer un numerus clausus afin d’endiguer les élans de créativité débordante de la population juive dans le pays. Les Polonais se mirent alors à définir avec une certaine agressivité une identité nationale fondée exclusivement sur l’appartenance à la religion catholique. A part l’Irlande et l’Espagne d’Isabelle et de Ferdinand, je ne connais pas d’autre identité nationale aussi fusionnelle avec la religion catholique romaine… Donc, l’Eglise, en racinée au centre du village, faisait figure d’un facteur structurant de la nationalité polonaise. Alors que fallait-il faire des millions de Juifs vivant sur le territoire national ? Je rappelle qu’à la veille de la seconde guerre mondiale, la population juive comptait pas moins de trois millions de personnes et certaines petites localités étaient peuplées presque exclusivement de Juifs.
A en croire certains auteurs antisémites polonais, cette présence massive, notamment dans des métropoles comme Varsovie et Cracovie (où vivait le célèbre RaMA, rabbi Moshé Isserlès, annotateur du Shoulhan Aroukh) justifiait la méfiance des natifs à l’égard d’un genre d’êtres qui ne faisaient pas partie de la communauté nationale, suite à leur appartenance religieuse. Les prêches dominicaux dans les églises, l’antisémitisme quotidien, les accusations à peine voilées de meurtre rituel, la classification des juifs comme des parasites économiques, ont nourri cet antisémitisme qui était d’abord latent avant de se montrer au grand jour…
Mais le pire était à venir. Et ce fut la seconde guerre mondiale, ce qui ramène à l’actualité la plus brûlante. La quasi totalité des juifs de Pologne furent exterminés par l’occupant nazi, avec, parfois, le soutien actif (dénonciation, tromperie, etc) de citoyens polonais de religion catholique. Il suffit de lire ou de relire des écrivains aujourd’hui oubliés comme Anna Langfus (1920-1966), native de Lublin, notamment ses Bagages de sable, livre figurant jadis dans la bibliothèque de mes parents et que j’ai lu à un très jeune âge… J’en fus bouleversé. Il y eut, certes, quelques âmes charitables en Pologne, d’authentiques chrétiens faisant honneur à l’enseignement compatissant du Christ, mais hélas ils constituaient hier comme aujourd’hui, une infime minorité. Et je ne veux même pas parler de la controverse du tristement célèbre Carmel d’Auschwitz où l’on assista, à la face du monde entier, à une tentative déshonorante de voler au peuple juif, même ceux des siens morts en martyres… Le tout sous couvert d’amour du prochain… Mais, par bonheur, la bonne, la vertueuse Pologne prit le pas sur l’autre qui semble faire retour…
Je ne suis pas un procureur, je ne suis pas un accusateur et je dirais même que je peux comprendre que les Polonais refusent qu’on continue d’associe leur pays à un génocide. Mais il ne fallait pas procéder de cette manière qui est perçue comme un déni historique, comme une tentative malhonnête et malveillante de réécrire l’histoire. Oui, une tentative de se dérober à cette tare historique. Dans ce contexte, l’Allemagne démocratique a bien mieux agi. En quoi défaisant ? En assumant son lourd passé.
Si les autorités polonaises ne rectifient pas le tir le plus rapidement possible, elles vont se mettre à dos les USA. Imagine-t-on l’interdiction faite aux avions polonais d’atterrir et de décoller des aéroports US ? Imagine-t-on les banques polonaises interdites de transactions commerciales avec les banques US ? Imagine-t-on les USA retirant leur protection armée à la Pologne, laquelle surveille le pays de Monsieur Poutine comme le lait sur le feu ?
Et ce ne sont là que quelques échantillons de ce qui risque de se passer si les Polonais ne reviennent pas sur leur folle décision de criminaliser ceux, locaux ou étrangers, qui persisteraient à parler des camps de la mort de Pologne. Tout en sachant qu’à ce moment là le pays était occupé par les Nazis.
Mais que dirent des rescapés de la Shoah, revenus chez eux et qui furent tués par leurs concitoyens polonais qui s’étaient arrogés illégalement leurs maisons ? Voilà un chapitre dont tout être moral, tout citoyen civilisé devrait avoir honte…